Aline : Une fiction pas comme les autres

France, 2020
Note : ★★★1/2

Lancée à l’automne 2020, la bande-annonce d’Aline a fait couler beaucoup d’encre. On y découvrait Valérie Lemercier pastichant Céline Dion, de son enfance à sa vie d’adulte, au moyen d’un procédé filmique pour le moins déroutant. Beaucoup s’attendaient à une caricature compte tenu la goguenardise souvent présente dans l’univers de la réalisatrice qui, par ailleurs, écrit et interprète ici le rôle-titre. Mais il n’en est rien. Touchée par la solitude de Céline après le décès de son mari, elle souhaitait rendre hommage à la femme, l’interprète et la célébrité, à travers la relation singulière qui l’a liée pendant de nombreuses années à René.

Aline: Valérie Lemercier, Sylvain Marcel

Une promo qui ne passe pas incognito

Dès le départ, consciente du scepticisme autour du projet, elle n’a eu de cesse d’expliquer que ce 6e long métrage est librement inspiré de la vie de son idole, comme le mentionne l’affiche promotionnelle et un carton au début du film. Pourtant, malgré de nombreux efforts pour expliquer ses intentions, elle n’a pu éviter la tempête médiatique dans le verre d’eau salée initiée par Michel et Claudette Dion (le frère et la sœur de Céline).  Ces derniers se sont épanchés à la télévision sur l’inexactitude supposée du scénario transformant ou omettant plusieurs éléments importants de la vie de l’artiste. Appuyés par l’incrédulité de certains spectateurs, il semblerait que la notion de fiction leur ait échappé. Une fiction, ou encore une construction imaginaire, qui, dans ce cas précis, s’inspire du réel pour inventer son récit. Sur ces entrefaites, l’idée de contester la vraisemblance du projet s’avère alors insensée, d’autant plus qu’il est réalisé avec aplomb par la reine de l’absurde et de la bizarrerie en tout genre. A-t-on déjà vu un film biographique satisfaire les proches du sujet personnifié sans tomber dans un consensus social attendu ?

Aline: Valérie Lemercier

Caprice artistique ou démarche artistique ?

Préférer Aline à Céline a notamment permis à Valérie Lemercier de prendre davantage de distance avec son sujet et de jouir d’une plus grande liberté dans l’écriture du scénario à quatre mains avec Brigitte Buc (qui l’avait déjà accompagnée sur Palais royal ! en 2005). Elle a également refusé de tourner à Charlemagne, ville de naissance de la Québécoise, pour éviter tout sensationnalisme, cherchant la vérité de son héroïne ailleurs, entre fantasme et réalité. Certes, il faut faire montre de flexibilité pour accepter cette fantaisie loufoque qui rejette en bloc les conventions narratives établies dans son amalgame constant du vrai et du faux. La réalisatrice prend, entre autres, le parti pris de ne pas filmer certains moments marquants de la vie de la chanteuse (la rencontre avec Jean-Jacques Goldman) ou de les réécrire (le mariage). Ce qui l’anime avant tout, c’est de gratter derrière le vernis de la célébrité et de mettre à nu son artiste, loin des strass et des paillettes, loin du show-biz et du paraître. Usant d’ellipses bien senties, elle élude la prestation de la star à l’Eurovision et préfère plutôt nous parler de ses angoisses en coulisses, recentrant ainsi les enjeux de la scène sur l’amour entre Aline et Guy-Claude. En outre, elle se sert du répertoire musical de Céline pour nourrir sa dramaturgie, quitte à déplacer des événements dans le temps afin de sustenter son appétit de créer sans jamais l’étouffer. Un choix audacieux qui pourrait freiner l’identification du spectateur aux personnages et aux situations connues de tous. Néanmoins, c’est justement dans cet entre-deux fantasmagorique que la metteuse en scène réinvente le mieux le genre du biopic, en proposant une version impertinente et pudique à la fois.

Aline: Sylvain Marcel, Valérie Lemercier

D’amour et de sororité

Tout comme son idole, Valérie Lemercier a grandi à la campagne, dans une famille nombreuse où il n’a pas toujours été facile de se faire une place. Issue également d’un milieu modeste, elle parle ouvertement des remarques déplacées entendues lors de sa jeunesse sur son physique ingrat. Dès lors, évoquer la dentition croche de Céline à ses débuts est en définitive une manière de rire d’elle-même, préférant user d’autodérision afin de soigner ses maux. Pour les besoins de sa deuxième réalisation (Le Derrière, 1999), elle n’a que faire de son image et se travestit en jeune adolescent provincial à l’accent du Sud-Ouest prononcé tandis que dans Palais royal ! s’opère un changement physique majeur : celui d’une orthophoniste coincée et trompée qui mute en princesse Lady Di distinguée. C’est la revanche d’une actrice découvrant sur le tard une féminité qu’on lui avait jusqu’alors refusée.

Aline: Valérie Lemercier

Aline, n’est pas une fiction comme les autres à la minute où le spectateur prend conscience que Valérie Lemercier sera derrière et devant la caméra. L’ennui, c’est qu’elle est surtout connue pour avoir joué des seconds rôles dont le plus notoire reste, sans équivoque, celui de Béatrice de Montmirail (Les Visiteurs, 1993) qui, d’ailleurs, lui vaudra son premier césar après 6 films seulement (elle en obtiendra un second grâce à Fauteuils d’orchestre en 2007). À moins d’être fan de l’univers de la chaîne TV française, Canal + (La Cité de la peur, les sketches des Nuls), il y a peu de chance que vous l’ayez vue ailleurs que dans des films d’auteur intimistes (Vendredi soir en 2002, Main dans la main en 2012) ou sur une scène parisienne pour un de ses one-woman-shows. Le premier rôle principal de sa carrière, c’est elle qui se le donnera en 1997 dans Quadrille, une adaptation de la pièce de théâtre éponyme de Sacha Guitry (1937) qui lui permettra de s’initier à la réalisation. Une corde de plus à son arc de guerrière résistante face à une bourgeoisie qu’elle se plait à ridiculiser en lui tenant tête.

Il faut savoir que Valérie Lemercier développe très tôt dans sa carrière un goût pour la transformation qui ne s’affadira jamais. Une exploration corporelle ludique qui l’amène souvent à jouer des petites filles : de la parodie culte de l’École des fans où, affublée d’une perruque « coupe au bol » elle déclarait manger de l’huile à Alain Chabat, jusqu’au sketch du Nutella chez Catherine et Liliane en 2015 dans lequel elle remet le couvert, deux couettes de chaque bord de la tête. Aline ne fait donc pas exception à la règle. Pour les besoins du film, la comédienne a dû porter des gaines qui lui serraient la taille lors des scènes d’enfance et d’adolescence tournées sur fonds verts. Puis, son corps a été retravaillé à l’aide du morphing en postproduction quand l’équipe des effets visuels n’utilisait pas une technique de perspective forcée numérique (à l’instar des hobbits dans Le Seigneur des anneaux) ou à la Méliès (décors agrandis). Si le résultat peut surprendre au premier abord, l’étrangeté qui se dégage de cette créature mi-femme mi-enfant séduit par sa force mythologique à vouloir défier le temps, soulignant également la particularité de son organe vocal qui fait d’elle, un être extraordinaire. C’est pourquoi Lemercier introduit son personnage les yeux dans les yeux, traquant son regard comme dans un film de monstre où la silhouette de la bête se dessine lentement avant de la voir dans son entièreté (Aline est l’anagramme d’Alien). S’il est vrai que cette artificialité assumée peut sembler ridicule, force est de constater la désarmante sincérité avec laquelle le film ouvre son conte de fées.

Aline: Sylvain Marcel, Valérie Lemercier, Danielle Fichaud

Le fabuleux destin d’Aline Dieu

Petite dernière d’une famille de 14 enfants, Céline Dion a bien failli ne jamais voir le jour. Valérie Lemercier souhaitait mettre l’accent sur le parcours hors du commun de ce bébé non désiré qui finira, contre toute attente, par devenir l’une des plus grandes chanteuses de ce monde. Dès lors, elle s’attarde à montrer le soutien et l’amour indéfectible de sa famille pour l’aider à atteindre son rêve. À commencer par sa mère (Danielle Fichaud) qui la suit partout, redoublant d’attention et d’affection, comme si elle cherchait à se faire pardonner de ne pas avoir voulu d’elle en premier lieu. Pour raconter cette histoire unique, la réalisatrice a choisi de le faire sous la forme d’un conte, un conte de fées moderne empreint de magie, de bienveillance et de sincérité, à l’image de la relation entre Aline et Guy-Claude (Sylvain Marcel). Le portrait de la famille Dieu est donc celui d’un clan tricoté serré, de la scène à la campagne, jouant parfois sur l’image éculée de la cabane au Canada qui sied bien à cet univers de fable surannée. À la différence qu’ici, dans ce rêve éveillé, on initie l’enfant à devenir une star avant de devenir une femme.

Aline: Sylvain Marcel, Valérie Lemercier

 

Réfection de la dentition, cours d’anglais à répétition deviennent alors le quotidien de la jeune chanteuse dont la carrière commence à prendre son envol, au détriment des jeux et des cours d’école (la fillette s’endort en classe et ne connaît pas le Vatican). De fait, quand des années plus tard le fils d’Aline lui demande comment écrire « ascenseur » et qu’elle lui répond « tu sais maman n’est pas allée à l’école assez longtemps », l’intention derrière n’est pas de faire passer Céline pour une sotte. Il s’agit plutôt de mettre en lumière la célérité nécessaire pour réussir dans un métier exigeant des compromis face auxquels les filles de son âge ne sont généralement pas confrontées. Une fois devenue adulte, Aline remplit des salles de spectacles aux quatre coins du monde, mais peine à combler le vide occasionné par la solitude que lui procure son métier. Il est difficile de jumeler célébrité et vie privée, extraordinaire et Ordinaire, comme le met en exergue la chanson de Robert Charlebois au début et à la fin du film.

Ne riez pas sans moi

Une des grandes forces d’Aline est de ne jamais tomber dans la moquerie puérile et stérile à l’égard de Céline. Pourtant, il aurait été facile de faire rire en forçant le trait rien qu’en évoquant certains égarements de l’artiste comme en témoigne l’épisode concernant l’ouragan Katrina (« take a kayak » est devenu viral en 2005). La presse québécoise elle-même n’a pas toujours été tendre envers sa fierté nationale. Céline Dion est une personne prolixe, loin d’être avare en détails lorsqu’il s’agit de sa vie privée. Elle le fait très souvent de façon clownesque sur n’importe quel plateau de télévision, en français comme en anglais. La réalisatrice insuffle alors beaucoup d’humour dans son film, de façon à faire ressortir la complicité et l’authenticité de l’amour entre Céline et son pygmalion. Tout y passe : de la nouvelle coupe de cheveux, à la demande en mariage jusqu’aux subterfuges pour préserver sa voix. C’est extrêmement drôle, tendre et touchant à la fois de les voir évoluer ensemble sous le regard affable de la réalisatrice. Ils sont là, résistants aux critiques faites à l’encontre de leur plan d’affaires. C’est aussi parfois une belle satire de l’univers démesuré dans lequel ils évoluent. I’m so tired of America chante Rufus Wainwright lorsque Aline marche dans les rues de Vegas après avoir délibérément manqué un show pour ne pas manquer sa vie.

Valérie Lemercier aime écrire ses films et y interpréter le rôle-titre. Un choix fortement critiqué dernièrement. Qu’on se le dise, même si son accent avait été parfait, on lui aurait quand même reproché d’être française pour interpréter la plus célèbre des Québécoises. De la même manière qu’à l’heure actuelle, il est mal vu d’interpréter un transgenre si l’on est cisgenre (lire ce qu’on en pense ici) ou de simplement parler d’une communauté dont on n’est pas l’héritier. Le ridicule d’une société aseptisée qui tend de plus en plus à compartimenter les gens, culture par culture, genre par genre. Pourtant, depuis toujours, l’homme est fasciné par l’Autre, par l’ailleurs, usant d’imagination lorsque la réalité l’empêche de s’en approcher. On en fait même des fictions. Lars Von Trier avait, il est vrai, une vision très personnelle de la naissance de l’Amérique dans Dogville en 2003. Et que dire du Neruda de Pablo Larrain (notre article ici) ? Il y mettait en image la vie fantasmée du célèbre poète chilien en la déconstruisant de façon critique et hyperbolique pour mieux la rendre universelle, à l’instar de Spencer, son plus récent film retraçant 3 jours de l’existence de Lady Di. Au lieu de diviser l’opinion publique sur cette légitimité qu’on nous cuisine à toutes les sauces, pourquoi ne nous réjouissons-nous pas d’avoir des alliés ? Des gens issus d’un milieu différent, malgré tout enclins à défendre les mêmes valeurs que nous avec une sincère bienveillance. Une bienveillance indéniable pour qui s’abandonne à la proposition fantasque de l’auteure dont le casting est d’ailleurs majoritairement québécois. Céline Dion n’appartient pas plus au Québec qu’Édith Piaf appartient à la France. La réalisatrice ne s’approprie pas son histoire, mais la revisite, parce qu’elle en a l’envie et parce qu’elle en a le droit. N’en déplaise à certains.

Aline

Alors que depuis les années 2000 les « chanteuses à voix » se font régulièrement railler pour leurs gestuelles et attitudes de diva, il aurait pu être facile pour l’humoriste de suivre la tendance en cassant du sucre sur le dos de Céline Dion. Bien loin de faire montre d’outrecuidance, elle assume sa bluette sentimentale et propose une œuvre assurément quétaine, ciblant un milieu populaire qu’elle respecte profondément. Sans l’ombre d’une moquerie, l’histoire d’Aline Dieu se raconte et se vit au premier degré tout en se conformant aux codes du mélo et à ses lieux communs (la star qui n’oublie pas d’où elle vient, un amour impossible…). Lorsque Valérie Lemercier se métamorphose en Céline, elle saisit, une fois n’est pas coutume, l’occasion de se réinventer en s’octroyant le pouvoir de ressembler à une de ses héroïnes préférées. Entre admiration et fanatisme, plus de 180 costumes ont été créés sur mesure par Catherine Leterrier afin de respecter l’image publique et la garde-robe des spectacles de l’artiste. De plus, ses chansons ont été soigneusement arrangées et doublées par Victoria Sio qui a su saisir plusieurs de ses mélismes vocaux. D’un point de vue scénique, la présence de l’actrice n’est pas en reste, reprenant à s’y méprendre les maniérismes physiques de la star, de ses mouvements de jambes, à la main qui frappe son cœur aux Oscars. Dans un ballet visuel fascinant, elle met tout le monde à ses pieds en chaussant avec aisance ce personnage qui chante et danse comme l’original, telle une mimèsis créant l’illusion d’une ressemblance qu’elle refuse cependant de reproduire à la perfection (mouvements de lèvres mal synchronisées, chorégraphies parfois négligées). La réalisatrice tient à maintenir une distance entre les deux pour que le spectateur n’oublie jamais qu’Aline n’est pas Céline. D’ailleurs, comme elle le dit si bien: « On ne change pas, on met juste les costumes d’autres sur soi ».

 

Bande-annonce :

 

Durée : 2h03
Crédit photos : Rectangle Productions

Ce film a été vu dans le cadre du Festival Cinémania.

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