The Last tree : Chacun cherche son choix

Royaume-Uni, 2019
Note : ★★★1/2

Présenté en compétition officielle au festival de Sundance de 2019, The Last tree est le deuxième long métrage de Shola Amoo, un réalisateur engagé socialement depuis le début de sa carrière. Sa réflexion sur la gentrification du quartier de Brixton à Londres dans A moving image témoignait déjà sans équivoque de son amour de l’autre. Au cœur de ce nouvel opus, il sonde et scrute sur trois moments de vie, l’adolescence tourmentée de Fémi, un jeune britannique d’origine nigériane qui peine à se construire après avoir été contraint de quitter les campagnes du Lincolnshire, où demeure sa mère adoptive Mary (Denise Black), pour aller s’installer avec sa mère biologique (Gbemisola Ikumelo) dans un logement social de la banlieue Sud de Londres. Ainsi, il est retiré de sa famille d’accueil aimante et sécurisante, certes sans père, mais sans reproche, afin d’aller découvrir les codes culturels d’une femme aussi bien étrangère à ses besoins qu’à sa personne. Dans ce nouvel environnement relativement hostile à son épanouissement personnel, il va devoir apprendre à se connaître pour mieux définir l’adulte qu’il est sur le point de devenir.

The Last Tree | Michigan Theater - Virtual Movie Palace - Michigan Theater Foundation

Semi-autobiographique, le cinéaste souhaitait questionner son identité à travers le personnage de Fémi avec qui il partage cette double nationalité. Tourner à la fin des années 90 lui a donc permis de se replonger à l’époque des CD Walkman et des cellulaires dont la petite taille vous garantissait la nouveauté sur le marché, loin des calculatrices et ordinateurs de poche de notre époque que l’on arbore fièrement comme signe de réussite. Entre le plaisir et l’âpreté à retrouver certains souvenirs, on sent bien l’ambivalence avec laquelle il a dû composer pour recréer le climat social singulier du film, propice à ses propres questionnements intrinsèques. Il faut dire que son univers scolaire londonien, à 80% noir, détonne avec son enfance rurale monochromatique (il aime écouter le son rock des Cure). En effet, il était le seul garçon de couleur à jouer de manière récurrente au football avec ses amis. À chacune des étapes importantes de sa vie, il va pratiquer ce sport qui ne requiert pas l’usage de la parole pour échanger avec ses camarades comme avec des inconnus. Introverti, il va s’y adonner de façon à retrouver ses repères et explorer sa masculinité sans père à ses côtés. Évacuant un mal être persistant en contrôlant le ballon, il sera de moins en moins perdu et prendra alors sa place en terrain connu.

Les feuilles de route d’une vie.

D’une délicate poésie matinée d’espoir, doublée de quelques cadrages bien sentis, la caméra épaule suit Fémi dans ses tourments. Elle se veut complice et sécurisante lorsqu’il change de lieu de vie, au regard des pointillés de la route, parallèle à celle empruntée avant la bifurcation qui va le conduire en direction de sa nouvelle maison. Ébloui par la vive noirceur des lumières de la cité où il va passer les prochaines années à grandir, se former et s’éduquer, il lève dans un premier temps les yeux au ciel, étourdi par la hauteur et l’ampleur des bâtiments qui l’enserrent. La caméra qui virevolte traduit alors son malaise présent et ceux à venir face aux murs blancs de sa nouvelle chambre où il ne lui reste plus qu’à projeter ses maux et ses peurs d’enfant. Fini les couleurs chatoyantes des champs de son enfance aux vertus apaisantes. Le réalisateur nous dépeint avec une douce mélancolie les paysages diaphanes du Lincolnshire dans des teintes jaunâtres relativement chaudes qui contrastent avec la vie urbaine caractérisée par la grisaille terne et morne d’un quotidien anxiogène. La dissonance est d’autant plus frappante lors de sa première journée au bahut où il s’endimanche d’un complet/cravate, déstabilisé par un alourdissant chahut qu’il semble traîner comme un fil à la patte. Une jungle humaine où il n’est pas facile de survivre, à l’image de son déracinement mis en relief par un plan d’arbre amputé jusqu’au tronc.

The Last Tree: compelling and moving coming-of-age drama

Pas de répit pour Fémi. Pas question pour lui de se prélasser devant la télé. Il va promptement devoir apprendre à tenir une maison pour satisfaire sa mère qui tente, plus que de raison, de lui rentrer ces nouvelles routines dans le corps à coup de fouet lorsqu’il ne veut pas s’exécuter. S’il lui arrive d’être désobligeant à son égard, c’est parce qu’elle le tape lorsqu’il ne fait pas les choses comme elle le voudrait. Élevée à la rudesse d’une cuillère en bois, sa sévérité l’astreint malheureusement à ne pas lui témoigner d’affection, vivant souvent dans la négation d’une remise en question. Il n’y a pourtant pas à débattre de la sincérité de ses intentions, elle qui ne souhaite que la réussite et le pardon de son enfant pour son abandon. Cependant, lorsqu’elle cherche à lui inculquer ses valeurs par la force, il finit toujours, à juste titre, par se braquer et agir par provocation pour se défendre. Souvent séparés par un cadre de porte à l’écran pour souligner leurs désaccords, il va néanmoins apprendre à ne pas la juger, chaussant ses lunettes à l’occasion pour éclaircir leur situation. Faire des abdos et soigner son apparence lui permet alors de faire le vide dans sa tête. Le même vide qu’il observait tout petit du haut de son balcon, du haut de sa tour imprenable, enfermé par un cadrage en contre-plongée où ses frêles épaules portaient déjà sur elles le bagage émotionnel d’une famille et de tout un quartier.

The Last Tree review – A sensitive portrait of a complex childhood

Beaucoup s’accordent à dire que la période la plus marquante de notre vie est sans conteste l’adolescence. L’âge où l‘on veut tout faire sans s’investir pleinement, l’âge où l’on veut plaire sans vraiment savoir comment. À 15 ans, Fémi traîne avec ses amis comme on traîne son spleen. Ils sortent d’un dépanneur en courant après y avoir volé pour déjouer l’ennui. Rapidement, la lumière rougeâtre du soir s’apparente à un gyrophare s’efforçant d’alerter le jeune homme du chemin douteux qu’il est sur le point d’arpenter aux côtés des mafieux de la cité. Sur ces entrefaites, le plan d’une araignée suspendue à son fil renvoie à la fragilité du fil de la vie face aux décisions que le jeune homme va devoir prendre. Certes, l’univers dans lequel on grandit peut nous influencer, mais ne pas systématiquement être symptomatique de nos erreurs.

C’est aussi l’heure des premiers émois pour Fémi. Sa rencontre fortuite avec la fille aux cheveux bleus. Décider de cautionner l’intimidation ou d’être celui qui la dénonce C’est là tout l’apprentissage de la vie, se forger un caractère grâce à des valeurs que l’éducation n’est pas seule maîtresse. Chacun cherche son choix. À la sortie de l’enfance ou au commencement de sa vie d’adulte. Celui qui nous fait quitter un statut confortable pour parfois se mettre en danger et avancer. Car c’est aussi ça grandir. Essayer, tomber, recommencer, renouer, retomber de nouveau, reculer pour mieux sauter : accueillir chaque petit plaisir comme une grande victoire. Celle de savoir être heureux avec rien, avec pour seul bonheur le plaisir d’être soi. In fine, Fémi nous rappelle qu’il n’est jamais trop tard pour apprendre à s’aimer. S’aimer devient alors le choix d’une vie, celui de croire en soi avant de penser à donner.

Film Review: The Last Tree

Shola Amoo découpe son film en trois parties distinctes, trois époques charnières où le récit mêle parfois le drame à la réalité de son vécu, dans un coming of age touchant et percutant qui, dans la forme, rappelle évidemment le Moonlight (2016) de Barry Jenkins. La comparaison s’arrête là. On a beau suivre Fémi dans un récit initiatique de ses 11 ans (Tai Golding) à ses 16 ans (Sam Adewunmi), du Sud de Londres jusqu’à Lagos, The Last tree parvient malgré tout à trouver un ton qui lui est propre. Toutefois, il est regrettable que certains effets visuels viennent surcharger un message déjà lourd de sens et annihilent tout. En effet, de nombreux ralentis et quelques distorsions du son cherchent à mettre en exergue la souffrance d’un personnage avançant à contrecœur dans la vie (sa fête de départ chez Mary). C’est efficace, mais souvent convenu. En outre, la si belle musique de Segun Akinola ne se prête pas du tout aux images et au ton de ce film intimiste. Elle souligne, non sans maladresse, des émotions riches en interprétations dont les nombreuses influences écossaises rappellent les créations mélancoliques de James Horner qui fonctionnent à merveille pour des œuvres hollywoodiennes telles que Braveheart (Mel Gibson, 1995) ou Légendes d’automne (Edward Zwick, 1994). Par chance, d’autres tentatives s’avèrent plus réussies, à l’instar d’un travelling compensé où il marche, apathique, les épaules lestées par ses émotions qui l’empêchent d’avancer à son rythme. Il faudra que Fémi se rende au Nigéria pour compléter son apprentissage de la vie et faire montre de résilience. La mer balaye le sable sur la côte de Lagos et fait table rase de ses fautes lorsqu’il ira se baigner pour purifier son corps. Puis, dans un montage parallèle en flashback, la douceur de la photo vient l’accompagner, lui qui furette dans les champs plats de son enfance, scrutant l’horizon à marée basse à la recherche d’un ailleurs plein de promesses et d’ambition. Admirant l’immensité des lieux que la nature lui offre dans son plus bel écrin, il court puis il crie, en souvenir de l’enfant qu’il était et qu’il vient juste de retrouver. Un cri du cœur. De ceux qui vous libèrent tel un besoin primaire. Ne crie-t-on pas lorsque l’on vient au monde ? À l’évidence pour se sentir en vie autant que pour trouver sa voix (e).

Bande-annonce originale anglaise :

Durée : 1h39

Crédit photos : ArtMattan Productions

Ce film a été vu dans le cadre du Festival International du Film Black de Montréal.

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