BORDER, la limite des Autres

Suède, 2018.
Note: ★★★

Gagnant du prix Un Certain Regard au Festival de Cannes en début d’année et sélectionné pour représenter la Suède dans la course pour le prix du meilleur film en langue étrangère aux Oscars 2019, Border (ou Gräns en version originale), le tout récent film d’Ali Abbasi (Shelley, 2016), est profondément original et troublant. L’étrangeté et la singularité du récit font de ce suspense romantique fantastique un film sans équivalent.

Avec ses traits physiques difformes qui rappellent les hommes de Cro-Magnon, Tina (Eva Melander) doit vivre avec sa différence. Elle a un lien particulier avec la nature et les animaux, qui semblent vouloir être auprès d’elle. Par chance, elle réussit à canaliser cette force animale refoulée qu’elle possède dans son travail. Agente de douanes, elle utilise son puissant odorat pour détecter les voyageurs suspects. D’une manière surnaturelle pour un humain, elle est capable de détecter la peur, la honte ou même la colère chez l’Autre. Mais un beau jour, un passager différent des autres (Eero Milonoff), très semblable à elle par ses traits proéminents, vient brouiller son odorat. Elle est totalement troublée par ce que cet étranger, Vore, cache mais aussi par l’attirance qu’elle ressent pour lui. Leur attirance mutuelle les amènera à vivre une sorte d’histoire d’amour où elle comprendra qu’elle n’est pas aussi humaine qu’elle le croyait.

Le réalisateur explore, dans son scénario co-écrit avec le scénariste de Let the Right One in (2008), John Ajvide Lindqvist, et la scénariste Isabella Eklöf, une multitude de thèmes hors du commun. L’un d’eux est la monstruosité. Pas celle de Tina ou de Vore, mais bien celle des hommes dans le film qui cachent leur désir pour la pornographie juvénile. Les monstres n’étant pas toujours ceux que l’on croit. Parallèlement à cette enquête sur un réseau de distribution de pornographie juvénile que Tina effectue avec ses collègues grâce à son odorat animal, on suit l’étrange histoire d’amour et de désir entre Vore et Tina qui nous emmène dans un univers profondément sombre et fantastique. Car ses deux êtres ne sont finalement pas humains. Ils sont finalement des personnages issus des contes et légendes scandinaves, des Trolls.

Ces figures mythiques sont décrites comme des êtres solitaires, très semblables aux humains mais à l’apparence repoussante. On les retrouve souvent dans la nature (dans ce cas-ci, la forêt) avec laquelle ils sont en harmonie. Il se trouve que dans l’histoire, la figure du bébé est importante. Tina ne peut apparemment pas enfanter. Par contre, Vore lui, en est capable. Ces aspects du film sont très troublants car ils vont à l’encontre de ce qu’on connait de la nature des hommes. La présence de ce bébé difforme rappelle étrangement celle de celui dans Eraserhead (1977) de David Lynch.

Ainsi, l’Autre et sa différence est probablement le thème principal du film. Les nombreux bouleversements planétaires qui engendrent la migration de millions de personnes finissent par avoir un impact sur les gens qui habitent les terres d’accueil. On peut voir dans ce film un désir fort de déconstruire cette vision de l’étranger, de l’Autre, de celui qui vient d’ailleurs, celui qui n’est pas comme nous. Le réalisateur a lui-même vécu l’expatriation lorsqu’il a quitté l’Iran pour venir étudier l’architecture en Suède. Border joue sur la limite entre l’un et l’autre, entre l’acceptation et le refus, la limite entre le beau et le laid, entre l’intérieur et l’extérieur. Border me rappelle un très beau film québécois que j’ai vu il y a quelques semaines dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma, Happy Face (2018). La laideur dans le film n’est pas celle que l’on voit sur les visages de ces gens différents, elle est à l’intérieur de l’homme, dans son égoïsme, dans sa haine.

Au niveau visuel, Border est remarquable et troublant par plusieurs caractéristiques. D’abord, la scène de sexe entre Tina et Vore dans la forêt est à la fois horrible, et belle. Au moment où ces deux corps se collent, une queue étrange sort du vagin de Tina et permet la pénétration. Scène plutôt atypique au cinéma je dirais. Par ailleurs, les bébés dans le film sont extrêmement bien faits. Celui que Vore met au monde est une maquette si réaliste que même John Carpenter s’en émerveillerait.

Bref, je ne sais pas si je suis d’accord avec le Prix Un Certain Regard à Cannes car ce n’est pas un film qui m’a fait vivre beaucoup d’émotions. Il y a peut-être aussi plusieurs éléments de sous-texte qui m’ont échappé. C’est tout de même un film remarquable par sa complexité, l’originalité de son univers et la singularité de ses personnages. Border est étonnant, mais si vous n’êtes pas un fan de cinéma fantastique, il risque de vous repousser. Ce qui n’est pas mal non plus!

Durée: 1h50

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