À la fois poème et pèlerinage, une expérience cinématographique hors du temps – ♥♥♥
Cela se passe en Lozère, le département le moins peuplé de France. Un berger aux rites ancestraux, des fous enterrés dans une commune, un coin du bout du monde : il semble que le réalisateur ait été inspiré par une envie de ramener à notre mémoire une marge oubliée.
Dans un format 4:3 pourtant loin de l’esthétisme télévision, Pierre-Yves Vandeweerd, gagnant du Grand prix international des RIDM en 2011 avec Territoire perdu, nous convie à ces histoires ramenées à la surface, à travers des noms dits comme des incantations, des visages effacés par les tempêtes de neige de la mémoire.
Les images granuleuses et presque monochromes sont superbes. Du film émane une poésie paradoxalement austère et sensorielle. Proche des éléments, perpétuellement visité par le vent, Les tourmentes se développe progressivement. Un berger presque sans visage mène ses moutons dans les montagnes, parallèlement des portraits nous sont présentés (qui sont-ils vraiment? Il y a doute), rappelant les pensionnaires d’un hôpital psychiatrique oubliés. Or la trame narrative n’a que peu d’importance, c’est l’expérience qui prime.
Plans larges : horizons de blizzards ou de cieux fuyants dans un flot de nuages, ici, le vent balaie tout. Mais aussi beaucoup de gros plans parfois flous, sur un mouton, sur un visage, avec lesquels le réalisateur nous engage dans un rapport sensuel et primitif, unifié par une bande sonore hypnotique. Sur un flanc de montagne, des herbes sont aplaties au sol par le vent, violemment : par une série d’images, ce ne sont plus des herbes, mais une peinture abstraite, tels des coups de pinceaux les fusionnant dans un tout. Un tout, oui. Les moutons suivent un seul et même mouvement, ces marginaux que familles et société ont oubliés forment une seule communauté secrète; le film paraît fusionner tout ensemble, afin d’incarner et de ramener ces morts un peu plus proches de nous.
Si certaines images nous hantent, comme celle du point de vue quasi subjectif d’un mouton au crépuscule, au final le film distille un sentiment insaisissable. Austère et répétitif comme pouvait l’être Le Cheval de Turin de Béla Tarr, Les tourmentes s’avère être un bel et long recueillement.