Lorsque le plus récent film de Jean-Marc Vallée, Demolition, a ouvert le dernier Festival international du film de Toronto (TIFF), l’occasion a marqué un important changement dans l’industrie cinématographique au cours des dernières années. Nous avions atteint un tournant où les ambassadeurs cinématographiques canadiens les plus reconnus n’étaient plus des anglophones, mais bien des Québécois.
L’émergence d’un groupe exclusif
Au cours de son histoire, le Québec n’a jamais été dépourvu de talent, mais mis à part Denys Arcand, peu d’entre eux ont été capables de recueillir la reconnaissance internationale qu’Atom Egoyan, David Cronenberg ou James Cameron avaient reçue durant une majeure partie de leur carrière. Traditionnellement, notre gratitude nationale pour les cinéastes québécois a rarement été étendue en dehors de nos frontières à des spectateurs venus d’ailleurs (Arcand et Jean-Claude Lauzon en Europe essentiellement).
Cependant, tout cela semble changer de manière spectaculaire alors que des réalisateurs francophones tels que Jean-Marc Vallée, Denis Villeneuve, Xavier Dolan et Philippe Falardeau gagnent du terrain au niveau international avec des films comme C.R.A.Z.Y. (2005) , Incendies (2010), Laurence Anyways (2012) et Monsieur Lazhar (2011). À ce stade, on pourrait presque renommer ce groupe exclusif la Nouvelle Vague canado-française.
Depuis 2006, sept des dix Meilleurs Films aux prix Écrans canadiens (incluant les prix Genie) sont allés à des Québécois et un seul prix, celui de la meilleure réalisation, est allé à une anglophone (Sarah Polley, Away From Her, 2008). À l’étranger, les films québécois ont suscité une attention égale, notamment avec Incendies de Villeneuve et Monsieur Lazhar de Falardeau, représentant le Canada dans la catégorie du meilleur film étranger aux Oscars. Ce brillant élan a conduit à plusieurs percées dans les dernières années, se fondant dans une vague massive de succès et de reconnaissance internationale. Un triomphe encore plus important à Hollywood.
Premiers pas en anglais
Au cours des trois dernières années seulement, Falardeau a fait ses débuts dans la langue de Shakespeare avec The Good Lie (2014); Vallée est rapidement devenu un réalisateur très convoité pour sa capacité de soutirer des performances dignes d’un Oscar à des acteurs comme Matthew McConaughey et Jared Leto dans Dallas Buyers Club (2013), ainsi que Reese Witherspoon dans Wild (2014); tandis que Villeneuve a réussi à faire d’une pierre deux coups en compagnie de l’acteur Jake Gyllenhaal avec Prisoners (2013) et Enemy (2013), et plus récemment, il a signé Sicario, qui a été en compétition officielle au prestigieux Festival de Cannes.
Quant à l’enfant prodige Xavier Dolan, son premier long métrage en anglais — The Death and Life of John F. Donovan, avec Kit Harington— est encore à venir, mais en ce qui concerne sa renommée mondiale, il est difficile de faire mieux lorsqu’on réalise le vidéoclip du premier extrait du nouvel album d’Adele et Mommy qui a partagé le Prix du Jury en 2014 à Cannes avec le légendaire cinéaste français Jean-Luc Godard (Adieu au Langage).
2016: année charnière pour les cinéastes québécois
La collaboration prometteuse entre Dolan et Hollywood n’est pas le seul moment excitant à venir parmi les réalisateurs québécois en 2016. Pour l’instant, le spectateur pourra découvrir le nouveau film de Dolan, Juste la fin du monde, tiré de la pièce éponyme du dramaturge français Jean-Luc Lagarce, mort du sida en 1995, à l’âge de 38 ans. Le long métrage, tourné au Québec l’été dernier, met en vedette Gaspard Ulliel dans le rôle d’un écrivain qui annonce à sa famille sa mort imminente. Pour sa part, Villeneuve est en phase de post-production de Story of your Life, un film de science-fiction mettant en vedette Amy Adams et Jeremy Renner, avant de passer à la suite très attendue de Blade Runner (1982), dont le tournage débutera en juillet, avec Harrison Ford. En ce qui concerne Vallée, il travaille présentement sur l’obtention des droits pour réaliser un biopic sur la chanteuse Janis Joplin (mettant également en vedette Amy Adams ). En attendant, la chaîne câblée HBO a annoncé que le cinéaste québécois réalisera les sept épisodes de Big Little Lies, avec Nicole Kidman et Reese Witherspoon dans les rôles-titres (le tournage a d’ailleurs commencé il y a quelques jours). Quant à Falardeau, il fera son retour à Hollywood après son dernier film, Guibrod s’en va-t-en guerre, une satire de la politique canadienne, avec The Bleeder, un film biographique sur la vie du boxer Chuck Wepner incarné par l’acteur américain Liev Schreiber (tournage terminé depuis quelques jours).
Les cinéastes québécois méritent depuis longtemps la lumière des projecteurs, ils ont maintenant l’occasion de démontrer l’ampleur de leurs talents aux yeux du grand public. L’une des premières qualités que vous remarquez lorsque vous comparez les œuvres de Vallée, Villeneuve, Dolan et Falardeau est que leurs sensibilités sont radicalement différentes l’une de l’autre. Vallée est un habile réalisateur qui étudie en profondeur la psyché douloureuse de ses personnages, Villeneuve réalise des suspenses psychologiques dans un canevas sombre, Dolan est le spécialiste du film d’auteur sensationnel et Falardeau crée de profondes relations intimes entre des protagonistes de différents continents.
Toutefois, ils partagent la même faculté de raconter une histoire captivante qui touche directement le cœur de son spectateur. Vallée, le porte-parole officieux de ses collègues, a exprimé lors d’une entrevue en ce qui concerne la migration collective de lui et ses confrères à tourner des films chez nos voisins du sud : « Quand je regarde Philippe Falardeau, Xavier Dolan, Denis Villeneuve et autres, il semble y avoir une volonté de raconter des histoires, en dehors d’un contexte québécois, qui vont toucher le monde entier ».
Dans un cours laps de temps, ils sont parvenus à exaucer ce désir et à présent, il sera intéressant de voir jusqu’où ces nouveaux défis les mèneront. C’est d’autant plus excitant et encourageant que cette reconnaissance n’existait pas dans le passé.
Et après ?
Pourtant, si 2016 devient le point culminant qu’il promet d’être, les cinéphiles québécois peuvent être pardonnés s’ils sont atteints par le syndrome du nid vide à l’idée de perdre une fois de plus nos meilleurs talents aux mains d’Hollywood, au lieu de les voir tourner à la maison. Néanmoins, il y aura toujours la fierté, en tant que Québécois, de pouvoir apprécier leur succès dans la cour des grands.
L’année 2016 pourrait-elle représenter la dernière fois qu’un aussi grand nombre de ces réalisateurs feront des films en dehors de l’industrie hollywoodienne? Ils sont déjà considérés comme de légendaires cinéastes québécois, mais à présent, ils sont sur la voie de devenir des légendes du médium cinématographique tout court.
Sorties à venir en 2016 et 2017:
Demolition: Jean-Marc Vallée
Juste la fin du Monde: Xavier Dolan
Story of your Life: Denis Villeneuve
Big Little Lies (série télé): Jean-Marc Vallée
The Bleeder: Philippe Falardeau
The Death and life of John F. Donovan: Xavier Dolan
Blade Runner 2: Denis Villeneuve