« Ma vraie vie, débarras de l’Histoire, je la revendique ! » – ♥♥♥½
Au travers de documents d’archives et en redonnant voix au poète héraut de l’identité et de la patrie québécoise, Simon Beaulieu interroge la possibilité de survie de la culture d’ici dans un monde de plus en plus global.
Avec ce documentaire superbement documenté, Simon Beaulieu dresse le portrait d’un poète éperdument amoureux de sa Terre et de ses racines (qu’il rend par le leitmotiv de deux amoureux dansant silencieusement, les yeux dans les yeux). On y voit la société des années 1950, les paysages et leurs saisons et on entend tout cela dans les mots choisis par l’artiste. Leur ambiguité conjugue ceux choisis pour c
Il rend justice au poète, qui ne s’est pas révélé du jour au lendemain en héraut de tout cela mais le replace comme un homme de Lettres s’étant intéressé à son histoire personnelle avant d’aboutir à l’histoire collective, butant sur l’obstacle commun : «dans quoi puis-je me transcender ?» S’arrêter au constat d’être un nord-américain était pour lui un aveu de l’impuissance à se doter d’identité propre et s’assurer être capable d’exprimer l’Amérique : il en a appelé à «l’avènement de l’Homme québécois», qu’il ne définit pas autrement que comme une question de survie à un seuil «de maturité ou d’autodestruction», afin que «nous habitions enfin l’Histoire». Objet historique, ce film est un témoignage nostalgique sur le Québec à un moment clef de son évolution : celui des revendications nationalistes et du référendum sur l’autodétermination. Il servira sans doute de rappel, pour la jeunesse actuelle, de l’histoire de la province et de ce qui a été fait par ses prédécesseurs pour lui permettre de vivre dans ce qu’est devenu le Québec.élébrer l’amour d’une femme et celui d’un territoire qui lui est refusé («J’affirme, mon amour, que tu existes» / «je t’aime pour une tendresse que je n’ai pas connu» / «un visage enneigé de hasards et de fruits»). Le pays est ainsi partie prenante de l’être du poète, qui célèbre la Terre en en appelant à ses travailleurs (bûcherons, paysans, mineurs). Il raconte ses «coups au coeur» pour célébrer et rendre honneurs aux ancêtres, à ceux qui ne pouvaient s’exprimer : «écrire pour montrer à tous ces gens là qu’ils n’ont pas vécu en vain, ont laissé une trace, une grande trace». En ce sens éminemment politique, il interroge les actions, l’équilibre et le développement de cette société. Il se lève, «vo[yant] nos êtres en détresse dans ce siècle». Suivant les mots de l’auteur («Les poètes de ce temps montent la garde du monde»), on sent la volonté de Simon Beaulieu de rétablir la stature et la place due à Gaston Miron, pour la Culture, l’histoire et l’identité québécoise.
La portée prophétique du poète est aussi montrée, quand il crie au monde cette menace de la «vie agonique» (caractérisant pour lui l’état permanent du peuple québécois) et qu’il s’élève pour «combattre cette grande fatigue, cette sournoise tentation de la Mort» et pour «investir [sa] réalité et un peuple de ses signes» : «Hommes, souvenez-vous de nous au cours de ce temps, Hommes, souvenez-vous de vous en d’autres temps !»
Les montées en tension sont très bien maîtrisées quand on écoute le poète, on se laisse emporter par sa «parlure», davantage soulignée avec des écrans au noir. Le réalisateur adapte aussi la forme à son propos, grossissant le grain de l’image jusqu’à la rendre quasiment imperceptible, comme celle d’un souvenir qui disparaît ou en travaillant la pellicule même, la déformant jusqu’à la détruire.
Le petit bémol à apporter au film concernerait la limite, outrepassée, entre la poésie et la politique : les nombreuses images de René Lévesque, des rassemblements du parti Québécois et des répressions policières pourraient restreindre la vision de Miron, qui appelle à un réveil culturel – «enrichissement à la culture universelle» – plus qu’à l’avénement d’un parti.