L’ennui précieux des jeunes adultes ♥♥♥♥♥

Un plein été de banlieue, les parents partis en voyage. Nicole, 22 ans, et son amie Véronique, laissent s’écouler les longues journées chaudes, lovées dans une profonde léthargie vacancière. L’intrusion du grand frère de Nicole, Rémi, et de son band de rock, vient perturber l’été des deux amies, et instiller la discorde.

 

Tu dors Nicole ? Pourquoi ne dors-tu pas Nicole ? Parce que ton amie d’enfance est plus sensuelle que toi ? Parce que tu n’es pas encore partie de chez tes parents ? Ou parce que tu te sens glisser hors de l’enfance, malgré toi ?

 

Dans ce troisième film, Stéphane Lafleur nous transporte dans une ambiance, l’été en banlieue, et un sujet : la vingtaine, entre jeunesse et âge adulte. L’atmosphère estivale participe activement à la narration, afin de décrire un âge trouble, coincé entre les dernières frasques adolescentes, et un avenir dénué de sens. Le choix du noir et blanc prend son sens, permettant une meilleure expression de toute sensation liée à la chaleur. Il suffit d’un oreiller retourné dans la nuit pour nous ramener à nos propres souvenirs.

 

Ainsi le fond et la forme se répondent harmonieusement, et témoignent de la maîtrise de Stéphane Lafleur à la réalisation. Le metteur en scène choisit la poésie plutôt que le roman. Il nourrit et densifie le malaise de Nicole d’impressions et de situations, au lieu de tomber dans les explications et résorber la crise identitaire. Ce qui offre au bout, une signature pertinente, et surtout un film aussi singulier qu’enchanteur.

 

Sur un sujet similaire, The graduate nous emportait dans les aventures rocambolesques du jeune Benjamin, nerveux et toujours en mouvement (de fuite). Nicole elle, est plus contemplative, en retrait. Elle n’évolue pas mais absorbe. À l’hyperactivité de Dustin Hoffman, répond ici le détachement provocateur d’une post-adolescente qui essaye encore de se ficher de tout. Une jeune fille qui affiche son désintérêt des hommes, mais cherche comment devenir une femme.

Tu dors Nicole

De Stéphane Lafleur nous connaissions déjà les cadres larges et aérés, les personnages mutiques, la dérision mêlée d’amertume. Ces éléments se retrouvent dans Tu dors Nicole, sublimés par la fraicheur de cette jeunesse, et la luminosité de la saison.  Grâce à ce savant mélange des tons, Stéphane Lafleur réussit à porter un regard mélancolique sans être passéiste, et ajoute une bonne dose d’ironie aux problèmes somme toute relatifs de cette jeune fille issue de la middle class. Néanmoins, à trop nous dérouter, l’histoire a tendance à perdre de son souffle sur le dernier tiers. Dans un film jouant sans cesse sur l’absurde, le risque est de perdre le spectateur. L’ennuie demeure passager, l’ambiance et le décor de banlieue continuant d’opérer leur charme, entre rêve et humour.

 

La comédienne principale, Julianne Côté (Féminin/Féminin), se glisse avec une belle aisance dans le personnage doux-amer de Nicole, renfermée derrière son air bougon, et pourtant si sensible aux moindres altérations du quotidien. Le casting, qui rassemble acteurs fétiches et nouvelles collaborations, est tout – à – fait pertinent. Catherine Saint-Laurent saisit l’énergie de Véronique, bondissante, extravertie, et ambiguë vis-à-vis de son amie. Marc-André Grondin (L’homme qui rit) peut être content, on oublie définitivement le jeunot sex-symbol de CRAZY pour faire face à un véritable acteur, crédible dans le rôle du frère. Accompagné de ses acolytes, Simon Larouche et Francis La Haye, ils forment le trio des trentenaires.

La composition de ce groupe (les deux jeunes femmes et le band) fonctionne à merveille, dans la diversité de leurs caractères et les relations qui se tissent. Nous avons de la tendresse pour chacun de ces rôles, et on souhaite autant savoir ce que contient la glacière de  JF, que percer à jour l’asociabilité de Rémi. Tous nous ramènent à nos propres rêves, encore tenaces à 20 ans, en perte de vitesse à 30.

Tu dors Nicole3

Finalement, le rêve éveillé de Nicole se révèle surtout dans les touches de « réalisme magique » (mots du réalisateur) insufflées. Les décalages de Stéphane Lafleur sont osés, ils sont grands. Cette magie ne se dissocie pas mais vient s’ajouter à la réalité et lui donner plus de sens. Nous suivons les vagabondages de Nicole, qui ne dort pas, mais ne semble pas non plus vouloir s’éveiller pour de bon.

*Anne Castelain*

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