Entrevue de Kim O’Bomsawin pour Ninan Auassat : Nous, les enfants

Photo : Réalisatrices équitables

Kim O’Bomsawin, bonjour, nous sommes ici pour parler de Ninan Auassat : Nous, les enfants qui est à l’affiche le 7 février. Ce long métrage met en lumière l’énergie et la détermination de la jeunesse autochtone. Il a été tourné sur une période de plus de six ans et présente les parcours de trois groupes de jeunes issus de nations différentes (Atikamekw, Eeyou-Cri et Innu). Tourné « à hauteur d’enfant », sans la parole des adultes et des «  spécialistes de la jeunesse », ce film devient un véritable appel à l’action, alors qu’une nouvelle génération revendique le droit à la reconnaissance et à l’épanouissement.

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Ton cinéma s’appuie largement sur la transmission et la mise en lumière des voix autochtones. Ninan Auassat : Nous, les enfants s’inscrit clairement dans cette démarche. Cette fois, ce sont les enfants qui portent le récit, qu’est-ce qui t’a donné envie d’adopter ce point de vue pour ce film-là ?

Kim O’Bomsawin : Ça partait d’un constat… Il faut savoir que j’ai commencé à réfléchir à ce film-là en 2016, je le développais déjà avec l’ONF. C’était mon troisième projet, réalisé en parallèle de Je m’appelle humain. Dès mes années de maîtrise, je parcourais les communautés aussi bien du Nord au Sud que d’Est en Ouest. J’ai toujours eu une connexion facile avec la jeunesse. J’aime être avec les jeunes, les adolescents se retrouvent souvent moins en marge que les adultes. J’ai cette connexion et je trouve formidable, contrairement aux discours négatifs portés par certains experts extérieurs aux communautés, que je puisse offrir un espace à cette jeunesse souvent trop discrète pour exprimer ce qu’elle pense de sa réalité. Je me suis donc dit que je réaliserai un film sans adultes, où les jeunes seraient leurs propres experts. Ce serait un cadeau pour eux de pouvoir se voir à l’écran. Je les trouve beaux, ambitieux, rêveurs, dégourdis, indépendants et autonomes. Mon souhait est qu’ils puissent se voir et exprimer tout cela, et que le public partage cette admiration. C’est drôle que tu mentionnes Je m’appelle humain, car j’ai rapidement fait le rapprochement avec ce film, dans lequel une aînée, Joséphine Bacon prenait la parole, mêlant ainsi les générations.

Maintenant, tu te positionnes sur l’enfance et l’adolescence avec Ninan Auassat. Ce retour progressif — bien que travaillé en parallèle au niveau de la réalisation — a t-il nourri ta réflexion sur la transmission et les liens intergénérationnels ?

KO : Oui, certainement. Si l’on regarde l’ensemble de ma filmographie, que ce soit au cinéma ou à la télévision, il y a toujours une large place laissée à la jeunesse. Même dans Je m’appelle humain, un espace particulier était laissé à Marie-Henri Guilbeault, qui, à l’époque, débutait et regardait Joséphine. C’était une connexion qui s’est créée lors du tournage. Par la suite, dans le message à raconter, il est essentiel, pour moi, que les jeunes soient entendus. C’est une démarche que j’ai toujours adoptée : mettre en valeur la génération qui arrive. Pour moi, la jeunesse est notre plus grande richesse, et je trouve regrettable que souvent les adultes semblent les abandonner. J’espère que le film incitera chacun à intervenir.

Le film a été tourné sur six ans. Comment as-tu vécu cette immersion longue durée avec ces jeunes, et cette période charnière entre deux âges ? As-tu constaté une évolution dans leur regard sur leur identité ?

KO : Oui, complètement. À l’origine, je voulais filmer sur une année avec tout le monde. Puis l’idée est venue de capter les grandes étapes de l’enfance — de la petite enfance à l’enfance, de l’enfance à l’adolescence, puis de l’adolescence à l’âge adulte. Finalement, les histoires se sont complexifiées et j’ai décidé d’étirer le tournage. La COVID est ensuite arrivée, entraînant la fermeture complète des territoires. Nous avons dû mettre tout sur pause. À ce moment-là, j’ai eu peur de perdre le film, mais l’ONF a été fantastique en décidant de reprendre le tournage après la pandémie, faisant de cette ellipse temporelle un atout qui enrichit le récit. On voit ainsi les jeunes gagner en maturité, tout en conservant la candeur et la naïveté de leur enfance. Il est essentiel de capter cette transformation, ce regard critique sur leur propre rapport à leur culture et aux réalités de leur communauté.
Quand les garçons, par exemple, commencent à prendre leur envol, on se rend compte que, dans certaines familles privilégiées, ils n’ont pas toujours vécu les mêmes difficultés que d’autres jeunes. C’est dans ces moments de prise de conscience que je me suis sentie privilégiée de partager cette expérience. Ce film a été un immense plaisir, nous avons eu tellement de fun ensemble.

Tu évoquais aussi la maturité des jeunes vis-à-vis de leur héritage culturel et des traumatismes transgénérationnels. Cela t’a-t-il surpris, ou était-ce une force que tu leur connaissais déjà ?

KO : Non, cela n’a pas été une surprise, car cela a renforcé ce que je pensais d’eux. J’espérais que le public le découvrirait et serait surpris. Pour moi, la véritable surprise aurait été qu’ils me déçoivent, ce qui n’est pas arrivé.

Le film porte également une dimension de fierté identitaire et de volonté de rompre avec certains schémas du passé. Comment as-tu trouvé l’équilibre entre ces deux dimensions ?

KO : Pour moi, la fierté identitaire ne peut s’exprimer qu’en se détachant des blessures du passé. La nouvelle génération, n’ayant pas vécu directement les pensionnats, peut adopter une réflexion plus détachée et intellectuelle sur le vécu de leurs parents. Ils peuvent dire : « Je pardonne, parce que je comprends ce qu’ils ont vécu, mais je ne suis pas obligé.e de reproduire cela pour mes enfants. » Bien sûr, il subsiste de la colère, car être parent aujourd’hui est un défi immense. Ce fut un moment particulièrement magique, notamment avec Monique à la fin du film, qui prononce le mot final.

Tu soulignes aussi beaucoup la résilience de cette nouvelle génération porteuse d’espoir.

KO : Exactement, mais il ne s’agit pas de faire l’impasse sur les difficultés. Il faut reconnaître les batailles encore à mener pour que la vie d’un jeune autochtone dans une communauté ne soit pas idéalisée. Le film essaie de trouver un juste équilibre en étant lumineux tout en plaçant ces blessures en perspective, ce qui rend leur résilience d’autant plus remarquable.

Depuis la réalisation du film, as-tu eu des retours des jeunes qui y ont participé ? Comment vivent-ils cette expérience ?

KO : Nous avons organisé, après le montage — il y a environ deux ans — un visionnement privé à l’ONF, avec les jeunes, leurs familles et des amis. Nous avons rempli le théâtre Alanis Obomsawin à l’ONF, et ce fut un grand moment. Ils ont ri, pleuré, se sont trouvés beaux et fiers d’eux. Par la suite, nous avons gardé contact via les réseaux sociaux. Je constate qu’ils vont bien : certains poursuivent leurs rêves, d’autres entament de nouvelles étapes de leur vie, comme devenir parents ou se lancer dans une carrière dans leur communauté. La jeune Legend, par exemple, a surmonté ses problèmes de santé et est maintenant une adolescente épanouie.

Pour les spectateurs autochtones, Ninan Auassat agit comme un miroir ; pour les non-autochtones, il ouvre une porte vers une réalité souvent méconnue.

KO : Oui, il est important de mettre notamment les langues autochtones en avant : par exemple, à trois heures de route de Montréal, la communauté de Manawan scolarise les enfants en atikamekw jusqu’à la quatrième année du primaire. Beaucoup ignorent que, même à proximité, ces langues vibrantes — bien qu’en danger — continuent d’être parlées.

Comment aimerais-tu que chacun reçoive ce film, qu’il soit autochtone ou non ?

KO : J’espère d’abord qu’ils verront la beauté de cette jeunesse telle que je la perçois. Puis, qu’ils ressentent l’urgence de la soutenir, cette jeunesse, si précieuse dans notre société. Les enfants nous disent clairement qu’ils se sentent abandonnés par les adultes. Ce sont des enfants qui partagent leurs rêves, et si l’on ne leur fournit pas les outils pour les réaliser, nous échouons dans notre mission d’adultes. C’est profondément injuste. La semaine dernière encore, le gouvernement du Québec annonçait des coupes dans les fonds destinés à l’éducation des Premières Nations. Je trouve cela inadmissible, surtout quand on sait à quel point l’éducation dans nos communautés est sous financée comparativement aux écoles en dehors des réserves. Cela choque, et il faut agir.

Comme tu l’as dit, il est crucial de mettre en lumière cette génération afin qu’elle ne devienne pas invisible, malgré le risque que les spectateurs ne perçoivent pas pleinement les traumatismes quotidiens qu’elle subit — ils peuvent paraître moins spectaculaires aux yeux du public, mais qui restent tout de même significatifs.

Ma dernière question portait sur le message que je souhaitais adresser aux spectateurs. Tu y as déjà répondu en évoquant cette lumière qui se dégage, cette envie de préserver les traditions tout en progressant. On entend notamment, dans le film, l’un des jeunes parler de son désir de devenir architecte pour, par la suite, améliorer sa ville. Ce message de transmission, de soin apporté aux générations futures — comme le montre la volonté des jeunes mamans de prendre soin de leurs enfants — est vraiment magnifique

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Durée : 1h33

Bande annonce ONF ici.

Lire ici notre critique du film.

Crédit photos : ONF

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