Des sous-titres étaient-ils nécessaires ? ♥♥♥♥
En Ukraine, dans un pensionnat pour sourds et muets, une bande d’adolescents fait régner la violence, les petits trafics et la prostitution. Sergey, le nouveau venu, se fait accepter par le groupe. Mais les dissensions surgissent lorsqu’il tombe amoureux d’Anna, une des prostituées.
Un film ukrainien en langage sourd-muet et non sous-titré. Avec une telle accroche de festival pour films indépendants, on espère une œuvre à la hauteur de ses prétentions.
En ce sens, Myroslav Slaboshpytskiy, le réalisateur, ne nous déçoit pas. Bien plus qu’un dispositif ou un concept formaliste, le parti pris et l’absence de paroles nous livrent une expérience hors norme. Entre les murs de béton et de graffitis d’une ville post-communiste, la brutalité de cette adolescence livrée à elle-même est criante de vérité. Si nous avons du mal à concevoir ce film comme « un hommage au film muet » selon les dires du réalisateur lors de son passage à Cannes, on serait tenté par contre de parler de parabole. L’univers muet circonscrit le récit dans un espace (le pensionnat), comme tenu à l’écart, pour exposer une vérité. Celle d’une jeunesse que personne n’écoute, livrée à elle-même, qui meurt derrière les murs et les couloirs de train, sans révolter personne.
Concentrée entièrement sur l’image, notre attention de spectateur est attentive à chaque détail et s’interroge au moindre geste. Immergés dans cet univers silencieux, nous en demeurons aussi exclus puisque le langage des signes ne nous est pas accessible. Le cadrage, toujours à distance des protagonistes nous tient également à l’écart. Après tout, nous n’avons rien à faire au milieu de cette tribu, où notre sentimentalisme et notre compassion seraient de toute manière mal venues. La maîtrise du plan séquence, le choix économe des cadres, tout en démontrant de vraies qualités de mise en scène, nourrissent cette atmosphère tendue et impitoyable.
Séduite par un concept ? Non, il ne suffit pas d’un concept pour tenir un public face à deux heures de quasi silence. Certaines personnes se disent fatiguées de ce cinéma d’Europe de l’Est gris et bétonné. Étaler la misère ne fait pas un bon film.
Il y a deux ans déjà le FNC nous présentait KLIP, de la réalisatrice serbe Maja Milos, coup de poing de ces adolescentes qui se filment avec leur téléphone en train de baiser dans les chantiers. Si KLIP a du mal à dépasser l’idée de « film choc », The tribe nous convainc dans la manière de mener son sujet. Au travers de son personnage principal, Sergey, le cinéaste nous raconte comment la misère peut engendrer et renfermer dans l’amoralité la plus totale. Le muet nous prive de tant d’émotions qui aident habituellement à définir des caractères (joie, rire, murmure, cris), que nous pourrions passer à côté de ce personnage sans faire l’effort de le saisir. Garçon soumis, bête fauve, adolescent amoureux, sexe échangé contre de l’argent, son comportement questionne et déstabilise. Si la morale est absente dès le début, la spirale dans laquelle sombre Sergey fait tomber nos derniers repères. Les mots vengeance, amour, sexe, viol perdent l’un après l’autre leur sens, ils n’existent même plus dans ce monde.
Non, définitivement, The tribe n’a pas besoin de sous-titres.
Auteur: Anne Castelain