Co-production Canada, Allemagne, France et États-Unis, 2024
★★1/2
Adapté de la nouvelle éponyme de Françoise Sagan, Bonjour Tristesse de Durga Chew-Bose présente certaines dynamiques qui peuvent se jouer entre femmes, au détriment d’une histoire qui aurait bénéficié d’un parti pris narratif plus assumé.
Dans une villa au bord de la mer, la jeune Cécile (Lily McInerny), son père Raymond (Claes Bang) et son amante Elsa (Naïlia Harzoune) passent des vacances de rêve entre baignades, siestes et musique. L’arrivée de Anne (excellente Chloë Sevigny), une ancienne amie de la défunte mère de Cécile, chamboule le quotidien du petit groupe en prenant le cœur de Raymond. Cécile tente de défendre son monde d’insouciance contre la rigidité d’Anne et échafaude un plan qui aura des répercussions funestes.
La dynamique entre les trois femmes principales, Cécile, Anne et Elsa, est l’élément le plus mis de l’avant dans le film. En effet, on comprend rapidement les jeux de pouvoir entre elles, d’après leurs personnalités, leurs âges et leurs objectifs. Un (quasi) plan-séquence sur la terrasse illustre bien la manière dont leurs univers sont intrinsèquement liés malgré leur différence. Dans une chorégraphie fluide, elles se croisent et se relaient autour d’une table, manipulant les mêmes objets du quotidien (un journal, la cafetière, le bol de fruit, …) sortant parfois du cadre, jusqu’à se retrouver toutes dans le soleil, mangeant une pomme en silence. Elles sont liées, malgré ce qui les sépare et malgré les frictions qu’elles entretiennent entre elles. On retrouve cette idée dans toute l’œuvre, surtout lors de scènes où elles se retrouvent pour un moment de complicité en duo, souvent pour parler de celle qui est absente. Ces dynamiques de pouvoir peuvent être assez réalistes, de la fine balance entre rivalité et sororité qu’on peut parfois ressentir entre femmes (bien que j’aurais préféré qu’on dépasse cet état). Bonjour Tristesse est rythmé par des moments de douceur alternés de prises de bec, particulièrement entre Cécile et Anne, qui rappelle le rapport qu’on peut entretenir avec une mère, une tante, une grand-mère.
Il faut également souligner que le scénario réussit à esquiver le piège de faire reposer les échanges entre femmes uniquement à propos de Raymond. La « rivalité féminine » pour obtenir l’attention de l’homme est bien présente, et est même centrale au récit, mais elles échangent également sur d’autres sujets, dont l’amitié, la création, la carrière, etc. Le film est campé en 2025, avec une réalisatrice qui comprend où on en est en termes de représentation de la femme au cinéma.
Ceci dit, en choisissant de présenter tous les points de vue, on ne s’attarde sur aucun. Le film aurait bénéficié d’un angle plus clair et assumé qui nous aurait permis de mieux entrer en empathie avec le personnage principal, qui devrait être normalement être … Cécile ? Malheureusement, les premières scènes de Bonjour Tristesse sont ambiguës et ne nous permettent pas d’identifier avec certitude le protagoniste, notamment parce qu’on assiste à des scènes qui ne s’attardent pas particulièrement sur Cécile. Le personnage est vaguement là, mais n’est pas actant alors que tout le monde s’agite autour d’elle. Comme la mise en scène n’épouse pas son expérience, on ne s’attache pas à elle, on se retrouve à distance et certaines de ses réactions nous semblent parfois injustifiées ou exagérées. À titre d’exemple, la croyance principale de Cécile, qui la pousse à agir, est l’idée que son père n’est « pas heureux » avec Anne. C’est une idée qu’elle évoque même directement en parlant avec Elsa. Or, la réalisatrice décide de nous présenter des moments de complicité entre Raymond et Anne qui, pour le spectateur adulte, nous semblent tout à fait heureux et mignons. Ces plans décrédibilisent l’expérience de Cécile, qui paraît alors immature et injuste. Si le public n’avait pas vu les moments joyeux entre Raymond et Anne, on aurait plus facilement adhéré à la perspective de Cécile, ce qui aurait assuré la cohérence du récit. Certains pourraient dire que la protagoniste, au contraire, sait que sa croyance est fausse et que son objectif est plutôt de manipuler les gens autour d’elle pour éloigner toutes les femmes. Si tel était le cas, encore une fois, les choix de montage et de mise en scène ne l’indiquent pas assez clairement. De plus, la fin du film ne semble pas pointer vers cette direction. Dans la dernière partie, Raymond exprime clairement à sa fille son amour pour Anne et qu’il était bien avec elle. Cécile semble recevoir cette information comme une révélation, la bouche entrouverte, les yeux fuyants de culpabilité. De manière générale, sa transformation à travers le film est moins impressionnante et complexe que pour le personnage de Anne, par exemple, qui nous montre régulièrement des signes d’évolution, par des paroles et des actions.
Malgré un décor idyllique et une palette de couleur primaire qui rendent très bien, certains éléments importants du film sont trop subtils, avec un lien de cause à effet peu évident, tout ça sous le couvert d’un minimalisme stylistique flagrant. Le livre présente l’arc dramatique de Cécile de manière très compréhensible, en racontant l’histoire de coming-of-age d’une jeune femme qui teste les limites de son pouvoir sur les autres et se fait dépasser par celui-ci. La réalisatrice semble vouloir y apporter une autre perspective, ce qui est super, mais en y allant à demi-mesure et surtout au détriment de l’histoire et de la cohérence de certains personnages. Du même coup, c’est le propos du film qui s’en trouve affaibli et c’est bien dommage pour un matériel de base aussi fort.
***
Durée : 1h50
Crédit photos : Babe Nation Films