Nous avons rencontré Frédérick Pelletier, dans le cadre de la sortie de son premier long-métrage, Diego star, le 6 décembre, au Québec.
Benoît Rey (BR) : Vous réalisez ce film mais vous en êtes aussi le scénariste. D’où vous est venue l’idée ?
Frédérick Pelletier (FP) : Le film a été tourné à Lévis, moi je suis né là, j’y ai grandi, assez près de ce chantier naval là où se passe une grande partie de l’action. C’est le quartier où vivent mes grands-parents. Et de l’autre côté, mon grand-père était lui-aussi marin donc cet imaginaire là un peu des hommes de la mer, des marins, j’ai un peu grandi avec. J’ai rencontré des gens qui vivaient près de ce chantier naval et qui me racontaient des histoires comme ça de bateaux qui accostaient après une avarie, en urgence et qui étaient mis là en réparation et ils voyaient comme ça des gens débarquer dans la petite ville, des marins. Parfois ça les inquiétait, mais souvent ils se rapprochaient d’eux et ils finissaient par avoir des liens… C’est un univers que je trouve très beau, au potentiel dramatique très très fort. Après y’a cette simple idée là qui est de filmer le paysage du St-Laurent en hiver. Tout ça mis ensemble…
BR : Vous proposez un film centré sur deux personnages et sa réussite reposait beaucoup sur eux. Comment les avez-vous choisi ?
FP : Pour Chloé Bourgeois, qui joue Fanny, moi je l’avais vu dans Tout est parfait, d’Yves-Christian Fournier [2008]. Je l’avais eu en casting et ça c’était très bien passé. C’est une autodidacte, c’est une espèce de force, d’intelligence naturelle dans le jeu, ce qui est très peu commun… en plus d’une photogénie exceptionnelle. Mais c’était très important d’avoir mon couple, ce binôme là. Donc il fallait que j’ai mon Traoré et très très vite, avec la production, on savait qu’on devait sortir du Québec pour trouver un comédien comme ça. C’est Marion Hänsel, notre co-productrice, qui m’a parlé d’Issaka, elle venait de tourner «Si le vent soulève les sables» avec lui. Elle m’a donné le DVD, on s’est rencontré à Paris et très très vite ça s’est imposé que c’était lui, autant par la rencontre humaine qu’on a eu que par son charisme de comédien, son naturel. Chloé et lui ont ceci de particulier que c’est deux autodidactes : ils ont pas fait de formation de théâtre, de conservatoire, de choses comme ça et ça en fait des comédiens de cinéma parfaits parce qu’ils sont pas dans le surjeu, ils sont pas ans les conventions théâtrale ils sont pas dans la psychologie du personnage de théâtre. Ils sont dans un jeu physique : le corps prend l’espace, le corps exprime. Moi je suis très à l’aide avec des comédiens comme ça !
BR : On suit les deux personnages en parallèle, mais vous restez très pudique sur leur intériorité, leurs sentiments. Comment envisagiez-vous l’équilibre entre l’intimité de ces personnages et les éléments extérieurs rigides et froids ?
FP : Pour moi, outre la beauté de l’hiver, une des raisons de le faire comme ça c’était aussi que l’hiver, encore plus dans les petites villes que Montréal, isole les gens, les force à l’intérieur, les force au retranchement aussi. Et ça devenait des éléments intéressants dramatiquement, c’est plus un élément très concret qui force les gens à l’isolement les uns des autres, parce que tu restes enfermé chez vous. Y’a ce lien là entre Traoré et Fanny : c’est qu’ils sont enfermés, mais ensemble.
BR : Sans dévoiler l’intrigue, vous proposez un drame, un drame qui se noue au-delà des personnages, qui apparaissent comme des marionnettes aux yeux d’événements qui les dépassent. On a pu dire que votre mise en scène était «implacable» en vous remettant un prix à Genève, est-ce que vous êtes d’accord avec ce terme là ?
FP : Ben je le prends comme un compliment, c’est certain ! Si «implacable» veut dire qui est d’une rigueur à toute épreuve, je suis pas certain. Mais si «implacable» veut dire qui a quand même une cohérence, je pense que oui : j’ai des choix de mise en scène, que j’ai pour le meilleur et pour le pire cela dit : caméra à l’épaule, mouvements, décors, des images que j’ai voulu poser, d’assumer un découpage aussi. Parce qu’il est devenu un crime parfois, dans une certaine cinéphilie de ne pas tout faire en plan séquence … donc de renouer avec ce plaisir là du montage, ça oui c’était cohérent et c’était en accord avec ce que je voulais faire.
BR : Vous abordez beaucoup de thèmes comme la mondialisation dans ce qu’il y a de plus déshumanisé, les pavillons de complaisance, l’esclavage moderne, votre film est en cela très politique. Est-ce que vous croyez encore en l’humanité aujourd’hui ?
FP : Si bien sûr bien sûr, je pense que le film à la fin n’est pas aussi sombre qu’on voudrait le voir, y’a quand même Traore qui a osé faire le pas, y’a Fanny qui à la fin sait très clairement, qui a compris son erreur. Mais après, d’avoir fait un happy-ending, une fin plus claire aurait pas été honnête avec les constats que je posais, le matériel de nature quasi-documentaire qu’il peut y avoir dans le film et la logique propre de l’histoire qui est celle d’un système qui impose, pas parce qu’il y a quelqu’un de méchant, mais parce qu’elle a sa propre logique. Cet engrenage est déjà dans ce mouvement de rotation là. Y’a aussi d’autres choix, y’a aussi un moment où le film est moins politique et la réflexion devient plus éthique et c’est en ça que la fin est aussi intéressante. Y’a toute cette idée là de ne pas donner de réponse et d’essayer de mettre les gens face à une question : si le système fonctionnait comme ça, toi tu te situerais où ? J’avais envie de laisser ça ouvert et de trop fermé la chose, ça aurait fait un film trop moraliste.
BR : C’est votre premier long-métrage après deux courts [l’hiver longtemps, l’air de rien], est-ce que la transition a été difficile ?
FP : Il s’est fait de façon assez naturel. C’est-à-dire que moi, j’ai jamais vu mes courts-métrages comme des marches vers le long-métrage. Les choses ont fait que quand j’ai commencé à écrire Diego star, je suis tombé sur un film qui, par ses sujets, par la façon dont je le voyais devenait un long-métrage, je me suis risqué à ce que ce soit le projet sur lequel j’allais travailler sur les 5 prochaines années.
BR : Vous avez fait une longue tournée des festivals internationaux, qu’est-ce que vous retirez de cela ?
FP : C’est un passage obligé mais très agréable aussi parce que tu voyages, t’es dans des conditions où tu débarques avec ton long-métrage et les gens sont très contents de l’accueillir, de le voir. Mais au-delà de ça, ce qui est très rassurant c’est de voir que mon film, il a beau se passer à Lévis, il est très québécois dans son rapport au territoire mais c’est pas un film régional, il est capable d’intéresser des gens un peu partout dans le monde donc il y a un espèce d’universalisme finalement là-dedans. Ça pour moi c’est très rassurant et très gratifiant ! C’est l’envie de rencontrer des gens aussi, c’est à ça que ça sert, c’est intimidant et grisant parce que tu as un retour du public et des fois c’est intéressant parce qu’ils peuvent avoir une lecture différente aussi !
BR : Le film, les acteurs ou vous-même (en tant que réalisateur), avez reçu de nombreux prix, vous arrivez à garder la tête froide avec tout cela ?
FP : J’ai une vie assez complexe pi ce qui est bien avec le Québec c’est qu’il n’y a pas de vedettariat possible donc c’est pas très stressant. J’ai quand même les mêmes problèmes, mon prochain film, y’a personne qui vienne me donner un million en me disant : «vas-y, on te fait confiance !», il faut quand même que je me batte pour le défendre, en ayant l’argument du premier film mais rien n’est jamais acquis.
BR : Toutes vos oeuvres sont pour l’instant fortement rattachées à l’océan et au fleuve. Est-ce que cette relation à la mer est une obsession, est-ce inconscient ? Est-ce que vous allez encore explorer le thème ou est-ce que vous allez aller sur la terre ferme prochainement ?
FP : Je sais pas, c’est drôle de dire d’où viennent les thématiques comme ça, je pense que y’a vraiment un rapport géographique avec le lieu, c’est peut-être le vrai point commun entre tout ça. Après la question de savoir est-ce que le prochain va être là ? Je dirais non, le tour est un peu fait, ça va être ailleurs, d’autres paysages, d’autres lieux, j’ai comme besoin de regarder autre chose.
BR : Sans trop se prononcer sur la réception du public, vous avez donc déjà un beau succès d’estime, est-ce que vous avez l’impression d’être désormais «attendu au tournant» ?
FP : J’ai pas vraiment pensé à ça dans ces termes là. La difficulté au Québec c’est de durer : faire un premier film, ça se fait bien, faire un deuxième c’est encore plus difficile mais quand t’es rendu au troisième, c’est là que ça se passe. On a une filmographie de gens qui n’ont fait que deux films, parce que ça n’a pas duré. Oui y’a ce poids là, t’as peu de marge à l’erreur … Y’a pas ni hostilité à mon égard ni sympathie particulière. C’est sûr que quand tu fais un film qui est en compétition à Cannes ça l’aide beaucoup ton financement après, mais en même temps rien n’est jamais acquis…
BR : Pour terminer, une petite question pour mieux connaître vos goûts et vos influences, pouvez-vous nous donner vos 5 films préférés du XXIème s. ?
FP : Y’aurait définitivement quelque chose comme un Ken Loach, j’hésiterais entre Sweet Sixteen [2002] et It’s a free world… [2007] Y’aurait Jo pour Jonathan [Maxime Giroux, 2010]… sans doute Still life de Jia Zhangke [2006], Tropical Malady d’Apichatpong Weerasethakul [2004], Le Fils de Jean-Pierre et Luc Dardenne [2001] et Une séparation d’Asghar Farhadi [2011]… Mais c’est très difficile comme exercice, parce que j’ai l’impression que ma réponse serait très différente dès demain.
Le film Diego star de Frédérick Pelletier, prendra l’affiche sur les écrans québécois le 6 novembre 2013.