Senécal présente… nos plaisirs coupables

Québec, 2021
Note : ★★★★

Dans sa grande maison sinistre et lugubre, l’écho des claquements de la machine à écrire résonne. Le maître de l’horreur québécois est en train de transposer sur papier et narre les premières phrases de ses prochaines pensées sombres et tordues qui ont fait sa renommée et qui pourront maintenant nous faire grincer des dents sur nos petits écrans.

C’est ainsi que débute chaque épisode de la nouvelle série d’anthologie horrifique exclusive au Club Illico. Rendant directement hommage à la série des années 50 et 60 issue d’un autre maître du suspense; le fameux Alfred Hitchcock avec Alfred Hitchcock presents, Patrick Senécal présente ne correspond cependant pas à un copié-collé ou une version bon marché du cinéaste britannique… bien au contraire.

La série scénarisée par Senécal (Les Sept Jours du Talion, 5150, rue des Ormes) et réalisée par Stéphane Lapointe (Faits divers) n’apparaît pas anachronique lorsqu’on la replace dans le contexte de son genre. Avec le retour récent de la série Creepshow (via Shudder) et le succès de American Horror Story (via FX), c’est l’une des rares fois que nous avons droit sur le territoire québécois à notre propre série d’horreur et le choix de l’auteur semble tenir de l’évidence. D’ailleurs, Senécal semble ne pas avoir chômé ces derniers temps avec la sortie l’hiver passé de l’adaptation de son roman Aliss (2000) en bande dessinée avec la collaboration du dessinateur Jeik Dion ainsi que la sortie prochaine de son nouveau roman Flots, l’auteur de suspense a le vent dans les voiles, c‘est le moins que l’on puisse dire. 

Ayant dévoré ses premiers romans lors de mon adolescence dans les années 2000, j’avais toutefois perdu de vue le travail de l’auteur depuis Hell.com (2009). L’écrivain ne s’était pas arrêté pour autant, mais dans mon esprit, allez savoir pourquoi, c’était tout comme. Alors, l’idée de le retrouver dans ce nouveau format complètement adapté à son style (c’est rare qu’on a des séries d’anthologies de comédie romantique) m’enthousiasmait énormément. Les questions se posent alors : Patrick Senécal saura-t-il relever le défi d’adapter ses sombres idées à un nouveau format et comment Stéphane Lapointe rendra-t-il hommage aux mots du maître de l’horreur? 

Après l’écoute du début de cette nouvelle série, il faut avouer que l’auteur a toujours autant d’inspiration et n’a pas perdu la main. Voyons maintenant ce que nous « présente » vraiment Patrick Senécal.

« Julie n’était pas triste de déménager, ni stressée, ni anxieuse. Au contraire, une nouvelle ville, un nouveau travail, tout ça l’excitait beaucoup. De plus, la petite ville de Cerbois était un endroit charmant et tranquille. Du moins, en apparence » (Patrick Senécal, ép.01)

Le premier épisode de la série, intitulé Seule nous accueille dans une petite ville de banlieue comme il y en a des dizaines, un endroit que l’on connait, un endroit banal, peut-être un lieu qui ressemble beaucoup à votre chez-vous. Pour ma part, ces lieux uniformes me rendent particulièrement anxieux, mais pour les gens normaux, ceux-ci n’éveillent que très peu de suspicion. D’ailleurs, ce n’est pas la petite ville de Cerbois qui semble menaçante ici, mais ce sont plutôt ses habitants qui nous inspirent confiance. Julie, interprétée par la très sollicitée Mylène Mackay, est seule comme le titre l’indique et la plupart des personnes qu’elle rencontre dans la petite localité semblent avoir pour mandat de la rendre mal à l’aise. Et cela fonctionne. 

En effet, la petite ville tranquille est victime d’une série de meurtres sordides dont tout le monde semble suspect. Rapidement, on s’identifie à la solitude de Julie tant elle a de la difficulté à s’intégrer. Entre les nouveaux collègues aux blagues douteuses, le beau voisin aux alibis peu crédibles, le barman beaucoup trop avenant et franchement louche, mais surtout le vieux monsieur bizarre qui l’épie derrière un buisson ou un arbre, nous avons ici une belle brochette qui met la bonne ambiance. La construction narrative de ce premier épisode n’a, quant à elle, rien à se reprocher et ne semble pas de prime abord tenter de nouveaux concepts formels ou narratifs et demeure classique avec l’établissement du lieu, des personnages et de l’intrigue. Le dénouement n’est pas des plus inattendus, mais nous révèle quand même quelques surprises macabres que l’on aime bien chez l’auteur et qui feront sourire les amateurs du genre. 

Techniquement parlant, l’épisode présente un tableau presque sans taches ; le directeur de la photographie et étoile montante du milieu Vincent Gonneville fait preuve d’adresse en maîtrisant les codes du genre sans pour autant les transcender en nous proposant une ambiance glauque, mais subtile par l’utilisation d’effets certes classiques, mais toujours aussi efficaces. Le creepy zoom (long zoom sur un cadre fixe faisant monter la tension et le suspense) ou encore, quelques jeux de lumière et de couleur viennent nous flatter la rétine de façon inattendue, mais très appréciée.

Dans les épisodes suivants, la série jongle entre plusieurs tons différents. La comédie noire grotesque dans l’épisode Sans génie mettant en vedette un Lou-Pascal Tremblay en chansonnier désespéré sans talent rencontrant un génie « bling bling » campé par un hilarant Érich Preach, fait bien rire. Le thriller psychologique Audition nous plonge dans les sombres coulisses d’un théâtre et dans la tête d’un jeune comédien qui tentera de décrocher le rôle de sa vie littéralement. Il y a aussi l’univers policier où est mise en scène une enquêteuse qui fera l’interrogatoire le plus éprouvant de sa carrière dans Interrogatoire. Puis finalement, l’horreur fantastique avec l’épisode Par effraction dans lequel l’innocence juvénile sera mise à mal.

Un personnage mésadapté ou perturbé entouré d’autres personnages insufflant des doutes dans l’esprit du spectateur est une constante chez Senécal. Il reprend cette formule maintes fois, mais dans des contextes différents qui font mouche presque à chaque fois. Par contre, le jeu des acteurs dans la série ne sera malheureusement pas le meilleur atout de celle-ci; bien que juste la plupart du temps, on a ici tendance à surjouer. Cette pratique est en quelque sorte assez commune dans le genre et on pardonne assez vite à ceux qui sont véritablement au service de la fabula plutôt qu’à celui de leur performance personnelle. Le seul vrai bémol dans cette première moitié de saison est l’épisode Interrogatoire avec la crédible et sincère Karine Gonthier-Hyndman, avec son intrigue peu inspirée. Se résumant à reprendre les clichés du policier tourmenté, victime d’hallucinations et trop investi dans son enquête, l’épisode ne surprend malheureusement jamais. 

Cette série anthologique de suspense horrifique relève le défi et le style littéraire de l’auteur et trouve chaussure à son pied avec ce médium numérique. Cette première moitié de saison est divertissante, dérangeante, sanglante et intrigante. Sans pour autant révolutionner le genre, Patrick Senécal présente le maîtrise particulièrement bien avec des visuels efficaces et sans failles, et ce pour notre plus grand plaisir. Nous attendons avec impatience devant nos écrans, la seconde partie de la première saison prévue cet automne. Les cinq premiers épisodes sont disponibles pour les abonnés du Club Illico. 

 

Bande-annonce originale :

Crédit photos : Zone 3 / Québécor

 

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