Charlie’s Country

Misères et espoirs du néocolonialisme australien. ♥♥♥♥½

Comment assurer la survie d’une culture alors que tout ce qui est autour semble vouloir l’annihiler ? C’est un peu la question que se pose le cinéphile chaque seconde de sa vie, alors qu’il est confronté à une masse de films de plus en plus insurmontables et parfois insupportables, doublé d’un désintérêt de plus en plus marqué par la population en général et les médias en particulier pour le cinéma de niche qu’il chérit temps. Le cinéphile, espèce en voie d’extinction, héritier d’une culture maudite, semble être le seul à vouloir garder allumer une flame que tous s’efforcent à éteindre.

Sortons un moment des cinéphiles et entrons dans la société. Nombreux sont les peuples du monde qui, héritier de la colonisation des empires européens et néocolonialismes nationaux, sont bafoués dans leurs droits fondamentaux et reniés dans leur culture. Les exemples désastreux et alarmants sont légion. Dans Charlie’s Country, le réalisateur acclamé Rolf de Heer (Alexandra’s Project), choisit de s’intéresser à l’un de ses peuples. En tournant sa caméra vers Charlie, un aborigène australien tout ce qu’il y a de plus idiosyncrasique, c’est le destin d’un peuple en entier qu’il s’efforce de présenter.

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Charlie est un aborigène qui vit au sein de sa communauté en Australie. Essayant de vivre le mieux possible sur ce qui autrefois fut sa terre, il commence à sentir trop grande l’oppression des blancs. Abandonnés par les siens comme par le colonisateur, complètement désabusé, il entamera une quête en forêt, seul, sur la trace du mode de vie de ses ancêtres, alors qu’il est le seul à vouloir continuer une bataille que plus personne ne souhaite encore mener chez les siens. Le résultat sera un échec cuisant et un retour brutal à la réalité.

Le constat tel que présenté par de Heer dans Charlie’s Country est implacable ; l’occupation néocoloniale n’est plus physique, mais mentale. Plus besoin de combattre le colonisé, il est déjà vaincu. Ainsi, on lui montre qu’il ne peut survivre sans le bienveillant colonisateur. Celui-ci lui fournit argent, services d’ordre ou services médicaux. Il lui fait comprendre que sans lui, il n’y aurait de survie possible. Plus besoin d’utiliser la force des armes, l’assimilation et la manipulation feront amplement le travail. Colonisé par celui qui le fut autrefois tout autant, le Blanc (qu’il soit médecin ou policier) veut faire comprendre à l’aborigène qu’il est chanceux de l’avoir pour le prendre en charge. Chaque fois que Charlie ou l’un des siens souhaitent agir en dehors du cadre règlementé des Blancs, il est tantôt gentiment, tantôt brutalement ramené à la réalité, sans espoir d’être compris ou accepté.

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Dans son Portrait du colonisé, Albert Memmi dit que Le colonisé ne jouit d’aucun des attributs de la nationalité ; ni de la sienne, qui est dépendante, contestée, étouffée, ni, bien entendu, de celle du colonisateur[1]. Voilà où en est Charlie ; étouffée dans sa culture et refusé dans celle du colonisateur (j’ai de la difficulté avec les noms étrangers lui dira le médecin…). Au milieu de cette impossible dualité, Charlie, tente par tous les moyens de tirer son épingle du jeu, tantôt avec la police, tantôt avec les bandits, mais toujours avec les blancs. Trop rapidement, il sortira perdant au change de toutes les situations. Il tentera dans un ultime geste désespéré de s’extirper de sa condition en s’exilant du monde civilisé, en réalisant que les limites qui lui sont imposées à l’intérieur de la civilisation en dépassent finalement bien largement son cadre et l’obligent de gré ou de force à rentrer dans le carcan imposé par le colonisateur.

D’aucuns trouveront la conclusion de de Heer simpliste, à la glorification de l’homme blanc venant au secours du pauvre colonisé incapable. Le constat est d’autant plus brutal ; l’homme blanc a fait perde ses repaires et sa constance historique au colonisé. Charlie ne peut survivre seul en forêt, car il n’a pas sur faire sien le mode de vie de ses ancêtres. Il ne peut chasser, au fusil ou à la fourche, sans l’aval des Blancs. Il est condamné d’avance à s’éteindre à petit feu. C’est inéluctable. Malgré son regard plein d’espoir et sa détermination, il ne pourra réussir seul à extirper son peuple de sa condition tant qu’ils ne seront pas plus nombreux à la réaliser. Du cinéphile québécois à l’Aborigène australien, c’est le destin propre à toutes les cultures bafouées du monde.

 


[1] Memmi, Albert. Portrait du colonisé Précédé du Portrait du colonisateur. Folio actuel. 1957. P.115

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