L’édition 2013 des Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal (RIDM) nous réserve encore une fois un superbe programme, très chargé et éclectique, du 13 au 24 novembre 2013.
Les films d’ouverture et de fermeture tout d’abord promettent, dans des styles très différents, de marquer les esprits, avec :
- The Square (Al Midan) : témoignage sur le vif de la révolution égyptienne, depuis la chute de Moubarak jusqu’à la destitution du président Morsi. Emblème et âme des évènements, la place Tahrir est au coeur de cette plongée dans les aspirations contraires d’un peuple cherchant sa voie/voix dans le monde actuel.
- Fermières (Annie Saint-Pierre) : le cercle des fermières du Québec est une institution de l’identité féminine québécoise. Présent depuis 1915 dans plus de 600 municipalités et toujours très actif, ce cercle est ici mis en valeur dans une oeuvre promettant à n’en pas douter une belle alternance de témoignages drôles et émouvants.
En catégorie compétition internationale longs métrages, nous pouvons notamment retenir :
- American vagabond (Suzanna Helke) : récit doux amer des ballottements d’un couple homosexuel sans-abri, démystifiant le rêve américain du self-empowerment offert à tous, du meeting-pot et de la terre des libertés.
- Fifi hurle de joie (Mitra Farahani) : touchante relation entre un vieil artiste oublié et une réalisatrice iranienne, entre cynisme, tendresse, lyrisme et manipulations.
- The mother and the sea (Gonçalo Tocha) : mise au jour nostalgique de la mémoire collective d’un lieu (Vila Chã, au Portugal), où les femmes partaient en mer, pêcher du poisson.
Dans la compétition nationale des longs-métrages, plusieurs films prennent un aspect politique et engagé en se centrant sur la lutte contre une mondialisation synonyme de perte de patrimoine :
- Arctic defenders (John Walker) : reconstitution engagée de l’Histoire des luttes d’un groupe inuit réclamant l’auto-gouvernance de leur territoire, qui aboutira à la création du Nunavut, en 1999.
- Hi-Ho Mistahey (Alanis Obomsawin) : dénonciation des injustices (éducation, financements publics, salubrité notamment) subies par les populations amérindiennes dans le Canada actuel.
- Le semeur (Julie Perron) : portrait de Patrice Fortier, homme passionné par le patrimoine végétal des semences rares et oubliées, à Kamouraska.
Dans la compétition internationale des courts-métrages, on attend particulièrement The blazing world (Jessica Bardsley) sur la cleptomanie féminine et Da Vinci (Yuri Ancarani), plongée renversante dans l’opération chirurgicale robotisée.
Dans la compétition internationale des moyens-métrages, The art of disappearing (Bartek Konopka & Piotr Rosolowski) promet une expérience de redécouverte de l’histoire en suivant le témoignage d’Amon Fremon, prêtre vaudou haïtien, plongé dans la Pologne communiste de 1980.
Les présentations spéciales (nouveaux-nés des maîtres du documentaire et films-événements de l’année festivalière) sont cette année d’une particulière qualité et seront à ne pas manquer, avec notamment :
- The crash Reel (Lucy Walker) : étude des sports extrêmes, entre dépassement de soi et étude de la place des athlètes dans une industrie peu scrupuleuse.
- Finding Vivian Maier (John Maloof & Chalie Siskel) : une des pièces les plus attendues du festival, sur la découverte par hasard, d’une des artistes photographe les plus éminentes du XXème s.
- Harry Dean Stanton : Partly fiction (Sophie Huber) : étude sensible et fascinante cherchant à cerner l’acteur culte, même si relativement peu connu du grand public, au travers d’entrevues et d’extraits de film.
- L’image manquante (Rithy Panh) : autre tête d’affiche du festival, le réalisateur continue son devoir de mémoire, en explorant les trous de l’Histoire cambodgienne et de son histoire personnelle.
- La maison de la radio (Nicolas Philibert) : le réalisateur promet une nouvelle pièce sensible et attachante après Être et avoir, en s’attachant cette fois-ci à une institution de la culture audiovisuelle française : la maison de la Radio, en dévoilant ceux qui se cachent derrière ces voix berçant le quotidien des auditeurs.
- Salma (Kim Longinotto) : portrait d’une femme exceptionnelle, qui a supporté 25 ans d’enfermement par sa famille en s’évadant dans la création poétique et retournant sur les lieux.
Dans la catégorie Horizons (témoignages des bouleversements du monde), trois films ont retenu notre attention :
- The eternal night of the twelve moons (Priscila Padilla Farfan) : étude ethnologique centrée sur le rite de passage des jeunes filles Wayuu (peuple amérindien de Colombie), pour devenir Femmes.
- Night replay (Eleonore Weber) : La caminata nocturna est un jeu de rôle, au Mexique, où les touristes en mal de sensations fortes viennent rejouer le passage de la frontière américaine par des clandestins, au péril de leur vie.
- Québekoisie (Mélanie Carrier & Olivier Higgins) : nombreux sont les Québecois méconnaissant les peuples amérindiens au Québec mais passionnés de cultures étrangères. Les réalisateurs partent à la recherche de témoignage pour étudier cette relation complexe.
Dans la catégorie Contre-courant (oeuvres audacieuses défiant nos perceptions de la culture), nous suivrons A masque of madness (Norbert Pfaffenbichler) sur les divers visages de Boris Karloff et les grands motifs du cinéma « de genre », Derby crazy love (Maya Gallus) sur un phénomène de société bien ancré dans la jeunesse et fascinant (le roller-derby) et Suitcase of love and shame (Jane Gillooly), reconstituant un amour adultère à partir d’enregistrements sonores, sans aucune image des individus.
Dans la catégorie Territoires (documentaires explorant le rapport de l’Homme à son environnement) :
- Cloudy mountains (Zhu Yu) : observation du quotidien des ouvriers travaillant sans protection et dans l’indifférence générale dans une mine d’amiante, dans l’est de la Chine.
- Sans terre, c’est la faim (Amy Miller) : documentaire choc sur les effets pervers de la mondialisation de l’industrie agro-alimentaire sur les populations locales et la malnutrition galopante.
- Unter menschen (Christian Rost & Claus Strigel) : film politique sur la recherche médicale comme enjeu financier et royaume de la mauvaise foi, au travers de l’expérimentation sur des chimpanzés, en Autriche.
La section Docs 2.0 (quand le réel se faufile dans les réseaux et s’écrit autrement) promet de belles expériences interactives, avec A short story of the highrise (Katerina Cizek), explorant l’expansion urbaine, le développement vertical et les enjeux sociaux en découlant et Fort Mc Money (David Dufresne), plongée fictive dans la ville de Fort Mc Murray, dans laquelle les utilisateurs pourront décider de l’avenir de la ville et du film qu’ils regardent.
Enfin, le festival RIDM nous propose de superbes rétrospectives : Marcel Ophuls : pour un autre récit de l’histoire, Explorations radicales du monde : le sensory ethnography lab et Strip-tease : documentaires de (ré)création.
Sélection additionnelle pour Laurent :
- At Berkeley de Frederick Wiseman. Peut-être le film le plus attendu du festival: le plus grand réalisateur de documentaire, mis à l’honneur lors de l’édition du RIDM en 2011, revient avec un nouveau portrait d’une institution américain, après les prisons, les asiles, les gymnases de boxe et les compagnies de ballet, Wiseman s’intéresse aux universités et à l’éducation supérieure.
- Bloody Daughter de Stéphanie Argerich. Portrait de la pianiste Martha Argerich, parmi les musiciens les plus acclamés de sa génération. Le film est réalisé par Stéphanie, la fille de la musicienne. Vu de l’intérieur, il montre la face cachée du succès.
- La clé de chambre à lessive de Florian Devigne et Fred Florey. Portrait d’un microcosme, celui d’un bloc-appartement à Lausanne, en prenant comme objet la salle de lessive, commune.
- Crop de Johanna Domke et Marouan Omara. Un autre film sur les mouvements révolutionnaires, en Égypte. Le film prend le parti pris de ne jamais montrer de manifestation.