Quand les cris inaudibles deviennent des feux d’artifice aux couleurs dévorantes

Québec, 2020
Note : ★★★★

Chicoutimi-Nord, 1996.

« Tu vas finir droguée dans la rue, c’est ça que tu veux? »

« Je m’en fous. »

Ce dialogue entre Catherine (Kelly Depeault) et sa mère (Caroline Néron) peut sembler anodin, mais il s’agit d’un instant cinématographique puissant qui illustre à merveille le désastre sous-jacent à l’existence de Catherine, celui qui se perpétue par ses parents qui se dévorent mutuellement, et celui à venir, qui lui permet de s’échapper du chaos familial pour goûter à ce chaos qui se trouve au dehors, celui qui permet de se connaître et d’exprimer, avec violence, cette soif de vivre, ce cri tant de fois réprimé. Quel être en pleine croissance forcé d’assister constamment aux problèmes de ses parents ne voudrait pas se perdre dans cet exutoire où la vie semble pétillante comme un feu d’artifice, où le réconfort se présente sous la forme d’une bande où il est enfin possible d’être soi-même, d’exister ou même de respirer et d’en avoir des étoiles dans les yeux?

La réalisatrice, scénariste et romancière québécoise Anaïs Barbeau-Lavalette nous offre une expérience prenante et tumultueuse avec La déesse des mouches à feu, une adaptation cinématographique signée Catherine Léger d’après le roman à succès du même nom, écrit par Geneviève Pettersen et paru en 2014 aux éditions Le Quartanier. Il s’agit d’un film punk où les conversations tournent autour de Christiane F. et de Pulp Fiction, le film favori de Catherine. Si les adolescents consomment la vie, la musique et les substances à 100 milles à l’heure, le regard personnel et intense que porte la cinéaste sur l’effervescente et étourdissante jeunesse ne fait pas du long-métrage un film important… mais bien un film crucial.

Crucial, parce qu’il ne s’adresse pas aux êtres moralisateurs de ce monde. Quelle morale peut-on se permettre de servir à la victime d’un environnement aussi toxique que celui de Catherine? La qualifier de rebelle serait réducteur, si ce n’est que pour l’ancrer dans la culture grunge de sa génération. C’est une adolescente qui vit dans ce cocon violent et insécurisant, et qui se perd dans ce qui lui permet enfin d’en sortir. Si elle ne cherche pas à se perdre, à finir droguée dans la rue, elle s’en fout. Que peut-il y avoir de pire que d’être constamment exposée à la fragilité psychologique des êtres qui lui ont donné la vie?

L’univers de ce récit propose une représentation de l’adolescence qui répugne autant qu’elle fascine. Il y a des vulgarités, des aberrations, des préjugés, des cliques… ce qui n’est que la pure réalité, encore davantage en milieu rural comme l’est Chicoutimi. Mais l’odyssée de Catherine, elle, est pleine de poésie, d’une poésie rare dont l’aspect terrifiant du parcours ne peut que lui conférer encore plus de magie. L’exutoire porte plusieurs visages, incluant celui du risque et du danger. Se frotter à cette belle et dangereuse liberté permet à la déesse de déployer ses ailes sur le pont de Saint-Anne, qu’elle traverse à vélo avec Keven, moment porteur d’une douceur infinie qui contraste magnifiquement avec le vacarme incessant que produit l’œuvre. Mais pas seulement. Ce moment est si pétillant et important qu’il semble aussi porter en lui le tumulte, et toute la noirceur du monde, et donne à cette noirceur la place d’accessoire oublié à la maison alors qu’en cet instant toute la beauté du monde se trouve devant soi… autrement dit, ce qui importe vraiment. Des moments cinématographiques précieux, chacun d’eux permettant au spectateur de contempler et de s’abreuver de cette force impétueuse qu’est l’adolescence, La déesse des mouches à feu en regorge. Et cette ressource inépuisable d’instants où le cri l’emporte sur le silence fait briller le long-métrage de mille feux.

 

Durée : 1h45

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