Une vision claire de cinéaste malheureusement assombrie par une exécution problématique. ♥♥
Depuis une dizaine d’années, la mode est à la régionalisation dans le cinéma québécois. Les réalisateurs que l’on associe souvent (à tort ou à raison) au renouveau du cinéma québécois prennent plaisir à filmer le Québec du Saguenay à l’Abitibi. Si l’on peut voir dans ce choix territorial une réaction face à la surmontréalisation du cinéma québécois dans les années 1990, la nouvelle génération cherche moins à glorifier leur région à la manière de leurs prédécesseurs qu’à faire contrepoids à cette vision en montrant un autre Québec, sans esbroufe ou compromis.
Catherine Martin, bien que n’ayant jamais été associée à cette génération de cinéastes, peut y être reliée par certaines thématiques de son cinéma et son dernier film, Une Jeune Fille, ne fait pas exception. Après avoir filmé Charlevoix dans L’esprit des Lieux et le Bas du Fleuve dans Trois Temps après la Mort d’Anna, celle-ci braque sa caméra sur la Gaspésie pour cette histoire d’une jeune fille (Ariane Legault) qui choisit de fuir la ville suite au décès de sa mère en se rendant en Gaspésie. Sans repère ni ressource, elle croisera le chemin de Serge (Sébastien Ricard), un être tout aussi solitaire qu’elle. À force de se côtoyer maladroitement, ces deux êtres meurtris finiront par s’apprivoiser.
Avec ce nouveau film, Catherine Martin perfectionne le style qui est le sien à savoir : une prédilection pour les longs plans, les cadrages lourds de sens, les ellipses, et les non-dits. Les dialogues sont en effet réduits au strict minimum et le passé comme l’avenir des deux personnages sera toujours suggéré plutôt que dévoilé. On s’attarde sur le présent et les actions répétitives accomplies à l’intérieur du cadre (errance, souper, corvées de bois…) et on laisse le passé (celui de Serge ou du père de Ariane) être défini par le spectateur via la construction formelle et le non-dit des acteurs. La direction photo qui appuie judicieusement ces choix de mise en scène est rude, mais lumineuse, et les cadrages millimétrés imposent d’entrée de jeu le rythme du film.
Malheureusement, cette progression dramatique au compte-goutte et cette absence de véritable matière narrative concrète laissent au final le spectateur sur sa faim. L’atmosphère hermétique et la marginalité des personnages qui semblent à l’écart de toute forme de société (autant avec la famille, les voisins que les vendeurs) empêchent le spectateur de pénétrer dans leur monde à part. Alors que l’on respire Bresson dans chaque plan du film, son influence se fait particulièrement étouffante via le non-jeu des acteurs qui semblent peu à leur aise dans la méthode aride du célèbre réalisateur français. Alors que nous avons l’impression que le film prend véritablement son envol après 45 ou 50 minutes, la lourdeur formelle et les non-dits narratifs semblent moins un choix dramatique assumé qu’un pari esthétique questionnable.
Si, comme nous l’avons mentionné, la direction photo est somptueuse, elle est toutefois révélatrice d’un certain malaise. Même s’il est indéniable que les autoroutes de banlieues ne font pas le poids face au soleil couchant des bords de mer ou le bruissement du vent dans les feuilles de la forêt, la nature est suggérée de façon beaucoup trop salvatrice pour véritablement intégrer le récit de façon cohérente. La dichotomie passé/présent – ville/campagne est si profondément ancrée dans le récit qu’elle imprègne l’imaginaire du spectateur et teinte négativement les choix narratifs subséquents. En effet, corder du bois est peut-être un travail plus glamour que laver de la vaisselle, mais pas pour autant plus agréable ou moins fastidieux. Là où ses compatriotes ne sombrent jamais dans la surglorification des régions face aux villes, la vision souvent carte postale de la Gaspésie – si magnifique soit-elle – finit par être agaçante et ne permet pas de palier à un certain manque de substance de la progression dramatique de l’ensemble ce qui laisse au spectateur un sentiment d’insatisfaction à la fin de la projection.