AU POSTE ! de Quentin Dupieux : L’ÉLÉGANCE DE LA BONNE BLAGUE

France, 2018
Note: ★★★ 1/2

Ça avait toutes les allures de la lourdeur. Un flic, un peu borné, un peu épais, holster en cuir, qui se remonte le pantalon, qui met les pieds sur le bureau ; un bon gros flic en somme. Un commissariat. Un peu beige, un peu gris, un peu bas de plafond aussi. Des collègues, débordés d’être inoccupés. Sans oublier la machine à café, dans le couloir, sous les néons. Un schéma narratif qui n’invente rien : interrogatoire, flash-back, interrogatoire, flash-back. Et puis convoquons le moustachu de service, Fugain (Grégoire Ludig), qui doit prouver son innocence à ce flic qui les incarne tous, mais qui les joue comme personne, Benoît Poelvoorde. Ça avait tous les dehors de la banalité, à l’image du récit de ce brave Fugain qui, à l’issue d’une nuit d’une improbable médiocrité, se retrouve au mauvais endroit, au mauvais moment, un fer à repasser à la main, agenouillé dans une mare de sang. Ça aurait donc pu être plat, poussif et sans souffle. Et c’est tout le contraire. Quentin Dupieux fait prendre la sauce, énergique et absurde ce qu’il faut.


Le commissaire Buron (Benoît Poelvoorde) et son suspect, Fugain (Grégoire Ludig)

Le souffle du film, c’est son rythme. Sa cascade de blagues, de récurrences bien dosées, d’exagérations bien distribuées. Toute la réussite de l’oeuvre tient dans la fluidité du dialogue entre ces deux protagonistes interprétés par Ludig et Poelvoorde. Délicieux tissu de lieux communs, décalés juste assez pour réveiller le spectateur – et surtout – le faire rire. La liberté de jeu est sidérante de réalisme, sans se priver de flirter avec l’exagération et l’incongruité. La mise en scène, très adroite, vient rehausser le numéro de maître du tandem, dominé par un Poelvoorde qui a cet inimitable talent de transformer le banal en absurde avec la finesse et l’intelligence du génie. C’est de cet habile et difficile équilibre que naît la dynamique du film, qui mélange passé et présent, bousculant allègrement la cohérence narrative. Car c’est bien d’un rapport au temps, distendu, quasi-quantique, dont il s’agit aussi ici. Le temps narratif, supposément linéaire, explose sous la caméra du fantasque Dupieux pour mieux laisser éclore le jeu. Jeu d’enquête, jeu de cache-cache avec la/les réalités. Jeu dans le jeu. À l’image du rebondissement final, à l’ironie toute contemporaine. Là encore, pas de révolution à « 80 degrés », mais une maîtrise espiègle des codes du spectacle. Et on peut dire qu’ils l’ont, Dupieux et sa troupe, le – bon – goût du spectacle. On ne boude pas son plaisir à se laisser balader, ni à se vautrer dans ce décor suranné, douce nostalgie des années 80, à l’image de l’apparition du rappeur Orelsan jouant à la Game Boy. C’est beaucoup, mais jamais too much. C’est caricatural, mais toujours assumé, avec cette impression que tout est à sa place, que rien n’est de trop et qu’il ne manque rien… à part peut-être cet œil à Philippe, personnage qui vient ajouter une dose d’incongruité à l’ensemble.

Philippe interprété par Marc Fraize

Dupieux fait entrer le film du dimanche soir dans une dimension parallèle, réflexive et drôle. Unité de lieu, unité de temps, unité d’action, avec des fuites d’absurde, désopilantes ; la recette de la tragédie revisitée par Dupieux et ses acolytes est donc un délice, où chaque saveur se succède dans un timing parfait, au rythme enlevé et jouissif. Car même les meilleures blagues ont une fin et Dupieux le sait. C’est bien là son élégance.

Durée: 1h13

Ce film a été vu dans le cadre du Festival du nouveau cinéma 2018.

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