Un film trop ancré dans l’opposition de clichés pour en retirer une véritable réflexion. ♥♥

2015 marque le dixième anniversaire de ce que beaucoup ont appelé à tort ou à travers la Renouveau du cinéma québécois. C’est en effet en 2005, avec la sortie des États Nordiques de Denis Côté, que le mouvement a pris son envol. Pratiquement dans le premier plan de son film, Côté a fui la ville pour la région via son personnage de Christian, et n’y est jamais vraiment retourné depuis. Rapidement imité par les Rafaël Ouellet, Maxime Giroux ou Stéphane Lafleur, ces cinéastes partagent une esthétique commune qui constitue moins un désir de fracture avec la génération clinquante du plateau des années 1990 des Denis Villeneuve, André Turpin et Manon Briand qu’une volonté d’affirmer une signature ultra personnelle et singulière, tout en se référant aux grands noms du cinéma d’ici et d’ailleurs. Sophie Deraspe est également une cinéaste associée à ce mouvement; autant avec Rechercher Victor Pellerin qu’avec Les Signes Vitaux, on se plait à découvrir une cinéaste à la signature forte et originale, qui cherche autant à expérimenter avec le matériel cinéma qu’à raconter de bonnes histoires. Son nouveau film, Les Loups, l’amène comme ses comparses à la rencontre du territoire québécois.

Élie, jeune femme convalescente, débarque aux Îles de la Madeleine en pleine fonte des glaces et tente de s’intégrer à la communauté d’insulaires. Dans ce lieu éloigné, la vie se prend et se donne au gré des forces brutes de la nature. Élie éprouve à la fois dégout et attirance pour ces hommes qui pratiquent la chasse aux loups marins alors que la présence mystérieuse d’une nouvelle femme suscite la curiosité comme la méfiance. Maria, la matriarche, la louve protectrice de sa meute, se donne pour mission de détecter les motifs profonds qui animent Élie.

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Dès le premier plan, on est frappé par la beauté sauvage des Îles. Originaire des lieux par son père, Sophie Deraspe se fait un point d’honneur à montrer les Îles de la Madeleine à leur image; magnifiques et somptueuses, mais sauvages et impénétrables. La direction photo de Philippe Lavalette est de première force et représente magnifiquement l’environnement des Îles sans le trafiquer artificiellement. Toutefois, on le découvrira rapidement, le lieu ne sera pas seulement un environnement pour les personnages, comme chez Côté par exemple, mais carrément un éditorial, un point central essentiel à la compréhension du film duquel découle tout le reste. Deraspe mettra en effet peu de temps à mettre en opposition la fille de la ville aux gens de la campagne avec tous les clichés que le spectateur peu se faire fait sur l’un comme sur l’autre (fille de la ville snob et effarouchée – gens des régions colons avec un penchant sur la boisson, etc.). Les clichés sont des clichés pour une raison, mais de placer des clichés si grossiers et trop souvent rabâcher en opposition de cette façon n’invite pas à la compréhension ou la découverte de l’autre, mais davantage au confort de nos propres préjugés sans la réflexion essentielle qui devrait l’accompagner.

On verra bien une évolution des personnages avec une certaine humanité ou mise en perspective au fur et à mesure (dichotomie entre la chasse aux loups marins et les abattoirs montréalais, entre le bar des îles et les tavernes de Montréal), mais encore une fois, cette opposition est tellement marquée, qu’on peine à y voir un message profond outre le caractère-choc de ces segments (voir la chasse aux loups marins ou la finale) et on questionne surtout leur pertinence. La cinéaste semble avoir de la difficulté à cerner son histoire et cette recherche de sens est violemment ressentie lorsque, à la fin du film, deux climax particulièrement chargés en émotion viennent frapper les personnages (et le spectateur) pour accentuer artificiellement l’émotion ressentie; comme si on craignait que le film n’en suscite pas suffisamment…

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Dans le film, le personnage de Louise Portal parle des touristes qui viennent aux Îles pour 2 semaines l’été, mais ne veulent surtout pas que l’on touche à l’environnement le reste de l’année. Le spectateur se sent un peu comme un touriste durant le film; il visite un beau coin de pays pendant 2 heures, mais retourne ensuite à ses occupations et il se demande ce qu’il en reste si ce n’est que l’image somptueuse du pays. Nous nous identifions naturellement au personnage d’Élie dans la même situation que nous et dans laquelle la cinéaste semble avoir mis un peu d’elle-même. En donnant ainsi un point de vue au récit, la perception du spectateur est toujours teintée et le désir de rapprochement et de compréhension mutuelle qui pourrait émaner du film est trafiqué par des oppositions trop fortes. La dichotomie atteint notamment son paroxysme lors de la représentation de Montréal; autoroute et cônes orange dans le premier plan et lieu de vice et danger pour le reste… On se désolera de cette absence de nuance (ou par moment, surabondance, qui revient au même dans les yeux du spectateur) qui ne peut être réchappée par les excellentes performances, autant d’Évelyne Brochu que de Benoit Gouin, Louise Portal et Gilbert Sicotte.

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