États-Unis, 2018
★★★★
Que faire lorsqu’on a 18 ans et que l’on habite avec une mère poule qui, avec l’intention de protéger, nous interdit de pratiquer notre passion? On fugue, dans tous les sens du mot. Camille (Rachelle Vinberg), une passionnée de skate introvertie qui habite à Long Island, part se perdre dans les parcs de la grande ville de New York, à la recherche d’une seconde famille qui saura l’accepter et l’appuyer. Deuxième long-métrage de Crystal Moselle, Skate Kitchen est un portrait candide de l’amitié entre filles, de la culture skate, et d’un New York terre à terre qu’on a rarement la chance d’apercevoir au cinéma.
Réalisme visuel et thématique
Le film se démarque tout d’abord par son style cinéma-vérité. Moselle explore le réalisme depuis son tout premier long-métrage, le documentaire The Wolfpack (2015), et c’est une tendance qu’elle poursuit dans Skate Kitchen. Sa caméra rend hommage aux vidéos d’amateurs de skate, filmant souvent à hauteur des jambes, suivant le mouvement des planches et des pieds, mettant en vedette les cascades des personnages plutôt que leurs visages.
L’émotion humaine occupe beaucoup de place dans l’univers du film. À cette fin, Moselle emploie beaucoup d’acteurs non professionnels (hormis Elizabeth Rodriguez), qui interprètent les personnages de façon naturelle, à la limite improvisée. En effet, Skate Kitchen est une vraie équipe de skate, et le script du film est ancré dans les expériences des filles qui en font partie, surtout celles de Vinberg. Leurs interprétations des personnages proviennent donc d’une position très personnelle.
Culture skate, au féminin
Le nom Skate Kitchen a été choisi par les membres de l’équipe pour se moquer des personnes sexistes qui commentaient leurs vidéos affirmant que les femmes devraient rester dans la cuisine. L’énergie machiste de la culture skate est largement explorée dans le long-métrage, de plusieurs manières. Le skate reste un domaine assez exclusif et masculin, chose qui renforce encore plus l’importance de la solidarité féminine présentée dans le film.
Cet aspect se fait tout d’abord remarquer dans la solitude et l’isolation que vit Camille. Dans la première scène du film, lorsqu’elle se blesse en faisant du skate, elle fait face aux préjugés et au manque d’éducation des garçons présents dans le parc. Elle est de surcroît aliénée lorsque sa mère, au lieu d’essayer de comprendre, ne fait que paniquer et lui interdit de retourner dans les parcs à nouveau. La divergence entre les filles et les garçons qui skatent revient à maintes reprises pendant le film, notamment lorsque Camille et Janay (Dede Lovelace) regardent des vidéos et discutent de la difficulté pour les filles à devenir des professionnelles dans le domaine après la puberté.
Kurt (Nina Moran) est également un personnage intéressant à considérer dans ce contexte. En lesbienne affirmée, Kurt adopte certains comportements traditionnellement assignés au genre masculin afin de s’affirmer dans sa sexualité, mais également comme mécanismes de défense contre une culture excessivement machiste. Les filles qui peuplent l’univers de Skate Kitchen sont avant tout définies par leur détermination et leur force à exister et à s’affirmer dans un milieu prédominé par les hommes, ce qui est précieux et inspirant.
De plus, ceci accentue l’importance de la famille trouvée et sur la loyauté face à cette famille. Lorsque Camille néglige les autres filles du Skate Kitchen afin de passer du temps avec Devon (Jaden Smith), elle se rend vite compte que la connexion qu’elle avait avec ses amies était d’autant plus significative puisqu’elles partagent les mêmes expériences et peuvent donc se soutenir entre elles de façon sincère et profonde.
L’amour et l’amitié dans toute leur gloire
Skate Kitchen s’écoute aussi facilement qu’on lit une lettre d’amour. Après tout, c’est ce thème qui constitue le noyau du film. D’abord, l’amitié – variante de l’amour – entre filles, et son importance dans le développement de l’identité féminine. Avec un entourage qui partage nos passions, nos expériences, et qui est prêt à nous accepter telle qu’on est, on se sent vite invincible, et surtout, on se débarrasse de la lourde solitude d’être une fille dans un domaine principalement masculin.
Ensuite, c’est une lettre d’amour au skate. Les costumes, la bande sonore, les plans de caméra à hauteur de pieds qui suivent le mouvement des planches à roulettes, tout est un éloge à cette sous-culture. Les parcs de skate deviennent un personnage, un espace sûr où l’on peut non seulement faire de la planche à roulettes, mais aussi socialiser, fumer, se sentir entouré par une famille.
Finalement, c’est une lettre d’amour au cinéma. Moselle et Shabier Kirchner, le directeur de la photographie, font en sorte que chaque plan compte, et savent se servir de la caméra pour transmettre non seulement les émotions des personnages, mais aussi tous les aspects excitants du skate. C’est un film terre à terre auquel on peut facilement s’identifier, mais également qui se démarque à travers ses scènes chorégraphiées à la perfection.
Bande annonce originale anglaise :
Durée : 1h47
Crédit photos : Magnolia Pictures