États-Unis, 2020
Note : ★★★
Si dans le monde réel nous n’aurons jamais assez de Gloria Steinem, dans The Glorias la coscénariste et réalisatrice Julie Taymor en met trop en scène… en même temps. Un film biographique inspirant et qui se veut inspiré, mais à trop mettre en dialogue les différentes générations de Gloria, le film nous distrait de ce qui nous intéresse véritablement : les accomplissements majeurs de Gloria Steinem. Une biographie trop imagée, mais tout de même extrêmement inspirante.
Julie Taymor est certainement amoureuse de son héroïne, mais son univers très imagé de collage et de métaphores simplistes mais marquantes s’atténue ici. Loin de la pertinence politico-romantique de Across the Universe (2007) et du mariage parfait de ses talents et d’une artiste majeure Frida (2002), la réalisatrice semble plaquer maladroitement son univers à une trame narrative qui se devrait d’être simple et chronologique, soit les 30 premières années de vie de Gloria Steinem. Le film fait constamment des va-et-vient entre l’enfance, le séjour en Inde et l’autobus dans lequel les différentes Gloria s’accumulent tout au long du film. La métaphore simpliste qu’offre le bus (le regard posé par la fenêtre du bus roulant sur le chemin de sa vie) se veut efficace mais ne fait que déconcentrer le spectateur, surtout dans la première heure des 2h10 de The Glorias.
L’enfance et la vingtaine
Cette première heure est caractérisée par une trop grande présence d’effets de postproduction (noir et blanc et couleurs dans les mêmes plans, les effets visuels de l’autobus, beaucoup de musique extradiégétique, etc.). Il faut bien passer au travers des différentes expériences formatrices de la jeune Steinem (interprétée par deux actrices, jeune Ryan Kiera Armstrong et jeune adolescente Lulu Wilson) pour comprendre son militantisme, mais les croisements temporels complexifient plus qu’ils n’aident dans cette enfilade d’anecdotes (rencontres féminines en Inde, son amitié avec une jeune afro-américaine, son expérience au Times, sa relation avec son père (Timothy Hutton), son reportage en tant que Bunny Playboy, etc.). Si l’on comprend les liens thématiques de ces aller-retour, ils agacent. La Dorothy Pitman Hughes de Janelle Monáe vient dynamiser le tout à son apparition.
La maturité
Une fois cette heure passée et la transformation d’Alicia Vikander (la Gloria de sa vingtaine) en Julianne Moore (Gloria dans sa quarantaine et plus), Taymor semble assumer les caractéristiques visuelles qui la définissent. Le point de bascule est la scène d’entrevue télé où le discours intérieur conflictuel de Steinem (Moore) mélange, dans le style propre à la cinéaste américaine, les Bunny, des enfants, son silence, le journaliste et les images inspirés par The Wizard of Oz (sorcières, tornades, etc.). Taymor image ici la réflexion de sa protagoniste, son intériorité comme elle sait si bien le faire. Cette seconde moitié est alors plus affirmée et pertinente, moins perdue dans le dialogue intérieur et davantage dans les actions. Elle fonde le magazine Ms. ajoutant une nouvelle formule de politesse pour identifier une femme non mariée et indépendante. Elle donne un discours à l’École de droit de Harvard. Elle s’implique dans l’organisation de la National Women’s Conference de 1977 avec Bella Abzug (la toujours divertissante Bette Midler). Elle entretient son amitié avec Wilma Mankiller (Kimberly Guerrero) la première femme cheffe de la Nation Cherokee. Elle participe à une importante manifestation pro-choix. Cette seconde moitié est active, moins discursive.
Les scénaristes, Taymor et Sarah Ruhl ont fait le choix étrange d’exclure toutes ses fréquentations à l’exception de son mariage avec David Bale (le père de l’acteur anglais Christian Bale). Seul un téléphone mystérieux suggère qu’elle avait quelqu’un dans sa vie alors qu’au coucher, Gloria (Moore) parle avec un interlocuteur dont nous ignorons l’identité. L’objectif semble être ici est de mettre de l’avant ses actions et ses expériences de vie directement liées à son militantisme.
Les actrices sont excellentes dans leur travail de mimétisme. Il faut souligner le travail vocal de Vikander qui rend bien le ton de Steinem. Moore donne une intériorité à sa Gloria, étant majoritairement dans une position d’empathie, tout en réussissant ses performances devant les foules lors des multiples discours de la militante. Cette Gloria est celle de l’équilibre entre la femme affirmée et la femme intime.
Dans l’ensemble The Glorias est un film inégal, mais qui vaut un visionnement. Il n’est certes pas évident de condenser l’ampleur et l’importance de Steinem dans un seul film. Nous avons connu Julie Taymor plus en maîtrise côté cohérence formelle, mais cette seconde moitié inspirée et inspirante compense pour cette première heure inégale. Ne serait-ce que pour l’importance de l’œuvre politique de Gloria Steinem (et pour son apparition finale), The Glorias mérite votre attention.
Bande-annonce originale :
Durée : 2h39
Crédits photos : LD Entertainment et Roadside Attractions