Entrevue pour Le roman de Jim des Frères Larrieu

Aymeric, le beau-père de Jim, a rencontré Florence, sa mère, alors qu’elle était enceinte de six mois. Tous les trois mènent une vie heureuse dans le Jura jusqu’à ce que le père biologique, Christophe, revienne à la suite d’une tragédie personnelle. Aymeric ne trouve plus sa place et, éloigné de l’enfant, il décide de partir faire sa vie ailleurs. Mais des années plus tard, Jim, 23 ans, frappe à sa porte.

Arnaud et Jean-Marie Larrieu, Karim Leklou bonjour, Le roman de Jim est l’adaptation du livre éponyme de Pierric Bailly (sorti en mars 2021) qui vous a fait parvenir son roman via sa maison d’édition dans le but de le transposer à l’écran. Comment avez-vous reçu cette proposition sachant que le mélo n’est pas un genre auquel vous avez l’habitude de vous prêter bien que certains de vos films l’aborde?

J-M : Un homme, un vrai partait comme une comédie et pourtant, on se souvient toujours qu’à la fin ça se finit dans l’émotion. Dans une scène, il y avait une petite fille qui disait « maman » et à ce moment-là, tous les gens nous disaient que les larmes coulaient. On sait maintenant que lorsque des enfants parlent avec leur cœur, on va toucher le public à des endroits sensibles.

Surtout dans Le roman de Jim.

J-M : Tout à fait.

Le roman se déroule sur plus de 20 ans. J’ai trouvé intéressant le fait qu’Aymeric aime prendre des photos et figer le temps dans l’instant présent alors que vous, par le biais des ellipses, vous l’accélérez. Comment avez-vous choisi les moments clefs sur lesquels vous concentrer?

Arnaud Larrieu : Oh ils sont assez simples les moments choisis. Il y a la rencontre, la première nuit, la naissance de l’enfant, ses premiers pas, son anniversaire, l’installation à la campagne…

J-M : Disons que ce qui était compliqué, c’était de faire passer ces moments-là de manière fluide. De temps en temps, il y a une grande ellipse comme pour le retour du fils. Il fallait que l’on montre en 1h40 que les années passent mais de manière insensible. Nous voulions montrer une vie sans verser dans le quotidien avec son fils Jim. Par exemple, on ne le voit préparer ses devoirs qu’une fois et Aymeric l’emmène à l’école une seule fois également. Ce sont des moments du quotidien qui deviennent épiques car on ne les voit pas beaucoup. Je pense que c’est ce qui fait que cela nous provoque de l’émotion. Tout d’un coup, ça nous fait comprendre que tout est romanesque dans nos vies si on les ramasse en un temps très court.

Il y a deux ans Les enfants des autres de Rebecca Zlotowski explorait la difficulté à incarner un parent adoptif à travers une femme (Virginie Efira). Dans votre film, le rôle revient à un homme (Karim Leklou). Il est présent à chaque moment important de la vie de Jim. C’était une volonté pour vous de montrer qu’on ne devient pas père parce qu’on a planté une graine mais parce qu’au quotidien, on participe à la construction de l’enfant, à son apprentissage?

Arnaud : Tout à fait.

J-M : Oui vous avez bien résumé. On est en train de le reformuler mais je pense qu’il n’y a de famille que d’adoption. Ce n’est pas juste de dire que les familles d’adoption sont aussi fortes que les autres mais simplement qu’au fond, il faut finir par tous se choisir.

Oui on peut avoir des parents de cœur, une famille de substitution.

JM : Oui voilà. Ça rejoint nos sujets. Rien n’est écrit. On est libre et tout reste à faire.

Il y a beaucoup de choses qui relèvent de l’inconscient collectif et qui nous façonne. Lorsqu’ Aymeric coupe le cordon ombilical à la maternité et qu’il sort dehors, un autre homme lui dit « c’est le plus beau jour de ma vie ». On sent à ce moment-là qu’il a du mal à se sentir légitime de la place qu’il occupe. Ce n’est pas quelque chose qu’il avait prévu et malheureusement, la société n’a toujours pas beaucoup de considération pour ce rôle moderne de parent.

Karim : J’ai l’impression que c’est une convention de dire « c’est le plus beau jour de ma vie ». Aymeric ne le ressent pas comme ça à l’instant même, au-delà d’un discours sociétal. Je trouvais ça intéressant que tout d’un coup, cette situation soit présentée comme un instant magique bien que lui ne la vive pas encore tout à fait comme ça.

J-M : Je ne dirais pas qu’il ne se sent pas légitime. En fait il n’a juste pas la même émotion que l’autre papa. Pas du tout, même.

C’est assez récent toutes ces prises de parole autour de la paternité qui rendent compte d’une envie chez beaucoup d’hommes de s’impliquer au-delà du rôle que la société a bien voulu leur donner. La construction émotionnelle de l’enfant revient souvent à la mère parce qu’un homme, un vrai, ça reste fort, ça se tient debout et ça ne parle pas de sentiments. J’ai senti une réelle envie de rééquilibrer la légitimité à pouvoir prétendre élever son enfant aussi bien qu’une mère. Il est aussi dans un début de relation avec Florence ce qui représente un challenge.

Karim : Effectivement c’est une découverte. Il y a quelque chose de nouveau pour lui, c’est une rencontre. Au-delà même du terme de père adoptif, moi ce que j’aimais bien et que je trouvais assez juste, c’était cette idée de dépeindre quelqu’un qui arrive dans cette toute nouvelle relation. Je trouve souvent que c’est un code de société que de dire « c’est le plus beau jour, de ma vie, c’est fantastique ».

J-M : Moi j’ai eu un enfant. Mon angoisse, c’était qu’il me ressemble. Je ne voulais pas faire de double. Et quand il est né, j’ai finalement réalisé que ce n’était pas moi et ça m’a procuré un grand bonheur.

Comme un relâchement?

J-M : Oui je m’en souviens très très bien. Il y avait une autre vie qui n’était pas la mienne, même si après il faut s’en occuper. En plus, Il se trouve que c’était une petite fille.

(Rires d’Arnaud)

Mais ce qui est intéressant dans le cas d’Aymeric, c’est qu’il ne peut pas avoir cette angoisse-là pour le coup.

Karim : Oui c’est le fils de quelqu’un d’autre. En tout cas, ce que j’aime bien dans le récit, c’est justement comment en prenant sa place au fur et à mesure, cet amour grandit pour que Jim devienne son enfant pleinement. D’ailleurs, je pense même que pour Aymeric la question de l’adoption ne se pose pas et que Jim est son enfant, d’une façon viscérale en quelque sorte. Mais c’est vrai qu’au départ, il y a une rencontre avec quelqu’un qui n’est pas de lui. Et ça c’est intéressant.

J-M : Tu vois, ce n’est pas un hasard que je raconte cette anecdote par rapport à « c’est le plus beau jour de ma vie ». En fait, lors de l’écriture, je me suis mis à la place du con qui fume sa clope et qui téléphone à tout le monde pour annoncer la bonne nouvelle. J’ai caricaturé ce moment bien entendu et en même temps, il est comme on le montre. Il fume une clope… Dans le livre, Aymeric voit tous les gens appeler d’autres personnes et se demande qui est-ce qu’il va pouvoir appeler. Sa sœur finit par répondre et lui demande de féliciter la mère parce que dans le fond, il n’a rien fait. Ça peut être difficile de prendre sa place mais il y arrive bien.

Aymeric c’est une sorte d’anti-héros qui ne vit rien d’extraordinaire, un peu poissard. C’est un gars simple qui n’exprime pas ses sentiments. Quand il passe de père à parrain, il en rigole :« je rétrograde en deuxième division ». Il subit la décision de Florence d’une manière touchante et bouleversante. J’y ai vu deux choses, la première, c’est de ne pas vouloir faire de vagues afin de ne pas perturber l’enfant davantage et la seconde, c’est une forme de fatalité, comme s’il savait qu’il allait s’embarquer dans un combat qu’il ne pourrait pas gagner parce que c’est la mère. Comment avez-vous construit ce personnage?

Karim : Selon moi, c’est la qualité d’écriture des Frères Larrieu déjà très belle chez Pierric Bailly qui m’a permis de composer mon personnage. La façon dont il réagit face aux évènements de la vie comme tous les personnages d’ailleurs des films d’Arnaud et Jean-Marie me paraît plus vraisemblable. Je crois que le cinéma nous a trop habitué à certains codes de narration, au combat et à des choses violentes. Or, on se rend compte que lorsqu’il nous arrive des choses dans la vie, on les traverse plus ou moins dignement. J’ai l’impression qu’Aymeric les traverse très dignement et qu’il essaye d’avancer, sans chercher à changer de psychologie et à devenir un autre type. J’aurais trouvé ça un peu factice. Et ça, c’est quelque chose que j’aimais beaucoup dans le scénario. Je ne trouvais pas Aymeric forcément passif même si c’est un gars du quotidien. Ce n’est pas un anti-héros pour moi, c’est juste un gars qui mène sa vie simplement, en couple et qui travaille tout en essayant d’éduquer son enfant. Et puis quand tout se casse la gueule, ça devient plus compliqué, comme pour beaucoup de gens. J’aimais vraiment beaucoup l’idée que le personnage ne change pas de psychologie. Souvent, lorsqu’on vit des drames, on les traverse sans éclats. Et j’aimais beaucoup ça du personnage. Pardon je me suis excité.

Mais non, vous êtes passionné. (Rires). Quand je parlais d’anti-héros, je voulais surtout mettre en lumière le fait qu’Aymeric est comme vous le décrivez, à l’opposé de ce que l’on nous propose d’habitude. Lors de la scène du cambriolage, il est passif, il n’arrive pas à dire non et se laisse embarquer dans cette histoire sans réfléchir aux conséquences pourtant lourdes à son égard.

Karim : Oui. Il est passif comme on peut l’être quand on est jeune. Et c’est ça que j’aime bien chez lui. C’est ce qui fait justement de lui un héros du quotidien.

J-M : C’est sûr que c’est troublant qu’il se laisse entrainer mais de toute façon, on voit bien que ce n’est pas sa destinée de devenir cambrioleur.

Arnaud : Et le cambriolage, il le comprend au moment où il est en train de le faire.

Karim : Oui et le temps qu’il comprenne ce qui est en train de se passer, il est déjà trop tard et il se fait embarquer.

Le personnage de la mère campé par Laetitia Dosch prend des décisions pour le moins surprenantes dans l’éducation de son enfant. Sous couvert qu’elles sont toutes animées par un désir de penser au bien-être de l’enfant, nourrit par de bonnes intentions, elle ne pense pas un instant à demander à ce dernier ce qu’il en pense. Je l’ai trouvé opportuniste et égoïste. Pour autant, on sort de la séance en étant plus compréhensif à l’égard de certains de ses choix questionnables. C’était important pour vous que l’on ne juge pas trop durement ce personnage?

J-M : Oui, ça a été un gros travail de préparation. Il y a eu des réactions assez violentes sur son personnage lors d’avant-premières. Il y a c’est sûr une certaine cruauté de la situation. Pourtant, elle n’est pas calculatrice. Elle a sans doute commis des erreurs mais comme n’importe qui dans la vie. D’ailleurs, les erreurs, elles se construisent à plusieurs. Certes, le dernier mensonge est assez radical. Mais elle n’a pas songé un instant que ça aurait des incidences si fortes sur la vie d’Aymeric. Et encore moins que son fils réagirait aussi difficilement. Ils sont tous un peu dépassés. Mais ça, c’est quelque chose qui arrive tout le temps dans la vie.

Karim : Je trouve que c’est une grande force du récit la façon dont les évènements sont dépeints dans le film. En tout cas, il n’y a pas de manigance chez Florence ou une volonté de faire du mal. Je trouve ça très beau que les personnages puissent se faire du mal sans avoir eu conscience de le faire.

Parce que lorsque Florence part, elle est persuadée que c’est pour le bien de l’enfant.

Karim : Oui. Elle dit même que Jim allait très mal et quand il revient plus tard, lors de la scène de la via ferrata, on voit bien toute la souffrance qui l’habite.

J-M : On dit toujours qu’à l’adolescence, l’enfant fait sa crise et qu’il est censé s’attaquer au père pour le tuer symboliquement. Et ce que lui raconte Florence, c’est arrivé mais à travers un mensonge qu’il n’a même pas eu à vivre. Il n’était pas là. C’est très cruel cela dit.

Karim : Oui mais elle a réussi à lui dire. Je trouve que c’est malgré tout une forme d’honnêteté et de respect. Elle aurait pu simplement ne plus donner de nouvelles et ne jamais avouer ce qu’elle a fait. Ça lui importait qu’il sache en bout de ligne.

Et c’est un beau geste d’amour finalement.

La nature est un personnage à part entière dans chacun de vos films. Ici, la temporalité se découpe même en saisons. Pourquoi l’avoir évoquée de cette façon?

Arnaud : Déjà, c’est la vie quand même. On a tendance à l’oublier.

J-M : Jean-Marie et moi, nous avons grandi avec la nature, tout comme l’écrivain. On a toujours eu une accointance avec elle.

Arnaud : Je pense qu’on aime surtout les endroits. Même les villes de campagne nous les filmons peu comme Saint-Claude où est tourné une partie du film.

J-M : On a choisi Saint-Claude parce que c’est justement une ville au cœur de la nature.

Lors des retrouvailles avec Jim, la balade en forêt recouverte de mousse m’a rappelé la fantasmagorie de 21 nuits avec Pattie (ce qu’on en a pensé ici). Un nouveau monde semble s’ouvrir à eux, mystérieux et prometteur à la fois. Est-ce que pour vous le lieu où l’on vit nous façonne? Est-ce que ce n’est pas elle qui sauve Jim lorsqu’il se sent perdu et qu’il devient guide de montagne? Elle semble l’aider à se construire émotionnellement.

J-M : Il y a l’historique et le géographique, comme à l’école. C’est vrai que les lieux nous façonnent. C’est sûr.

Arnaud : Ça inscrit des sensations.

J-M : Oui, voilà. Il y a un côté animal disons. Comme un rapport à l’espace et au son. Nous avons grandi dans une petite ville mais il y avait la montagne. Nous étions tout le temps dehors. Tout le temps. Et Pierric Bailly aussi. Sur le film, il y avait des intérimaires qui allaient à l’usine et qui remontaient à la montagne le soir. Et ça, on aimait beaucoup. Ça nous parlait et à Pierric également puisque ça a été un peu sa vie.

Arnaud : Sur le tournage de 21 nuits avec Pattie, le côté nature ça faisait un peu rigoler les Parisiens. Surtout les séquences de nuit dans la forêt. Et puis un soir, lors d’une fête où les gens avaient pas mal bu et que leurs voitures étaient garées à 100 mètres, il y en a plusieurs qui au bout de 50 mètres faisaient demi-tour car ils ne se sentaient pas capables de traverser cette forêt la nuit. Ce sont des gens qui n’ont pas de rapport avec la nature et qui de manière instinctive sentaient qu’il se passait un truc. Il y avait des animaux donc il y avait des sons, il y avait une vie. Mais une vie qui leur était inconnue. Pour d’autres personnes, la nature symbolise la solitude. Il y a même des gens angoissés par la montagne parce qu’ils se sentent isolés.

Lorsque Jim prend des photos, les images sont parfois thermiques, dans des couleurs rose, bleu vert et jaune. Des teintes que l’on retrouvera dans la chambre d’hôtel, dans la boite de nuit ou encore avec une lampe. Ces changements de couleur, ne seraient-ils pas une métaphore de nos émotions, comme le changement inexorable des saisons, en constante mutation? C’est comme si les émotions du film passaient par le traitement de la photo. Il y a de la vie.

Arnaud : Techniquement, c’est du négatif comme on le faisait avant. Pour les jeux de lumières dont vous parlez, il faudrait demander à la cheffe-opératrice. Je me demande si elle a inventé tout ça ou si c’est inconscient.

J-M : En tout cas, j’aime bien votre formulation de dire que les émotions se diffusent, un peu comme des infrarouges.

C’est à l’image de votre cinéma je trouve, de cet amour des gens ordinaires, de cette façon singulière de filmer l’ordinaire et le quotidien qui font partie de la vie. Ça me rappelle le cinéma de Manuel Poirier avec qui vous partagez cette accointance. Et aussi Sergi Lopez.

J-M : Merci.

Ce n’est pas votre première fois à Montréal il me semble.

J-Marie : En effet, on est beaucoup venu au festival du Nouveau Cinéma qui a choisi je crois tous nos films. On est content cette année d’être là pour la trentième de Cinemania. On vient régulièrement. On considère que Montréal est notre terre d’accueil sur le continent américain. Par contre, c’est la première fois pour Karim.

Karim : C’est assez joli de venir avec un film où on évoque Montréal alors que mon personnage n’y va pas. J’ai l’impression de faire le trajet que j’aurais dû finalement faire avec lui, mais ça n’aurait sûrement pas donné ce film-là. Je suis très heureux et assez touché de venir ici.  Au-delà de la question de l’argent pour Aymeric, mon personnage, il y a aussi une frontière mentale. Dans la vraie vie, on se dit parfois que c’est un grand voyage à entreprendre. C’est un très grand voyage pour moi également et je suis très content d’être ici.

***

Durée : 1h41

Crédit photos : Copyright Pyramide Distribution

Cette entrevue a été réalisée dans le cadre de la trentième édition du Festival de Cinéma Cinemania.

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