Japon, 2018.
Note: ★★★★
Ses films y ayant été très souvent sélectionnés, Hirokazu Kore-eda est un habitué du Festival de Cannes. En 2018, il signe Shoplifters, une chronique naturaliste qui nous fait découvrir une famille japonaise reconstituée, poussée par l’indigence à recourir à diverses activités illégales pour survivre. Il remporte enfin sa première Palme d’Or avec ce film que l’on pourrait qualifier de quintessence de son œuvre.
Kore-eda demeure fidèle à ses thématiques favorites : la famille, l’enfance, la pauvreté et surtout les liens, très humains, qui se créent à l’intérieur de ces univers. Il retrouve également sa touche dans la réalisation : dépouillée, naturelle, attentive aux détails, aux petits moments, aux expressions faciales. Une réalisation qui laisse toute la place aux personnages et au scénario. Une réalisation patiente présentant à quelques reprises de très longs plans où il ne se passe rien d’autre que l’émotion que le cinéaste laisse vivre à ses personnages et aux spectateurs. Dans Shoplifters, cette approche produit des résultats particulièrement forts, notamment lorsque la mère de famille est interrogée par la police vers la fin du film. La caméra de Kore-eda, fixée sur le visage de la femme, s’attarde dans un silence traduisant une profonde douleur.
Mais plus fort encore que la douleur, il y a le bonheur. Shoplifters est un film qui fait sourire. Kore-eda a écrit un film sur le bonheur que l’on trouve ailleurs que là où la plupart des gens le cherchent. Hors du carcan de la morale, des lois, du politically correct. Le bonheur pour Kore-eda se trouve dans la proximité et non dans l’isolement. Les personnages de son film sont heureux avec presque rien. Certaines scènes du film sont particulièrement belles à cet égard. On pense ici à une simple sortie à la plage en famille, à la construction d’un bonhomme de neige sale à seulement deux boules ou à la scène durant laquelle les membres de la famille réunis, avec un grand sourire chacun au visage, écoutent les feux d’artifice à défaut de pouvoir les voir, symbole frappant de l’écart qui les sépare du reste du monde. Shoplifters contient également plusieurs scènes de repas collectif. Ils mangent mal, salement et bruyamment, mais ils mangent ensemble. Le récit se déploie au fil des saisons. Ils ont froid et grelottent l’hiver, sont luisants de sueur l’été. Leur adaptation aux rigueurs du climat est présentée de façon appuyée, comme une métaphore de leur capacité à survivre à tout, tant qu’ils sont ensemble.
Cette démonstration du bonheur dans l’intimité de ce qui tient lieu de famille est mêlée à d’intéressantes réflexions sur la relativité de nos valeurs et sur l’institution de la famille. Kore-eda ne porte jamais de jugement sur les comportements qui pourraient paraître amoraux des membres de cette famille. Ils sont pourtant menteurs, voleurs, manipulateurs et hypocrites… tout en étant ouverts, accueillants et aimants. Dans Shoplifters, la famille, c’est l’amour et l’entraide, sans qu’il y ait nécessairement des liens de sang. Une des plus magnifiques scènes du film démontre cette idée alors que la mère jette un vieux vêtement de la nouvelle venue dans la famille au feu puisqu’il lui rappelle son ancienne vie avec ses parents biologiques violents. Elle lui fait un long câlin en lui disant que c’est ça la famille.
Les idées essentiellement humanistes de Kore-eda sont présentées à travers une chronique assez tranquille et sans éclats jusqu’à ce qu’il arrive à les inclure, grâce à sa virtuosité scénaristique, dans une plus grave narrativité dramatique, introduite au troisième acte. Dès lors, les mystères contenus dans les scènes antérieures sont dévoilés et tous les petits moments de vie présentés plus tôt trouvent leur sens, gagnant en importance et en beauté. Ce bouleversement est typique de la manière Kore-eda.
Durée: 2h01