États-Unis, Canada, Danemark, Irlande, 2024
★★★★
Pour rassurer tout le monde, il faut d’abord dire que The Apprentice n’est pas une publicité pro-Trump et, heureusement, encore moins une vulgaire caricature. Le réalisateur Ali Abbasi, qui nous a donné les excellents Border et Holy Spider, se place à la bonne distance de son sujet. Il traite son personnage principal avec humanité dans l’objectif de nous faire comprendre les évènements qui ont forgé Donald Trump, en nous laissant la liberté d’en tirer nos propres conclusions.
Le film prend place dans le New York des années 70-80, alors que le jeune Donald rempli d’ambitions rencontre celui qui deviendra son mentor en affaire, Roy Cohn. Avocat véreux et sans-pitié, il lui transmet ses techniques plus que douteuses et son « éthique » de travail. Si le jeune entrepreneur était certainement un terreau fertile à la crasse et aux mensonges, cette rencontre l’a poussé davantage à aller dans la mauvaise direction. C’est à la fois l’histoire de leur relation amicale et professionnelle, mais aussi la construction du futur 45e Président des États-Unis.
Avant d’être un biopic fascinant, c’est surtout un excellent film. D’un point de vue formel, le choix de la bande-son et le traitement de l’image participent à nous immerger dans l’époque avec, entre autres, le grain de pellicule des années 70 et une esthétique VHS des années 80. Une caméra à l’épaule agitée accompagne certaines scènes et suit les personnages de très près, rappelant les premières téléréalités et leurs innombrables drama. Cette manière de filmer, suggérant le comportement d’un paparazzi, s’accorde bien à la personne qui deviendra ce monstre de l’image, vivant dans l’immédiateté, les potins, la provocation. En témoigne cette scène de confrontation entre Donald et Roy, interprétée respectivement par Sebastian Stan et Jeremy Strong, dans laquelle la caméra est prise à témoin. Les spectateurs assistent à ce combat de pouvoir où Trump se place de facto comme gagnant. D’ailleurs, les deux acteurs principaux offrent de solides performances passant par plusieurs états émotionnels, autant la froideur que la détresse. Ils évitent aussi la caricature puisqu’ils ne cherchent pas trop à calquer littéralement l’apparence physique et les mimiques des personnes qu’ils incarnent, ce qui reste en cohérence avec le propos du long-métrage.
En outre, la relation des personnages est captivante à suivre dans ce récit extrêmement efficace suivant un schéma narratif simple : un personnage immature rencontre un mentor qui le prend sous son aile jusqu’au jour où l’élève dépasse le maître (dans ce cas-ci pour le pire). Il est hors de doute que même si le film ne portait pas sur l’une des personnes les plus clivantes du moment, The Apprentice serait une œuvre réussie, notamment parce que le thème abordé dépasse à lui seul la figure de Trump. En effet, le scénariste et journaliste Gabriel Sherman a pris soin d’insérer un questionnement plus général sur l’Amérique en prenant son personnage comme allégorie de l’ultralibéralisme. Il présente les étapes par lesquelles un homme lambda peut cumuler énormément de pouvoir sans avoir de compte à rendre à personne et, fatalement, en abuser. Le film est un état des lieux sur ce système défaillant qui avantage les personnes ne respectant pas les règles.
Malgré le travail habile du scénariste, on ne peut oublier très longtemps que le film traite de la vie de Trump. À l’aube des élections américaines, cela rajoute un niveau de lecture supplémentaire et stimule notre intérêt, faisant de l’œuvre un véritable film-évènement. De fait, il est pertinent de savoir d’où vient cet homme et quels sont les évènements qui ont consolidé son rapport aux autres et sa manière de penser. On le découvre alors au début du long-métrage, jeune, peu confiant, à fleur de peau et prêt à faire n’importe quoi pour être dans les faveurs de son père. Il est étrange de voir Donald dans une position d’infériorité qu’on lui connaît peu. Lors de sa rencontre avec Roy, il est perplexe, voire choqué par le culot de son mentor et les combines qu’il ose mettre en place pour gagner. Puis, les trois règles que l’avocat lui transmet, « Attaquer, attaquer, attaquer », « Toujours nier » et « Ne jamais s’avouer vaincu », infusent lentement en lui. Alors que l’élève cumule les victoires et pousse le bouchon toujours plus loin, les rôles finissent néanmoins par s’inverser jusqu’à une scène bouleversante où Roy est dépassé par sa propre création. Assis au bout d’une très longue table à dîner, une lumière vive éclaire Donald qui toise son mentor d’un air vainqueur. À partir de ce moment, plus rien ni personne n’a d’emprise sur lui. Il subit alors son ultime transformation, tant physique que psychique, pour devenir celui que l’on connaît aujourd’hui; un homme menteur, manipulateur, opportuniste, mégalomane, misogyne.
De nos jours, Donald Trump élude toujours l’impact que Roy Cohn a eu dans son parcours. Dans le premier épisode de sa téléréalité « The apprentice » sorti en 2004, il introduit l’émission en disant qu’« Il y a 13 ans, j’avais de sérieux ennuis. J’avais des millions de dollars de dettes, mais je me suis battu et j’ai gagné. J’ai utilisé mon cerveau, mes talents de négociateur et j’ai tout arrangé. » Il cultive l’image libérale d’un homme qui s’est fait tout seul, en minimisant l’aide dont il a pu bénéficier, tout ça pour ne surtout pas être en position de vulnérabilité. Ce qui est intéressant dans l’œuvre d’Abbasi, c’est que justement, on le présente avec sensibilité et humanité. Avant d’être un monstre médiatique, c’était un humain comme les autres. De ce fait, le réalisateur lui nie son statut d’homme qui serait « au-dessus de la justice » et le rappelle à ses actions et à leurs conséquences. Le réalisateur n’excuse pas ni n’estompe les actes criminels que Trump a commis, en témoigne une scène sans équivoque entre lui et sa première femme, qui rassure le spectateur quant à la position du metteur en scène. Le film nous propose une vision moins binaire du candidat républicain. Nous ne sommes ni dans l’adoration, ni dans la haine sourde, mais plutôt dans une compréhension réaliste permettant un débat plus apaisé en ces temps hautement polarisés.
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Durée : 2h03
Crédit photos : Scythia Films