You’re toxic I’m slipping under with a taste of a poison paradise – ♥♥♥
De 1967 à 1976, Yves Saint-Laurent explose dans le monde de la mode et impose sa vision, ses visions de la femme et de la haute-couture. Homme ne supportant la vie que dans les excès, il ne s’occupe que de création, laissant Pierre Bergé gérer ce qui deviendra une marque incontournable.
La silhouette longiligne, la démarche, la voix … en quelques secondes, le mythe YSL est présenté et magnifiquement incarné à l’écran. Par bribes et par bulles de souvenirs on apprend d’où vient l’artiste, on suit ses traumatismes, comme la guerre d’Algérie, qui le rendra dépendant aux médicaments tranquillisants ou sa jeunesse auprès de sa mère, à Oran. Mais ce n’est pas ce qui intéresse Bertrand Bonello. Plutôt que de proposer un biopic classique, le réalisateur présente l’homme et essaie de montrer quelle ont pu être sa vie, ses goûts, ses excès et ses relations aux autres. On suit le on et le off de l’artiste , son œil et son geste précis et affuté et l’ambiance posée de l’atelier des débuts aux ambiances angoissées des grands défilés, puis les volutes de fumées des salons de chez Régine aux aires de rencontres homosexuelles. Pour mieux cerner cet être complexe, on le voit aussi au travers des yeux de ses intimes, parmi lesquelles seule sa mère lui fait réaliser à quel point il est détaché du monde et des réalités de la vie. Constamment ambivalent, on suit son histoire avec Pierre Bergé, à qui il confie la construction de son image, voire de sa légende, et ses finances. Cet amour, chacun le mettra à mal, Pierre en étouffant Yves dans une cage dorée et Yves en s’adonnant à tous les excès, notamment avec Jacques de Bascher (Louis Garrel) jusqu’à se retourner physiquement contre son partenaire, amour et mécène. On suit aussi l’artiste, dans ses soirées animées et joviales avec ses amis, jusqu’à sa solitude la plus totale, à la fin de sa vie. La forme même du film de Bonello sert l’introspection de son personnage, suivant une chronologie dans ses débuts, puis peu à peu mélangeant les époques, les lieux et les souvenirs, l’artiste divaguant, se perdant peu à peu au monde et à la réalité, comme dans un roman de Proust, qu’il admirait et auquel il s’identifiait. Le but du réalisateur n’était pas de montrer comment Yves Saint-Laurent est devenu un génie mais de montrer ce que cela lui a coûté. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que Bertrand Bonello le fait magistralement.
Esthétisme d’un artiste maudit
La distribution aussi est extrêmement solide, à commencer par Gaspard Ulliel et Helmut Berger qui impressionnent en incarnant l’artiste dans les années 1970 et à la fin de sa vie. Chaque détail du film est précis et magnifié par les décors de Katia Wyszkop et la photographie de Josée Deshaies. Pierre Bergé ayant refusé l’accès aux archives pour ce film (contrairement au YSL de Jalil Lespert), le romanesque est certes de rigueur, mais l’œuvre proposée n’en reste pas moins passionnante. Le seul défaut, mais malheureusement pas le moindre, reste sa durée (2h30), qui demandera patience et résistance au spectateur.