Alanis Obomsawin est, dans l’univers du documentaire canadien, une véritable légende, sa tétralogie consacrée à la crise d’Oka fut vue et récompensée à travers le monde. Dans la présente édition du RIDM elle vient présenter son nouveau film, Hi-Ho Mistahey!, film qui sort presque simultanément avec Le Peuple de la rivière Kattawapiskak, deux films qu’elle tourna en même temps, prenant comme assise la même municipalité. Par une matinée très froide, de son propre aveu, la grande dame du documentaire canadien, à bien voulu discuter avec nous à la fois de son cinéma mais de la 7e génération qui prend son envol.
Alanis Obomsawin: Ça me décourage de voir l’hiver arriver, L’an passé c’était tellement long. Faut dire que j’étais à la baie James.
Laurent Gariépy: Vous étiez là pour le tournage?
A.O.: Oui, ça fait quelques hivers que je passe là-bas, tu te demandes comment les gens font par moins quarante, moins cinquante. Ils sont tellement habitués, à -30 tu vois des hommes dehors avec la chemise ouverte et moi, j’avais presque des glaçons. Après des générations et des générations à vivre dans ces froids-là…
L.G.: Vous avez deux films qui sortent presque en même temps, Hi-Ho Mistahey! et Le Peuple de la rivière Kattawapiskak, les deux films se concentrent sur la réserve d’Attawapiskat. Tout d’abord, pourquoi le «K» du nom de la rivière est absent du nom de la municipalité.
A.O.: Parce que le nom de la ville, ce n’est pas son vrai nom, les officiers du gouvernement qui ne connaissaient pas notre langue l’ont massacré, maintenant ça ne veut plus rien dire. Ce n’est pas la seul ville dans cette situation. Avec le temps, les villes reprennent leur nom d’origine, mais c’est très long parce que dans les papiers aux bureaux des affaires indiennes, officiellement c’est le nom avec les fautes qui persistent.
L.G.: Lequel des deux sujets vous est venu en premier?
A.O.: C’est celui que vous avez vu, hier (Hi-Ho Mistahey!), j’ai commencé à travailler dessus en 2010, mais j’étais à Attawapiskat quand la crise du logement a éclaté. Il y avait beaucoup de gens qui dormaient dans des tentes et des shed, ça devenait urgent et il avait beaucoup de mauvaise publicité. Moi, je les interviewais et il y avait un déprime énorme, surtout sur facebook, il y avait beaucoup d’insulte qui se disait tout comme dans les journaux et à la télévision. Alors j’ai laissé tombé Mistahey pour faire un film urgent sur ce qui se passait. Kattawapskak est sorti l’an passé et j’y suis retourné cette année pour finir Mistahey.
L.G.: Quand vous y êtes retourné, est-ce qu’il y avait vous avez vu des changements?
A.O.: Oui, vous essayerez de voir, j’ai tourné des bonus pour le film, un six mois plus tard. Parce que c’est important, tu vois que le gouvernement a finalement envoyé 22 maisons mobiles. Mais c’est sur qu’a long terme, ce n’est pas une solution. Après 5 ans, ça a l’air d’un baraque. Mais je comprends pourquoi les affaires indiennes ont fait ça, il fallait sortir les gens des tentes et des maisons moisies. Mais présentement, il se passe plein de chose, ils sont en train de construire l’école, c’est formidable. Et aussi, la chef Teresa Spencer, elle a actionné les affaires indiennes qui l’obligeaient à prendre un tuteur, une tierce partie et elle a gagné sa cause. Il y a un bonus sur ça aussi.
L.G.: Dans votre cinéma, il y a vraiment un importance aux enfants ou aux femmes enceintes, dans 270 ans de résistance et dans Pluie de pierres à Whiskey Trench, ça ne frappe pas particulière à la première écoute, mais revoyant les film, vous semblez y porter un attention particulière, et maintenant avec Mistahey, comme c’était le cas avec Richard Cardinal : le cri d’un enfant métis, ils sont vraiment le sujet même du film.
A.O.: C’est tout ce qui compte, les enfants. Les enfants et les droits sont les deux qui valent la peine qu’on si consacre. C’est pour ça que je suis toujours très concernée par ce qui les touche. Et des fois, comme ici, l’injustice est tellement énorme qu’on ne peut pas passer à coté. Comme vous voyez dans Mistahey, les enfants sont extraordinaires, ils sont tellement responsables. Quand Shannen est allé voir le ministre, il lui a dit que leur école n’était pas une importance pour le gouvernement…
L.G.: Le ministre a vraiment dit que l’école de la réserve n’était pas une priorité?
A.O.: Oui, et Shannen avait 13 ou 14, elle était brillante, elle est allée voir les autres enfants, elle a fait le tour des écoles pour leur raconter son histoire et la situation. Les professeurs ont eu un gros rôle aussi, mais c’est les enfants qui ont organisé les marches comme on voit dans le film.
L.G.: Est-ce que vous l’avez connu Shannen?
A.O.: Non, c’est après sa mort que j’ai connu son histoire, après avoir eu vent de ça, j’ai décidé d’aller voir ce qui se passait. Dans un premier lieu, je suis aller là uniquement avec une enregistreuse et j’ai fait le tour de toutes les classes des enfants. Ça c’était la premier étape, puis j’ai fais beaucoup d’entrevues avec des «teenagers» et des personnes un peu plus âgées. C’est la première chose que l’on voit, c’est la pauvreté qui est énorme. Mais je me suis dis, je vais revenir, je vais faire quelques choses.
L.G.: Est-ce que vous fonctionnez toujours comme ça, en tournant le son d’avance?
A.O.: Pour la voix, la parole c’est très important. C’est probablement parce que je viens d’un famille qui n’avait pas la télévision. Je fus élevée sans électricité, sans l’eau courante, donc automatiquement, on n’avait pas de télévision, pas de radio. Le soir, on s’éclairait à la lampe à l’huile et on s’écoutait parler. Pour moi la parole… pour nous, les jeunes, on écoutait les « grands » parler et c’était notre imagination qui faisait les images avec ce qu’on entendait.
L.G.:Pourtant, dans vos films l’images est toujours très importante. Je pense à vos films sur la crise d’Oka, dans 270 ans de Résistance, on dirait qu’il y a des caméras partout, des deux cotés des barricades, dans Pluie de pierres à Whiskey Trench, la caméra est au front quand l’armée veut traverser le pont, elle est également avec les gens qui lancent des pierres.
A.O.: Dans ces cas-là c’est complètement une autre façon de travailler. À Kanesatake, j’avais deux équipes, mais les images de Kahnawake, c’est des images de la CBC, si j’avais été là avec ma caméra quand il y a eu la pluie de pierres, ils m’auraient tuée, c’est certain. J’avais une équipe de nuit et une équipe de jour, mais après un temps, il y a un cameramen qui est parti. C’est moi qui ai pris la releve avec une caméra vidéo derrière les barricades et deux équipes dehors, à l’extérieur des barricades. On se parlait beaucoup par téléphone, mais on n’avait pas le droit de passer. Alors là c’est vraiment une autre façon de travailler, c’est du «Guerrilla filmmaking». Et quand ce fut terminé, je suis resté à Kahnawake faire ce que je fais habituellement au commencement. J’ai fais pleins d’entrevues avec les gens qu’on avait filmés en action. Mais il y a des gens qui m’ont dis des choses qui ne voulaient pas dire devant la caméra, pour La Pluie des Pierres, il y avait une dame qui travaillait pour une grosse entreprise dans ce coin-là et la journée que les gens ont quitté la réserves de Kahnawake, il y a un manager qui a fait finir beaucoup plus tôt ses employés pour qu’ils aillent bloquer la route. Mais je n’en ai pas trop parlé pour ne par qu’elle perde son emploi. Il y a pleins de gens qui m’ont dit plein de choses, mais je ne voulais pas mettre personne dans le trouble.
L.G.: Dans Hi-Ho Mastahey!, il y a une longue séquence sur la chasse à l’oie, ça n’a pas un lien direct avec le sujet principal qui est l’école…
A.O.: Dans le film, tout ce qui ne touche pas à l’école, c’est là pour montrer comment vive ce peuple-là. C’est important la chasse, parce que c’est ça qu’ils mangent. Sans chasse, ils ne pourraient pas survivre. Tout coûte tellement cher là-bas, ce n’est pas pour rien que j’ai mis une facture d’épicerie dans Le Peuple de la rivière Kattawapiskak, pour montrer à quels points tous coûte cher et que la chasse est importante….
L’entrevue connut encore un peu, elle continua a nous parler de son propre film sur les marcheurs Idle no more. Elle nous parla également de l’espoir qu’elle porte en la nouvelle génération. En remettant nos manteaux, elle s’intéressa longuement à nous, quelques choses de vraiment senti, pas seulement les politesses d’usage. Elle nous quitta pour la salle de montage pour le visionnement de rush de son nouveau film. Espérons qu’il serait terminé pour le prochain RIDM de l’an prochain et que l’on pourra encore une fois échanger avec cette grande dame du cinéma d’ici.
Voir notre critique de Hi-Ho Mistahey! (Hi-Ho Mistahey! [RIDM 2013])
Entrevue: Laurent Gariépy. Photographie: Gabriel Bouvier-Pelletier.