Québec, 2019.
Note: ★★★ 1/2
C’est allongé, confortablement pour certains, sur un coussin à même le sol que débute la représentation de Chute Libre à la Satosphère, un film de Dana Gingras accompagné d’un texte écrit et narré par Marie Brassard, qui se passe de présentation. Inspirées par le foisonnant imaginaire de la chute, les deux créatrices proposent un amalgame de ces interprétations, comme quoi l’essence de notre existence ne serait qu’une continuelle tombée dans le vide.
Hébergé par la Société des arts technologiques, cet imposant dispositif, une sphère à l’intérieur de laquelle sont projetées des images, permet une immersion quasi complète grâce à un écran en forme de dôme dont l’amplitude dépasse celle de notre champ de vision. En se laissant pleinement aller, l’écran devient, l’espace de quelques instants, l’entièreté de notre perception visuelle.
La chute, c’est bien sur la relation d’un corps et de l’attraction terrestre, union indéfectible qui nous attirera toujours vers notre fin. C’est aussi la nouveauté, la perte de repères, le risque, le refus de l’immobilité; tant de définitions qui, adjointes l’une à l’autre, couvrent un pan non négligeable de notre expérience. Par les imposants moyens techniques mis à la disposition des différentes créatrices – et créateurs – impliquées dans le projet, le caractère immersif du film est très bien exploité. Certaines séquences créent réellement l’impression de vertige. D’autres, par leur foisonnement de stimuli sensoriel, rappellent l’étourdissant tourbillon du quotidien.
La stimulation sensorielle, c’est là-dessus que repose le film. Par un écran trop grand pour en capter l’entièreté, par une surenchère de corps qui défilent devant nos yeux, par une musique, composée pour l’occasion, englobante et par la narration de Marie Brassard, alternant l’anglais et le français, le spectateur se retrouve submergé. Le texte justement se perd parfois dans cet amas projeté vers l’auditoire, alors qu’il semble être une des clés du sens de l’œuvre. La question survient alors : au-delà de la réussite technique, que nous évoque cette création? La réponse est peut-être là. À l’image de cette obsession toute contemporaine du « FOMO » (fear of missing out), on manque définitivement des éléments dans ce film, comme dans la vie, comme dans une chute même. Devant le feu roulant qu’est parfois la projection, on tente de s’accrocher à un élément. Mais en le faisant, on passe alors nécessairement à côté d’autre chose.
« Le rêve est en train de tomber.
La brutalité est révélée.
Je n’aurais pas dû venir ici… »
…récite Marie Brassard. À peine entendue, on tente donner sens à ces paroles, ou à d’autres ayant retenu notre attention. Immanquablement, on perd le fil envahi par tout ce qui nous assaille pendant les quelques 30 minutes de projection.
Sans compromis dans la direction artistique, Chute Libre suit un tracé bien établi par les créatrices sans toutefois imposer un point de chute. L’effervescence issue de la superposition de tous les éléments du film ne fait qu’ouvrir différentes avenues que le spectateur empruntera à sa guise. En résulte un enchevêtrement de peut-être et d’hypothèses quant au sens du film et à sa réception, même personnelle. En ce sens, cette chute est donc une réussite. À voir pour la volonté d’être dérangé, sollicité, agréablement surpris, même, et avec la garantie qu’on en ressort sur nos deux pieds.
Durée: 32 minutes