Lady Vengeance : Quand le mot vengeance ne suffit plus

Corée du Sud, 2005
Note : ★★★★

Une nuit enneigée, une ville silencieuse, un gâteau au tofu dont la blancheur s’est éclipsée et au bout des chemins, des larmes emportant avec elles 13 ans et demi de vie, 13 ans et demi de patience…13 ans et demi pour qui le mot vengeance ne suffit plus.

Sympathy for Lady Vengeance est le dernier opus d’une trilogie de Park Chan-Wook centrée sur la vengeance. Débutée en 2001 par Sympathy for Mr. Vengeance, puis acclamée en 2003 par Old Boy – qui aura droit à son remake américain en 2013, on vous en parle ici –, cette trilogie est sublimée en 2005 par l’œuvre dont il sera question.

Tantôt mélancolique, tantôt machiavélique, le film nous plonge dans l’histoire tumultueuse de la vie de Geum-ja (interprétée par Yeong-ae Lee). Oscillant entre passé et présent, liberté et emprisonnement, maternité gâchée et quête d’identité, dans ses deux heures le film déroule sa diégèse happante et gore qui ne laisse pas de marbre.

Une sorcière… au grand cœur

Selon le fameux adage, on dit des apparences qu’elles sont trompeuses, mais ce qu’on omet de souligner, c’est comment le sont-elles?  Comment peut-on autant duper les gens ? Comment peut-on cacher son sombre objectif construit sur les limbes d’une jeunesse frénétique ? Le déterminisme n’est que la pointe de l’iceberg du machiavélisme que cache le visage angélique de Geum-ja et qui se dévoile, au fur et à mesure que la trame narrative avance. Son passage en prison, montré au travers de flashbacks, mêle naissance d’amitiés – dont celles qui lui seront cruciales dans la quête de sa vengeance – et actes sadiques. Parmi ces derniers, on cite la fois où elle badigeonne de javel la soupe versée sur le plateau de nourriture d’une codétenue en convalescence à l’infirmerie de la prison (elle a glissé dans la salle de bain ) et qui, de plus, martyrisait « une amie » à elle. Comme le décrit si bien la narratrice du film « Tout le monde voulait aider Geum-ja au grand cœur et personne n’osait désobéir à la sorcière Lee Geum-ja ». Un contraste filmé de manière singulière par Chan-wook. On y voit d’une part Geum-ja au visage illuminé se repentant devant le seigneur, aidant son prochain. D’autre part, on la voit abordant un sourire lors de ses méfaits. Une sorcière au grand cœur à la fois tant aimée et crainte par ses codétenues.

Une vengeance sur fond de drame familial

Geum-ja est accueillie à sa sortie de prison par un prêtre qui croit en sa foi et en sa transformation. L’enchantement laisse alors place à une désillusion aussi cruelle qu’inéluctable. Un regard caméra, comme pour annoncer le début de la noirceur du film, le début de la quête de vengeance. À partir de ce moment, il est d’ailleurs pertinent de noter les nuances colorimétriques du film, passant de couleurs vives et saturées aux tons grisâtres et désaturés. Un retour brutal à une réalité où le rouge – couleur de la passion et du sang- brille. Passion à mettre son plan en vigueur, passion de retrouver sa fille qu’elle ne connaît pas. Au-delà de ses envies meurtrières, Geum-ja souhaite voir « au moins une fois » sa progéniture. Une parenthèse dans le film qui l’emmène jusqu’en Australie.

Le film est construit de manière méthodique, inutile de réinventer la roue. Les attentes reposent sur la manière dont les événements se déroulent; brique par brique, petit à petit. Chan-wook met un point d’orgue sur les détails et le vécu des personnages secondaires tout en maintenant une distance avec les personnages. Une dimension contemplative transparaît alors du long métrage. Il ne s’agit pas de raconter une histoire linéaire, ayant une structure narrative classique pour ce genre de film. Il s’agit plutôt de mettre en lumière les faiblesses qu’elle comporte, de lever le voile sur un passé qui s’est alourdi. Le réalisateur ne prend pas le spectateur par surprise mais le fait danser sur les deux tempos opposés de Geum-ja ; l’amour qu’elle a pour sa fille et la haine qu’elle a pour son bourreau.

Un drame peut en cacher un autre, plus cruel

Dans le sillage de sa quête, Geum-ja découvre une autre réalité, une plus terrifiante impliquant plusieurs autres enfants. Réalité que M. Baek avait tenté de cacher, en vain. Cette découverte la fait contacter de nouveau le détective Choi, celui qui a causé son emprisonnement. En effet, au cours d’un flashback mettant en scène leur première confrontation 13 ans plutôt, Geum-ja n’a eu de cesse de lui répéter qu’elle avait tué le petit enfant Park won mo alors que tout pointait le contraire. La scène donnait l’impression de voir une petite fille se plaindre car elle n’arrivait pas à avoir gain de cause. Beaucoup de sous-entendus planent entre les deux personnages, donnant l’impression qu’une complicité est née lors du flashback. Certes, elle était sous le coup du chantage – imposé par M. Baek (Choi Min-sik) pour libérer sa fille- mais cette scène soulève beaucoup d’interrogations. Pourquoi Geum-ja n’a-t-elle pas voulu (pu ?) lui expliquer la situation ? Pourquoi le détective l’a-t-il aidée à aller en prison ?

Comment cet accord s’est-il fait ? Est-ce un mal pour un bien ? Le détective a-t-il cédé à la logique du bouc émissaire ?

*Attention, la suite vous divulgâchera le film si vous ne l’avez pas encore vu*

Affronter son passé

Dans la continuité des recherches de Geum-ja, un chassé-croisé de vie où la vengeance laisse sa place à la haine, où la haine se transforme en un exutoire emportant avec elle les pleurs, les regrets et le poids des âmes qui n’ont pu être vengées. Ce dernier tiers du film a un goût doux-amer, où paradoxalement, le gore et la subtilité se confondent. Suivant son plan, Geum-ja capture M. Baek et l’emmène dans une école désaffectée et isolée dans les bois. Elle y convie d’autres anciennes victimes de M. Baek qui n’ont pas pu obtenir justice, afin d’en découdre. Croyant qu’on allait assister à un bain de sang, le réalisateur prend à revers nos attentes en filmant une délibération mettant en place un ordre de passage préétabli pour se venger de M. Baek. Une drôlerie macabre où la dimension ludique de la mort prend le pas sur sa dimension philosophique.

On voit tour à tour chaque personne entrer dans la salle où M. Baek est ligoté. La caméra ne suit pas, elle reste fixe devant les autres qui attendent leur tour le visage fermé, se parlant entre eux et entendant les cris stridents de Baek. Ce qui n’est pas filmé décuple l’imaginaire du spectateur qui voit devant lui les victimes sortir de la salle, baignant dans le sang, à bout de force et en pleurs.  

A la recherche de la rédemption perdue

« Lee Geum-ja a commis une grave erreur dans sa jeunesse et pour arriver à ses fins elle a utilisé les gens. Mais la rédemption qu’elle désirait tant, au final, elle ne l’a pas obtenue » (dialogue tiré du film)

Contrairement à ce qu’on pouvait croire ou même anticiper, le personnage principal ne cherchait pas à se faire justice elle-même mais cherchait plutôt à se faire pardonner! Demander pardon à Park won mo (le petit garçon qui a été tué). À partir de ce postulat, on peut se demander si son entrée en prison était une punition qu’elle s’est infligée, car elle n’a pas pu sauver le petit garçon ? Et si M. Baek n’était seulement qu’un élément de cette quête de pardon ? Comment construire une vision de la vie saine sur des ruines dont le sirocco des événements ne veut guère les faire partir ? Le film tire sa force de cette double articulation entre la sensibilité de Geum-ja envers son drame personnel et son indolence envers son catalyseur, M. Baek. 

Une nuit enneigée, une ville silencieuse, un gâteau au tofu dont la blancheur s’est éclipsée et au bout des chemins des larmes emportant avec elles une ancienne vie qui s’est déroulée sous nos yeux.

 

Bande annonce  :

Durée : 1h55
Crédit photos : Alliance Vivafilm

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