Servants ou la dualité du serviteur

Slovénie, Roumanie, République Tchèque et Irlande, 2020
Note : ★★★★

 

Avec son second long métrage de fiction, le réalisateur tchèque Ivan Ostrochovský offre une expérience visuelle et sonore d’un chapitre peu raconté de l’histoire de la République Tchèque. Servants est un film méticuleux qui met de l’avant l’expérience de la répression et les dilemmes moraux et éthiques que vivent ses personnages. Un film à regarder, entendre et vivre.

En 1980, Michal et Juraj, deux jeunes hommes, s’inscrivent à un séminaire de formation de prêtres catholiques pour éviter le totalitarisme du gouvernement de leur pays, la Tchécoslovaquie. Peu de temps après leur arrivée, ils découvriront que leurs supérieurs collaborent avec le Parti Communiste alors qu’une résistance se forment au sein des jeunes séminaristes. Sous la répression, Michal (Samuel Skyva, dans son premier rôle) se radicalisera en participant à la résistance envers la police qui fait pression sur les membres du séminaire, alors que Juraj (Samuel Polakovic, également dans son premier rôle) marchera sur la ligne entre collaboration au régime répressif et l’opposition.

Juraj incarne cette dualité qui se retrouve partout dans Servants. En fait, ces dualités puisque le film oppose ces éléments : les séminaristes et leurs supérieurs, la résistance et le Parti Communiste (incarné par le policier), la religion et l’État, jeunes et plus âgés, ainsi et surtout la division entre amis. Le cinéaste applique ce concept jusqu’à ses éléments cinématographiques : le noir et blanc, l’angle neutre de la caméra et les prises fixes en vue d’oiseau (angle à 90 degrés), les sons et les silences.

Avec ce noir et blanc où cette neutralité des couleurs apporte une certaine austérité au film qui lui sied bien; étant une période de répression politique. Ivan Ostrochovský et Juraj Chlpik, le directeur de la photographie, exploitent parfaitement la lumière; des ombres fortes en symbolisme (voir image) jusqu’à la manipulation du regard des spectateurs (le blanc attirant le regard plus facilement), ils exploitent à son maximum le potentiel des éclairages ou son absence. Cette balance éloquente est subtile, mais enrichie grandement l’aspect visuel du film, déjà magnifique à un premier regard rapide.

Servants n’est pas un film émotionnellement spectaculaire au point de vue narratif (même si sa fin est engageante), ses personnages étant relativement peu expressifs rendus par le jeu sobre de ses acteurs, mais il le devient grandement par son expérience formelle. Outre le magnifique noir et blanc et sa lumière, le travail sonore est impressionnant, devenant un personnage en soi.

La musique de Cristian Lolea et Miroslav Toth est extrêmement présente, et elle est assumée et ce sans excuse. Elle accompagne et rythme les images, le montage et les gestes des protagonistes. À point tel que son absence devient une coupure soulignée par la réalisation, attirant l’attention du spectateur à un geste ou une image. Le ton de la musique est avant tout inquiétant et austère, aux limites de l’expérimental, nourrissant ainsi le danger des risques des résistants de même que l’ambiance répressif de la société tchèque à ce moment de leur histoire. Il faut ajouter à cela le bruitage et l’ambiance sonore tout aussi présents et austères. L’univers sonore de Servants crée une atmosphère de film de science-fiction entre le suspense d’un drame d’espionnage et un film d’invasion d’extra-terrestres à la Invasion of the Body Snatchers (celui de Don Siegel en 1956 et celui de Philip Kaufman en 1978).

Le travail combiné de Michal Novinski (désigner de son), Tobias Potocny (son) et Bohumil Martinák (mixeur) mérite d’être souligné et célébré. Même chose pour la musique. Tout ce travail sonore est un des, sinon le, le plus impressionnant pour un film de fiction en cette année cinématographique 2020.

 

Outre son travail formel intéressant, impressionnant et magnifiquement exécuté, Servants met en scène cette résistance avec aplomb. Et ce même si narrativement, il y a peu de développements ou revirements. La ligne narrative est simple et sert surtout à rendre l’expérience sensorielle et psychologique de cette résistance. En un court 80 minutes, le film est efficace et met de l’avant la qualité technique avant la complexité scénaristique. Servants rend, montre et nous fait questionner, sans jamais faire dans la dentelle. Sa fin somme toute tragique en est le testament.

 

Bande-annonce originale tchèque avec sous-titres anglais :

Durée : 1h20

Ce film a été visionné dans le cadre du Festival du nouveau cinéma 2020

Pour tous les détails sur le film ou comment le visionner

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