Grande-Bretagne, 2021
★★★
Premier long métrage documentaire de la cinéaste britannique Andrea Arnold, Cow nous plonge dans le quotidien de Luma, vache laitière d’une ferme du Kent, en Angleterre. À travers ce portrait animalier atypique, c’est une expérience à la fois sensorielle et émotionnelle que nous propose Arnold, qui a filmé l’animal pendant presque quatre ans, accompagnée de sa directrice photo Magda Kowalczyk. La cinéaste ambitionne ainsi de capter au mieux la réalité de Luma, engageant la caméra dans une danse rapprochée avec l’animal.
Si le concept de Cow semble au premier abord trancher avec les réalisations précédentes de la cinéaste, on y retrouve le même style, la même recherche formelle, et surtout les mêmes questionnements. Ce n’est pas la première fois que la cinéaste s’essaie au style documentaire — son dernier film American Honey (2016) (notre critique ici) mettait en scène une majorité de non-acteurs jouant leur propre rôle. Ce road trip d’une jeunesse américaine en rupture avec la société, refusant l’aliénation imposée par le système capitaliste, fait écho à l’asservissement animal de l’industrie alimentaire. La nature est aussi un personnage à part entière de son adaptation cinématographique des Hauts du Hurlevent, réalisé en 2011 dans les paysages brumeux du Yorkshire. C’est à l’abri des hautes herbes que Catherine et Heathcliff peuvent vivre leur amour interdit, en quête d’une liberté que la société ne leur offrira jamais.
Ces moments de liberté font aussi partie de Cow — lorsque les barrières de la ferme s’ouvrent enfin, les vaches se précipitent pour sortir : c’est la saison des pâturages, de l’herbe à volonté, des nuits à ruminer au clair de lune. La cinéaste s’attarde sur cette seule période de quiétude et de liberté pour ces animaux au rythme de vie infernal, dans cette usine dont ils sont la propriété. Bien sûr, c’est aussi et surtout au quotidien harassant d’une vache laitière qu’on assiste, celui des inséminations à répétition, des traites plusieurs fois par jour, de la séparation souvent déchirante entre la vache et son petit. Parmi les moments les plus marquants, on nous montre l’écornage du veau, une pratique courante qui consiste à brûler les emplacements des cornes pour empêcher leur développement.
Aux journalistes qui lui demandent si elle est végane, Andrea Arnold ne répond pas — à part qu’elle ne veut pas faire de son film un étendard militant. C’est d’ailleurs avec beaucoup de respect qu’elle parle des fermiers qui l’ont accueillie pour le tournage, et qui apparaissent régulièrement à l’écran sans être jamais vraiment identifiables. La cinéaste ne veut pas nous faire la morale, mais bien nous faire réfléchir sur ce qu’impliquent nos modes de consommation — à travers le regard, les comportements, les réactions parfois intenses de Luma, Arnold tente d’apercevoir l’intériorité de cet animal dont le corps est sans cesse violenté par l’homme. C’est forcément sur un dénouement tragique que se termine le film, une scène à laquelle on ne s’attend bizarrement pas et qui est difficile à regarder sans ressentir l’émotion de la mort du personnage principal auquel on s’était attaché et, finalement, identifié.
Cow est une tentative cinématographique transgressive dans la forme comme dans le fond, même si la cinéaste s’inscrit clairement dans la lignée du cinéma direct et d’une volonté de s’effacer derrière la caméra. Bien qu’elle ne prétend pas comprendre les pensées de Luma, elle nous offre des clés de compréhension et surtout, pose un regard empathique sur une condition animale aliénée par l’élevage industriel.
Bande-annonce :
Durée : 1h38
Crédit Photos : IFC Films