Huit ans après son premier long-métrage Notre jour viendra, le réalisateur Romain Gavras fait son grand retour avec Le Monde est à toi, comédie criminelle solaire et déjantée qui détonne dans le paysage cinématographique français. Cinémaniak l’a rencontré dans le cadre du Festival Cinémania qui a eu lieu à Montréal en novembre dernier pour le questionner sur ce film de gangsters pas comme les autres.
Cinémaniak: Tu es connu pour votre travail sur des formats courts comme ce que t’as fait fait avec le collectif Kourtrajmé et les clips musicaux. Huit ans après Notre jour viendra, qu’est-ce qui t’a donné envie de revenir au long-métrage et de réitérer l’expérience?
Romain Gavras: Pendant les huit ans, j’avais envie de refaire un film mais j’ai perdu deux ans à écrire un film qui ne s’est pas fait car il était beaucoup trop cher et trop ambitieux. C’était une espèce de blockbuster car je recevais beaucoup de scénarios américains après avoir fait certains clips. Mais ce n’étaient pas forcément des choses que j’avais envie de faire. Si il y avait une envie, c’était plutôt d’écrire mon scénario mais en pensant évidemment qu’ils me donneraient l’argent pour le faire. Mais en fait pas du tout, le film était beaucoup trop compliqué. Après les formats plus courts j’aime bien ça et je vais revenir à ça. Et puis c’est vrai que c’est très dur de monter des films, j’ai une fille donc la vie a fait que je n’ai pas réenchainé tout de suite. Mais j’espère que je ne vais pas attendre dix ans pour en refaire un autre.
Cinémaniak: Le récit s’inscrit dans un contexte très actuel. Le film fait aussi bien référence au complotisme sur internet qu’au terrorisme ou aux migrants. Est-ce que c’était important pour toi de prendre tes distances avec les codes du film de gangsters classique et de livrer une vision plus contemporaine du monde criminel à l’écran?
Oui, pour le coup la dramaturgie est hyper classique car de nombreux films partagent cette même histoire d’un type qui perd son argent et doit faire un dernier coup pour trouver sa petite place au paradis. Je peux citer une vingtaine de films qui sont basés sur cette architecture-là. Après l’idée c’était d’avoir une architecture mais ensuite de pervertir tous les codes. Que tous ces ingrédients donnent lieu à une cartographie du monde contemporain. L’idée était d’avoir un mec normal qui essaye de s’échapper d’un film de voyous, c’est ce que j’expliquais à Karim quand je lui ai proposé de faire le film. S’éloigner de l’image du gros voyou mystérieux à l’image de ce qu’ils faisaient dans certains films italiens des années 1950 comme Le Pigeon ou Affreux, sales et méchants. Je voulais montrer la petite voyoucratie. Il y a quelque chose de plus drôle et de touchant là-dedans car l’image du gros voyou et le mythe du gangster ça ne me touche pas du tout. Je préfère un mec normal qui n’est pas bon dans ce qu’il fait, c’est beaucoup plus intéressant.
Cinémaniak: Ça rejoint donc l’une de mes questions. Est-ce que c’était important d’avoir le point de vue d’un protagoniste normal alors que tous les personnages qui gravitent autour de lui ont l’air complètement déconnectés du monde réel?
Romain Gavras: Oui, le titre du film Le Monde est à toi fait référence à cet objectif de criminel d’avoir des châteaux et des lingots d’or tandis que lui a un rêve quasi-réactionnaire d’avoir une petite maison et une petite vie tranquille. Lui veut une vie normale alors qu’il est entouré de personnes complètement tarées.
Cinémaniak: L’humour occupe une place importante dans le film. Un humour qui confine parfois à l’absurde et qui n’est pas sans rappeler ton travail pour Kourtrajmé. Est-ce qu’il a parfois été difficile de trouver le bon équilibre de tonalité entre la comédie et le polar?
Romain Gavras: Oui, c’est hyper dur. Surtout que je n’avais pas tourné depuis huit ans et je me disais que le travail avec les acteurs pouvait vraiment être l’endroit où je pouvais me planter. Du coup on a fait beaucoup d’ateliers et de répétitions avec les acteurs. Surtout que le film est une comédie sans être de la punchline permanente. Le travail se situe aussi beaucoup au niveau du montage afin de veiller à ne pas tuer la tension d’une scène avec un moment trop drôle et inversement. C’était un vrai travail d’équilibriste mais ça correspond aussi aux films que j’aime. Les films italiens des années 50 ou ceux des frères Coen et de David O.Russell. Des films où il y a de la tension et ensuite c’est drôle, j’aime cette variation.
Cinémaniak: La musique est totalement indissociable du film. Est-ce que t’avais déjà des morceaux en tête pendant l’écriture des certaines scènes? Comment as-tu conçu ces scènes?
Romain Gavras: Oui, les trois quarts des morceaux étaient déjà présents lors de l’écriture. La scène de Poutine avec Voulzy et la danse du gros ventre, elles étaient pensées autour de la musique. Parfois l’inspiration vient aussi avec la musique. Et puis l’idée était que chaque chanson raconte une partie de l’histoire et que chaque personnage ait un peu sa musique. Et puis cela donne aussi lieu à une sorte de cartographie de la France car tu passes de Sardou à Voulzy à Booba à PNL. C’est vraiment ça le paysage musical français.
Cinémaniak: C’était important pour toi de choisir des morceaux français plutôt qu’américains?
Romain Gavras: Complètement, on a une culture musicale énorme en France et c’est tellement dommage de ne pas puiser dedans. Certains morceaux peuvent être considérés comme « cheesy » mais moi c’est des morceaux qui me touchent vraiment et qui me parlent.
Cinémaniak: Côté casting, entre une Isabelle Adjani plus exubérante que jamais et un Vincent Cassel plus éteint que d’habitude, est-ce que c’était intéressant pour toi de casser un peu leur image et de les employer à contre-courant?
Romain Gavras: Oui, c’est hyper excitant pour le réalisateur de jouer avec l’image de ces deux icônes du cinéma français. Mais c’est aussi très excitant pour les acteurs qui veulent toujours faire quelque chose qu’ils n’ont jamais fait. C’était intéressant pour eux de se mettre un peu en danger, c’était vraiment le postulat de départ.
Cinémaniak: Et en ce qui concerne le reste du casting?
Romain Gavras: L’acteur principal Karim Leklou je ne le connaissais pas mais je l’avais vu dans certains films. Je l’avais déjà en tête pendant l’écriture du scénario. Même chose pour François Damiens et Philippe Katerine. Difficile d’imaginer quelqu’un d’autre que Damiens pour dire des horreurs pareilles! Et pour ce qui concerne le personnage de Katerine, quand tu regardes le scénario, il n’est là que pour faire du passage d’informations. Son objectif est simplement de faire avancer l’histoire mais le fait que ce soit Katerine qui l’incarne ramène une forme de poésie et le rend intéressant. Un peu comme à une époque quand Claude Piéplu débarquait dans un film, j’étais content! Ça me fait le même effet avec Katerine. Même si je n’aime pas particulièrement le film, le fait qu’il fasse partie du casting me plait toujours.
Cinémaniak: Visuellement, Le Monde est à toi tranche radicalement avec Notre jour viendra dont l’identité plus monochrome collait plus avec le sujet. Ici, on est face à quelque chose de très solaire et coloré. Comment as-tu conçu l’esthétique du film? Tu disais dans une interview que t’aimais montrer au spectateur des images qu’il n’a jamais vues auparavant. Est-ce que c’était également le cas ici?
Romain Gavras: Oui, d’habitude j’aime bien tourner en pellicule, en 35 ou en 16. L’idée c’était ici de tourner en numérique avec des couleurs criardes. C’est aussi comme ça que les jeunes s’habillent aujourd’hui. La ville de Benidorm en Espagne, je savais depuis le début que je voulais tourner là-bas. C’est une sorte de Miami qui fait pas du tout européen mais qui est quand même en Europe, c’est très très bizarre. J’aime aller au cinéma et voir de nouvelles images. Aujourd’hui, si tu fais un film de cité, faut obligatoirement que ce soit très dur et sérieux. Mais ce n’est pas ce qu’on voulait faire ici. Le postulat de départ c’était aussi de faire un parallèle avec la cité française du début et les tours de Benidorm. De partir en vacances là-bas est quand même très étrange. C’était aussi une manière pour moi d’illustrer le brouillard mental ambiant tout étant très criard au niveau des couleurs. Ce qui est drôle c’est que les critiques de mon film ont été plutôt bonnes mais les mauvaises lui reprochaient justement ce côté tape-à-l’oeil. Mais c’est complètement ça, tu pars pas filmer à Benidorm avec des mecs habillés en rose fluo si tu veux pas être tape-à-l’oeil.
Cinémaniak: T’avais ce lieu en tête dès le départ?
Romain Gavras: Oui oui complètement. J’aime beaucoup préparer les films, je pars en repérages avant même que la pré-production ne commence. Je fais des photos sur place et j’ai vraiment le film en tête avant le tournage.
Cinémaniak: Est-ce que tu voulais aussi déconstruire ce mythe du criminel mystérieux et tapi dans l’ombre en les exposant ainsi au grand jour?
Romain Gavras: Oui je ne suis vraiment pas fasciné par les voyous mystérieux car c’est une image que le cinéma a créé de toutes pièces. Un type hyper intelligent va plutôt choisir de devenir astrophysicien que voyou. Je voulais aussi montrer la beauferie de ce milieu. Même si mon film n’est pas réaliste à proprement parler, il est plus réaliste que bon nombre de films qui abordent le sujet. Je ne voulais surtout pas mettre mes personnages sur un piédestal mais sans les détester non plus. Même Poutine qui est le plus dingue d’entre tous, c’est vraiment un personnage que j’aime dans sa conception.
Cinémaniak: Quels sont tes projets?
Romain Gavras: C’est encore tôt pour en parler en détails mais je suis en train d’écrire mon prochain long-métrage.