Autriche, Royaume-Uni, 2019
Note : ★★
Little Joe raconte l’histoire de la création de plantes supposées offrir à ses propriétaires le bonheur par leur parfum qui émet des ocytocines, communément appelées l’hormone du bonheur. L’expérience ne se déroule pas tout à fait comme prévue pour l’équipe de botanistes puisque le bonheur est détourné et devient en fait qu’un faux état réduisant les émotions fortes des humains. Le pollen émis par la plante nommée Little Joe, si respiré, résulte à une manipulation du comportement humain où les émotions sont réduites au profit du bien-être de la fleur. Un film somme toute maîtrisé dans la forme, mais qui manque de profondeur dans son propos.
La réalisation de Jessica Hausner est appropriée; caméra lente, travellings horizontaux, zooms progressifs sur les personnages. La réalisation en est une d’observation. Hausner ne s’éloigne pas trop de l’esthétique autrichienne dominante sur la scène internationale : un regard clinique et peu chaleureux, souvent associé à son maître Michael Haneke. La cinéaste a d’ailleurs travaillé comme scripte sur Funny Games (1997) de ce dernier. La direction artistique est cependant plus colorée que les films du double palmé (Amour en 2012 et Das weiße band en 2009), couleurs très pastel pour contraster le monde des humains aux couleurs bleu et rouge éclatant des plantes. Des costumes (les chemises de laboratoire vert pâle pastel) aux décors quasi tous blancs. Si les cadrages et mouvements de caméra mélangés à ces décors et couleurs donnent un terrain fertile en analyse visuelle, le tout ne suffit pas à donner de la profondeur aux propos de Litlle Joe.
Les acteurs sont tout autant appropriés que la réalisation. Mais dans un film où tout est aseptisé, il est difficile d’être incarné dans son jeu. Les acteurs font ce qui leur est demandé. Seule Emily Beecham, l’actrice principale qui incarne Alice, a plus de matière et de complexité (le doute et l’observation) avec lesquelles jouer. Ben Wishaw incarne habituellement des rôles plus impressionnants, mais on lui demande la quasi-unidimensionnalité.
Little Joe est un film d’observation des comportements (on sent l’école des premiers Haneke ici) mais Jessica Hausner ne réussit pas à dépasser cet esthétique pour atteindre un propos comme le réussit son mentor. La réalisatrice maitrise la forme, mais elle doit l’additionner à un propos porteur et plus consistant.
Le revirement scénaristique du film repose sur le propos de la survie : Little Joe commence à produire du pollen par instinct alors qu’elle a été génétiquement neutralisée. Pour survivre, son pollen s’assurera une sécurité en transformant les humains en disciples. Dans la diégèse, cette condition de disciple est alors confondue pour le bonheur. Le commentaire serait alors que pour être heureux, on doit être manipulé? Si le sujet est le manque d’incarnation (ce que sont les personnages une fois contaminés), la forme doit compenser pour stimuler le spectateur qui s’investit dans l’œuvre.
Le principal défaut de Little Joe est qu’il dit peu. Si c’était son propos (dire peu), le film fonctionnerait, mais sa prémisse est beaucoup trop semblable à une des séries de films les plus politiques du 20e siècle (les trois versions de Invasion of the Body Snatchers 1956, 1978 et 2007) pour se permettre de dire peu. Le film devient alors qu’une version botanique de ces classiques, Hausner aurait donc du s’inscrire dans un propos plus solide que ce détachement qui permet le bonheur. Little Joe se rapproche alors davantage de The Happening (2008) de M. Night Shyamalan (où la nature pousse les humains au suicide) et non pas à un classique.
Ce film a été vu dans le cadre du Festival du nouveau cinéma 2019.
Durée : 1h45