Malgré un rythme plutôt inégal, un film qui ratisse large et touche sa cible. ♥ ♥ ♥
Le fin fond du Québec. Le nord du monde. Aride de beauté. Là où on ne soupçonnerait la présence d’âmes qui vivent, on retrouve deux soldats dans un bunker enfoui sous terre. Alors que la guerre froide est terminée depuis belle lurette, ce bunker, vestige inexplicable d’une époque révolue, est toujours en place et en fonction. Leur affectation étant routine depuis des années, ces soldats seront confrontés à la décision de lancer une attaque nucléaire sur la Russie sans savoir si leur pays est réellement menacé…
Le film fait mouche dès le départ avec un rythme savamment mis en place qui s’impose dès les premières minutes. Le spectateur réalise rapidement que la situation à laquelle il est confronté lui sera présentée sans beaucoup plus d’explication que ce qu’il a pu apprendre avec le synopsis du film. La prémisse invraisemblable constitue ainsi davantage un prétexte (comme nous le mentionnait le coréalisateur en entrevue) pour parler des réactions humaines lors de telles situations exceptionnelles. Toute la première partie du film sera consacrée à la présentation savamment dosée de l’absurdité et de la monotonie de la situation ; confinement, repas, loisirs, on exploite au maximum ces gestes répétitifs aux apparences banales qui revêtent néanmoins une signification tout autre dans ce contexte particulier. On veut imprégner le spectateur de la situation vécue par les deux soldats. Les plans larges, appuyés par une direction photo de première force, ne font qu’accentuer le sentiment d’extrême isolement des hommes face à la nature et au reste du monde.
L’élément déclencheur qui n’arrive environ qu’à mi-chemin vient toutefois briser le rythme du film et celui-ci ne le rattrapera malheureusement jamais totalement jusqu’à la fin. Prenant par surprise autant les soldats que le spectateur, le point central de l’intrigue marque une coupure nette avec le récit mis en place depuis le début. Après avoir misé sur la lenteur et l’exposition, les événements et les réactions sont trop précipités alors qu’on ne s’attarde que trop peu aux décisions prises par les soldats et aux conséquences de celles-ci. Cela pourrait être crédible si on ne précipitait pas les explications dans une finale qui en laissera sans doute plus d’un perplexe ce qui aura pour résultat d’encore une fois briser le schéma mental du spectateur et pas nécessairement pour le mieux..
Le film demeure un exercice de style assez réussi, particulièrement grâce au jeu de ses deux acteurs principaux. Leur complicité est palpable et le film n’aurait pu avoir la même portée sans leur présence. On retiendra particulièrement Patrick Robitaille dans un savoureux contre-emploi, qui nous démontre toute l’étendue de son talent. À l’heure où la guerre de tranchées puérile entre cinéma d’auteur et cinéma commercial bats sont plein dans le cinéma québécois, on peut voir Bunker comme un pont entre les deux pôles irréconciliables où chacun pourra y trouver son compte pour autant qu’on y mette du sien.