Les crevettes pailletées : nager entre deux eaux

France, 2019
Note: ★★★ 1/2

Précédé d’un accueil mitigé, Les crevettes pailletées débarque au Québec. On vous décortique les aventures de cette clique sportive homosexuelle pour le moins atypique. 

Vice-champion du monde du 50 mètres nage libre, Matthias Le Goff (Nicolas Gob) est contraint à une mission d’intérêt général pour avoir tenu des propos homophobes à la télévision. Pendant trois mois, il va devoir entraîner une équipe homosexuelle de water-polo afin de les préparer aux Gay games en Croatie (une vraie compétition). En quête de réhabilitation, son chemin sera pavé d’embûches au contact de cette kyrielle d’hommes plus colorés les uns que les autres.

Les Crevettes pailletées : Photo Nicolas Gob

Soyons honnêtes, lorsque la bande-annonce est sortie, nous étions très enthousiastes (rires à l’appui) et à la fois perplexe que les tenants et les aboutissants de ce premier métrage ne soient qu’un vil prétexte pour rire aux dépens des homosexuels. Le risque de se planter était fort. Il suffisait de suivre un sillon déjà emprunté maintes fois par des scénaristes à l’imaginaire peu fécond et de servir une resucée de clichés dans la lignée d’Épouse-moi mon pote (2017). C’est mal connaître Cédric Le Gallo (il s’est adjoint les services de Maxime Govare au scénario et à la réalisation) qui tenait à raconter son histoire, celle des Shiny shrimps, la véritable équipe homosexuelle avec qui il compétitionne et sillonne le monde depuis 2012.

« On va vous décortiquer, on est les crevettes pailletées. »

« On peut être pd et jouer au water-polo » rétorquera un personnage du film pour contrer l’habituel poncif qui laisse pensif « c’est pas un sport de pd ». La caricature a cet avantage de faire passer son message sur le ton de la plaisanterie lorsque certaines vérités ne sont pas toujours faciles à dire, voir ou entendre. Le réalisateur lui préférera le terme d’archétype car bien souvent, les gens ne retiennent que la représentation grossière de la description sans pousser jusqu’à la satire qui se cache derrière. Un des ressorts dans la comédie est alors souvent d’opposer deux groupes qui finiront, au gré de leurs aventures, par s’affranchir de leurs préjugés et s’émanciper. Les crevettes pailletées n’est pas exempt de cette règle.

Matthias est un personnage égocentrique qui ne vit que pour sa passion. Divorcé, il court après la victoire comme après sa fille (du même nom) qu’il délaisse quotidiennement au profit d’une hygiène de vie rigoureuse pour décrocher une qualification aux futurs Jeux Olympiques. Entre ses séances de vélo, de natation et la préparation de ses compléments alimentaires, il est en compétition constante avec les autres comme avec lui même tandis que les Crevettes ne cherchent qu’à s’amuser. Quand elles performent, c’est sur une scène ou en soirée, capables de grimer Céline Dion et Garou au pied levé. Malgré quelques clichés, la dichotomie entre Matthias et les Crevettes fonctionnent à merveille dans une ambiance conviviale et une bonne humeur communicative. Face à l’adversité, elles lui prouvent que la force d’un groupe permet de se dépasser et d’avancer, à l’instar de cette balle de water-polo qu’il faut aller chercher.

Tout juste arrivé de province, Vincent découvre le milieu gay au contact des autres Crevettes après avoir du quitter précipitamment son village natal en raison de l’homophobie des gens du coin. Il y a aussi Damien, abandonné à la naissance et Fred, porte-étendard trans dont le changement de sexe fait jaser, notamment Joël, un ancien militant d’Act up Paris rétrograde mais attachant. En couple depuis plusieurs années et papa de deux jumeaux, Cédric (Michaël Abiteboul) est sans conteste le plus rangé de toute la clique aux antipodes de Xavier qui n’est pas intéressé à se poser. Quant à Alex, il ne s’est toujours pas remis de sa rupture avec Jean (Alban Lenoir) sans qui toute cette aventure n’aurait pas eu lieu. Ce dernier s’est jeté corps et âme dans la création de cette équipe pour contrer la morosité qui allait le gagner, ou plutôt le perdre, lorsque une récidive de son cancer lui a été annoncée.

Ce pied de nez à la mort, Cédric Le Gallo et son coréalisateur en font un parti pris assumé en captant la frivolité et l’insouciance de ces hommes hors normes, à l’image de cette scène où la bande de gais lurons illumine la grisaille d‘une campagne bavaroise en répétant une chorégraphie sous une pluie battante au moyen d’un parapluie arc-en-ciel. Est-ce que cela fait pour autant d’eux des être futiles? Bien sûr que non. Comme tout le monde, ils connaissent leur lot de déconvenues. Leur choix ne porte alors pas sur leur sexualité, comme on veut souvent nous le laisser entendre (on la choisit autant que son prénom), mais sur le fait d’apprendre à s’aimer envers et contre tous. À travers le personnage de Cédric, le couple gay est d ‘ailleurs enfin banalisé. Pourtant, on lui reproche d’être hétéronormé. Et pourquoi pas ? Comme si reproduire un schéma de vie dit « classique » n’était pas compatible avec une homosexualité, légitimant ainsi les moqueries faites à son égard. De plus, le film interroge le comportement à adopter lorsqu’on est confronté à des personnes homophobes. Comment répondre aux insultes, aux quolibets ? Vaut-il mieux se taire et ne rien faire ou assumer notre identité quitte à provoquer l’autre et l’inciter à s’immiscer dans notre diké ? (la scène de toilette n’est pas sans rappeler le lynchage d’un personnage dans Priscilla, folle du désert, 1994). Rendons-nous compte que les Gay games, comme la Gay pride, ont été créés en réponse à une oppression insistante qui existe bel et bien depuis de nombreuses années, notamment ici dans le milieu du sport (il ne fait pas toujours bon sortir du placard). Avec le temps, les principaux intéressés ont parfois fini par oublier les raisons pour lesquelles ces manifestations ont vu le jour, s’attardant plus à s’amuser qu’à militer, ce que Joël rappellera à ses camarades lors de leur virée en bus pour rejoindre la Croatie.

C’est en ce sens que les réalisateurs font le parallèle avec Pride (2014), un film britannique opposant des gays extravertis et des homophobes. Si l’on comprend bien la référence, la subversion et l’humour très singulier des britishs manque néanmoins à cette première œuvre. En outre, la musique originale qui s’intercale entre les scènes sonne un peu trop variétoche cheap de bas étage. C’est dommage car elle dessert des images plutôt léchées, témoin d’une esthétique travaillée, des couleurs jusqu’aux cadrages. Cependant, Cédric Le Gallo et son comparse n’ont jamais eu pour intention de révolutionner le genre de la comédie, encore moins de faire un film exhaustif sur la communauté homosexuelle (ce serait pédant) qui parfois se sent persécutée dès qu’un personnage de folle est représentée à l’écran. Mais les folles elles existent, au même titre que les camionneuses. Arrêtons de les diaboliser et de les mépriser comme des parias de la société. Si des hommes et des femmes ressentent le besoin d’extérioriser leurs sentiments dans l’exubérance et l’extravagance, cela leur appartient. Apprenons le laisser-faire et le laisser-vivre. À croire que ce qui dérange, c’est l’aisance avec laquelle ils vivent leur vie, sans se soucier des qu’en-dira-t-on, créant au passage quelques frustrations chez des gens incapables d’en faire autant. Cela peut s’entendre mais n’excuse en rien leurs comportements.

« Quand je pense qu’il y en a qui n’ont pas la chance d’être pd. »

En France, la dernière vraie comédie sur l’homosexualité remonte déjà à 1995. C’était Pédale douce de Gabriel Aghion. Le peu de films sur le genre témoigne de la frigidité des producteurs à embarquer sur un projet de cette envergure là. Pas facile donc de réaliser une comédie sans risquer de faire une énième redite de La Cage aux folles (1978) dont l’humour cible un public réac, beauf et hétéro. Comme il n’est pas simple de brosser un portrait fidèle de toute la communauté gay. Est-il vraiment possible de le faire ? Rendez-vous compte en moins de deux heures de la tâche herculéenne à répertorier toutes les facettes d’une minorité comportant à elle seule un nombre affolant de sous-catégories : les twinks, les loutres, les bears, les fétichistes et j’en passe. On pourrait penser que le fait de partager une sexualité en marge de la société rapprocherait les gens. A contrario, ils deviennent méfiants à l’idée d’inclure de nouvelles personnes à leur groupe qu’ils ostracisent à leur tour comme s’ils avaient peur de perdre leur place au sein d’une famille réconfortante. Le problème majeur qui découle de cette réaction est la ghettoïsation systématique empêchant les gens de se mêler aux autres et accentuant ainsi le clivage social qui s’enracine. C’est se fermer au monde que de rester avec des gens de la même appartenance ethnique, religieuse ou sexuelle. Le métissage et le partage des cultures amènent une ouverture d’esprit sur les autres sans nuire à l’individualité de chacun. N’en déplaise à certains, Cedric Le Gallo a donc décidé de raconter son histoire. Cette vérité qui lui est propre n’est peut-être pas la vôtre, il se peut même que certaines idées ne viennent pas conforter votre opinion la plus intrinsèque sur le sujet, cependant, l’authenticité du projet n’a pas pour autant à être reconsidérée. 

Les Crevettes pailletées : Photo Geoffrey Couët

Abordant l’homosexualité sous l’angle de la comédie et non pas celui du drame attendu sur le coming out ou le sida, Les crevettes pailletées nous prouve qu’il est possible de rire avec les homosexuels autant qu’il est possible d’apprécier le travail de Téchiné, d’Ozon ou d’Honoré. D’une manière singulière, le film participe à une libération des mentalités en dépit de quelques ressorts dramatiques qui ne ménagent pas un certain béotisme convenu et malvenu. Loin de succomber à la facilité, Cédric Le Gallo a voulu s’éloigner du carcan militant qui peut être plombant pour offrir une comédie intelligente, qui, derrière son apparence légère, prône la différence et la tolérance. Jamais son intention n’a été de faire un film représentatif de la communauté gay mais de son quotidien, où, pour pouvoir rire des autres, il fallait apprendre à rire de soi. La précision a son importance. Ici pas de prestations mémorables, mais une cohésion du groupe indéniable, apportant une spontanéité et une fraîcheur appréciable qui nous permettent une immersion rapide dans leur univers bigarré. La force du métrage est alors de brosser un portrait chamarré de ces personnages où les différences de chacun peuvent cohabiter. C’est déjà bien.

Durée: 1h40

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