Les Glaneurs et la Glaneuse – Requiem pour un cœur de patate

France, 2000

 ★★★★1/2

La pionnière Agnès Varda aurait célébré ses 97 ans aujourd’hui. Pour rendre hommage à son héritage, replongeons 25 ans en arrière et dépoussiérons Les Glaneurs et la Glaneuse (2000), un film qui, pour nombre, incarne la quintessence de son œuvre.

Les Glaneurs et la Glaneuse est un documentaire qui explore la rencontre entre la réalisatrice, Agnès Varda, et les « glaneurs » — ces personnes qui, par survie, conviction ou simple envie, collectent les légumes et les fruits qui ont échappé aux récoltes. Le glanage brille dans ce film par la capacité d’Agnès Varda à en dévoiler son caractère ancestral, de l’ère agricole à l’ère urbaine, tout en dépassant le sujet pour y injecter ses réflexions sur la mémoire, la collectivité et la finitude. Elle réinscrit cette pratique millénaire dans quelque chose de collectif, complètement instinctif. Et surtout, elle nous donne envie de la suivre, flânant entre les hautes vignes de raisins un matin frais de fin d’été, ou fouillant les poubelles de la ville une journée caniculaire de juillet. À chacun son glanage.

Le documentaire n’est qu’un prétexte

Cette idée que le documentaire traite de la « rencontre » plutôt que du sujet « le glanage » nous rappelle l’humanité qui était au cœur de la pratique de Varda. Son cinéma constituait en lui-même une forme de glanage qui allait au-delà des thèmes abordés pour saisir l’image de manière ludique dans la désobéissance des lois du cinéma. L’action de se pencher pour ramasser reste une activité modeste qui nécessite une sensibilité dans la rencontre avec les sujets, et leur réalité sociale. Dans le domaine du documentaire, qui incarnait, ou incarnera l’empathie mieux que cette réalisatrice pour qui chaque rencontre devenait une occasion d’introspection ? Elle nous montre qu’il serait grand temps de démocratiser le grappillage pour de vrai, prendre le temps d’examiner les choses abandonnées au sol sans honte, au moins.  L’ embarras devrait être réservé à ceux qui souillent, jettent et gaspillent.

L’autre glaneuse, celle du titre de ce documentaire, c’est moi

Dans les premières minutes du film, Varda se met en scène en adoptant la pose de la glaneuse du tableau éponyme de Jules Breton, peint en 1877. Immobile, elle tient fièrement le blé sur son épaule, comme pour honorer la mémoire intemporelle des images qui l’ont profondément touchée. Contrairement à la glaneuse de Jules Breton, Varda nous regarde. Ses yeux percent l’objectif pendant quelques secondes avant d’annoncer :

« Je laisse volontiers tomber les épis de blé pour prendre la caméra. » Fidèle à ses mots, elle libère sa main pour diriger son objectif vers nous.

Elle nous dit : « L’autre glaneuse, celle du titre de ce documentaire, c’est moi ».

Varda retourne la caméra sur elle-même, sur ses mains qui se creusent, sa peau qui se ride et ses cheveux qui grisonnent. Elle nous confie ses pensées par rapport à la fin de sa vie, que la mort se rapproche. Oui, le monde a continué de tourner après le décès de Varda au printemps de 2019, mais elle a tout de même emporté quelque chose avec elle. Nous laissant ses divagations et ses petits jeux optiques, à découvrir, à analyser et surtout, à sur-analyser pour les siècles à venir.

Pionnière de toute

Celle qui, depuis sa trentaine, est décrite comme la grand-mère du documentaire a toujours promu une sagesse émancipatrice dans sa manière de faire du cinéma. Varda rejetait les dogmes et refusait de se soumettre à une méthode rigide. Elle n’a jamais cherché la recette parfaite qui aurait pu freiner son apprentissage, enfermée dans des conventions de genre ou des débats terminologiques.

Elle a fait du documentaire comme on fait du glanage, en recueillant ici et là sans règles précises, tout en triant ce qu’elle souhaitait garder. Une démarche qui a fait émerger les bons scénarios des mauvais, un peu comme les grappilleurs distinguent les pommes fraîches de celles qui sont pourries. Cette liberté de processus révèle les errances imaginaires de Varda, faisant du glanage une métaphore existentielle où chaque image récoltée porte l’empreinte de la cinéaste, transformant le film en une réflexion à la fois intime et universelle.

Saviez-vous que le glanage c’est lorsqu’on ramasse à même le sol, tandis que le grappillage se fait directement à l’arbre ou au cep ?

***

Durée : 1h22
Crédit photos : Ciné-Tamaris

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