Paul Thomas Anderson, P.T.A pour les intimes

Une question se pose, à la vue de la filmographie de Paul Thomas Anderson : Quel fil installé entre Boogie Nights et Magnolia, ou entre There will be blood et Inherent Vice ? La plupart des grands cinéastes tracent une ligne, beaucoup se prennent au piège du confort (Tarantino nous surprend-il encore ?). D’autres comme Kubrick ou Godard (sans oser la comparaison) n’ont cessé d’explorer, de se renouveler et d’oublier leurs règles pour en inventer d’autres….Qu’en est-il du petit Polo … ?

Arrivé très tôt dans l’industrie à 17 ans comme assistant de production, l’histoire veut que P.T.A ait laissé les bancs de la New York University School après deux jours, pour mettre les mains dans le cambouis. C’est ainsi que l’on fait Magnolia à trente ans (ça fait mal hein ?)

En plus de nous dérouter par l’éclectisme de sa filmographie, c’est aussi chaque film pris à part qui nous perd et oblige souvent à un deuxième visionnement, afin de saisir dans son entièreté ce que le réalisateur souhaite signifier. Non qu’il soit coupable d’abstraction, bien au contraire les récits de P.T.A sont tout ce qu’il y a de plus organiques.

Peu réceptive au cinéma conceptuel, pure démonstration de l’image, de la mise en abyme et tralala de branlette intellectuelle (voir la dernière Palme d’Or tellement… Palme), le cinéma doit à mon humble avis, se réfléchir certes, mais avant tout raconter, de belles, de majestueuses, de grandes histoires. Maître en la matière, P.T.A choisit sciemment les plus grands archétypes hollywoodiens du Western, de la guerre du Vietnam, ou de la Comédie romantique, pour les déconstruire et les dynamiser, voir leur donner une nouvelle vie.

La filmographie de P.T.A peut être qualifiée d’œuvre néo-classique, sachant conjuguer la force narrative, des moyens techniques imposant (splendide cinémascope), sans se départir d’une réflexion sur son médium.

Son premier film, Hard Eight (Sydney de son titre original) pose tout de suite les jalons d’une cinématographie de grand calibre, qui n’hésite pas à se frotter au film de genre façon Scorcese. Le jeune talent en est encore à ses débuts et surenchérit dans la référence sans encore trouver ses propres marques.

Boogie Nights

 

Dans Boogie Nights commence à se dessiner une signature plus personnelle, avec le personnage de Dirk Diggler. Le manque d’amour maternel, le besoin de se prouver sa valeur et la soif de réussite sont des traits de caractères que l’on retrouvera chez bon nombre des personnages de P.T.A. Il installe une relation de pouvoir, entre le réalisateur de films X et son jeune poulain, un thème cher dont il explorera par la suite les nombreuses facettes. Enfin, se met en place le thème de la famille reconstituée à tendance sectaire (église de la Troisième Révélation dans There will be blood, Scientologie dans The master). Pourtant la forme, étirée, débridée et surtout gavée de sexe et de drogue, témoigne de l’ambivalence du réalisateur, en comparaison des films qui suivront. Jusqu’à dernièrement Inherent Vice sur lequel nous reviendrons.

Avec Magnolia, il nous livre peut-être ce qui se rapproche le plus d’une forme démonstratrice, exposant très clairement ses intentions. Tout est dans l’introduction : les hasards invraisemblables, ceux que l’on voit dans la vraie vie en se disant « que nous n’y croirions pas au cinéma », et en miroir de cette idée, celle d’un cinéma, où raconter consiste à perpétuellement rendre logique le hasard. Plus loin encore, Phil l’infirmer (Philip Seymour Hoffman) tente de s’expliquer au téléphone « je sais que je dois sembler ridicule mais vous savez c’est cette scène au cinéma où le gars essaye de retrouver le fils perdu… C’est CETTE scène ». Les choses ne peuvent être dites plus clairement !

C’est une fois ce principe bien affirmé, que PTA commencera à s’amuser, en balançant des grenouilles. Puisque le réel est parfois surréel, et le cinéma une conjugaisons de merveilleux mensonges, au diable les conventions. TOUT EST PERMIS.

P.T.A, c’est le retour du Deus Ex machina, principe théâtral rejeté, artifice malvenu et puéril. Après tout, il suffit de projeter des ombres dans une caverne pour fasciner l’homme. Robert Elswit, le directeur photo joue d’ailleurs avec plaisir de ce principe. Voir la scène de Magnolia, lorsque le petit génie, réfugié dans la bibliothèque, regarde pleuvoir les grenouilles en ombres chinoises.

Magnolia

Suivra Punch Drunk Love, qui dans la continuité de Magnolia déstabilise encore plus le spectateur dans ses habitudes. Cette comédie romantique, sous évaluée par le public et une partie de la critique, est pourtant un bijou de trouvailles en tout genre tant visuelles que sonores, une jubilation de chaque instants, un palmarès de scènes plus décalées les unes que les autres. Quitte à raconter une histoire d’amour, autant le faire en très très grand : Barry Egan (Adam Sandler) prend l’avion sur un coup de tête pour rejoindre l’amour de sa vie. Il court entre les couloirs pour aller l’embrasser ou traverse le désert pour vaincre son ennemi et protéger sa dulcinée.

Qualifié ce film de « comédie romantique » est le réduire à trop peu de choses. Nous n’avons jamais vu Hugh Grant appelé un numéro rose avec l’espoir de réussir à s’astiquer, dans un appartement terne voir glauque. Un film de P.T.A laisse souvent comme première impression celle de ne pas trop savoir ce qu’on a vu. Ainsi, si le héros (névrotique et bedonnant) prend un avion c’est avant tout pour fuir des malfrats. Le même voyage étant payé avec des puddings. Quand à l’ennemi, c’est une petite frappe sans scrupule coincé dans un magasin de matelas. Chaque code du genre est donc assimilé et rendu même avec beaucoup d’amour (le baiser de Emilie Watson et Adam Sandler est magnifique) tout en étant sans arrêt décalé d’un demi ton.

Punch Drunk Love

Si Punch Drunk Love se démarque par sa fraicheur et son onirisme, nous y retrouvons des récurrences en terme de personnages. P.T.A privilégie les héros rongés de culpabilité. Sans mot, ils aspirent tous au pardon salvateur. Tous les personnages de Magnolia sont pétris de remords. « Si nous en avons fini avec le passé, le passé n’en a pas fini avec nous ». Le charismatique pétrolier Daniel Plainview (Daniel Day Lewis) est un homme de pouvoir rongé par la suspicion et dégoûté par la cupidité humaine. Derrière cette stature de roc se tait un homme profondément perdu, assoiffé d’une affection sincère qu’il trouve plus ou moins auprès des enfants.  Enfin dans The master c’est un alcoolique qui ne sait se remettre ni des atrocités de la guerre, ni de la perte de son idylle amoureuse.

Ils finissent toujours par imploser dans des scènes qui démontrent les talents de P.T.A pour la direction d’acteurs, tant il sait mener à la folie meurtrière ou hystérique ses personnages. Telles des soupapes, nous attendons avec appréhension le moment où ils siffleront : vitre brisée dans Punch Drunk love, jeune pasteur au crâne fracassé sur une piste de bowling, alcoolique défonçant les murs.

P.T.A crée un univers fascinant voir hypnotique, en conjuguant la trivialité la plus sombre à une esthétique sublimée, voir des moments de « révélation ».  La musique aux accents répétitifs et primitifs de The master conjugués à un montage très brutal de quelques banales scènes de vie du Marine (alcool, libido en manque, alcool, libido en manque) installent un malaise, tout aussi vite dissipé par la vue de l’écume remuante et les grands eaux du pacifique sous le ciel bleu. La lumière de Elswit identifiable par ses couleurs vives et sa tendance à tirer vers la surexposition, vient selon l’ambiance, accentuer la dureté des visages, ou au contraire nous baigner d’une poésie visuelle. L’addiction aux substances de la plupart des personnages (auxquelles peut s’ajouter l’amour fou de Barry Egan) souligne cet effet d’hallucination constante.

The MasterInherent Vice

 

Mais nous n’avons pas encore répondu à la question posée en introduction de ce texte. Quelle étrange ambivalence lie The master à Inherent Vice?  Aux cadres rigides et lourds se substituent la mouvance et la frénésie. À la lumière crue, les halos enveloppant et tièdes des hippies. Certes, des lignes peuvent encore et encore se tracer. On pourrait également choisir un thème large afin d’être certain de pouvoir tout regrouper sous une même coupe. Chez Paul Thomas Anderson, les histoires sont sans cesse l’illustration d’un équilibre fragile entre Amour et Perversion. Bien que Inherent Vice se présente comme une comédie loufoque et irrévérencieuse, cette ambivalence est toujours présente. Initialement, Doc Sportello est animé par un amour passé, une jeune femme qui maltraîte son cœur et préfère séduire des hommes fortunés (le pouvoir, encore). C’est cette femme qui l’amène à enquêter et à sortir de son canapé. Mais toutes ces corrélations ne suffisent pas à tracer les délimitations de cet imaginaire.

Finalement, ne faut-il pas affirmer que P.T.A est bel et bien un schyzophrène, capable de nourrir deux univers, deux cinémas. Comme Kubrick avant lui, P.T.A explore tous les genres, toutes les histoires, toutes les formes, un inventeur fou qui suit ses envies, juste pour le fun. L’un ou l’autre prend le dessus selon l’envie. Tantôt un besoin foudroyant de construire des cadres magistraux dans le Pacifique, tantôt c’est le mauvais garnement qui refait surface avec une bande de hippies gelés. C’est le luxe du cinéaste qui a fondé sa propre compagnie de production afin de chérir son final cut et prendre le risque de décevoir le public, qui ne saura jamais à quoi s’attendre. Mais surtout, il y a l’humour, la dérision, le manque de sérieux présents dans tous ses films, même au cœur du drame (Claudia, paumée et persuadée qu’un autre homme l’a laissée tomber, sniffe un raille de coke alors que derrière elle commencent à pleuvoir les grenouilles). Ne jamais se prendre au sérieux. C’est peut-être finalement la seule règle.

 

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