Production franco-belge, 2017
Note: ★★★ 1/2
Dans Lola pater, Fanny Ardant s’affranchit de son statut d’icône pour offrir une prestation sans fards ni artefacts, celle d’un transsexuel dont le fils vient perturber un équilibre douloureusement gagné au fil des années.
À la mort de sa mère, Zino (Tewfik Jallab) se voit dans l’obligation de contacter son père pour des questions de succession. Très rapidement, il découvre qu’à l’origine de la séparation de ses parents se cache un lourd secret familial : le changement de sexe de son pater qu’il n’a pas vu depuis son enfance. Devenu Lola (Fanny Ardant), il enseigne désormais la danse orientale et vit auprès de Catherine sa nouvelle compagne.
À l’annonce de cette nouvelle, la vie de Zino se retrouve chamboulée du jour au lendemain. C’est un être mutique à l’apparence stricte (ses cheveux longs sont toujours attachés) vivant discrètement dans son appartement visité à l’occasion par une copine qui peine à trouver sa place. Si l’on sent le poids de l’absence du père sur le comportement du fils, jamais les fêlures ne sont questionnées et les interrogations que se posent le spectateur sont souvent laissées en suspend. Il n’y a certes pas de surprises dans la construction narrative et dramatique du film inhérentes au parcours initiatique de Zino (déni, rejet et acceptation) mais qu’importe, c’est là qu’on reconnaît un grand cinéaste, capable d’émouvoir avec un simple regard sans manifestation intempestive d’effets de styles de caméra. Moknèche séduit alors par sa simplicité qui fait fi du guet-apens émotif convenu et calculé.
Avec 52 Tuesdays (également sur la transsexualité), la réalisatrice Sophie Hyde explorait l’indicible dans la relation mère/fille, là où Moknèche adopte un dispositif concret lui permettant ainsi, comme son personnage principal, d’affronter les problèmes à bras-le-corps. Lola ne se laisse pas marcher sur les pieds ce qui l’amène à tenir tête à son fils de prime abord dépassé par les évènements et tenaillé par son orgueil de mâle méditerranéen. Celui qui passe ses journées à accorder des pianos en solitaire devra dorénavant accorder ses violons avec son père. À mesure qu’ils apprennent à se connaître, ils finiront par découvrir, l’un chez l’autre, des traits de caractère commun que le rouge du casque de Zino et celui du manteau de Lola vient rapprocher. Deux têtes brûlées que tout sépare mais qui finiront par se retrouver au bord d’une mer brute et sauvage, à leur image, pendant que la caméra en retrait les observe s’apprivoiser.
Dans un rôle taillé sur mesure, difficile de ne pas évoquer la bouleversante et surprenante prestation de Fanny Ardant qui ne tombe pas dans le piège en incarnant un transsexuel au moyen d’un travail corporel pouvant s’avérer factice. Sans tomber dans le pastiche et le folklore immanents à ce type de personnage, elle préfère le vrai, le juste, et met à profit son intériorité pour composer, puis rendre crédible, le passé délicat de Lola. Toutefois, certains spectateurs éprouveront de la difficulté à l’imaginer en homme, elle qui incarne depuis longtemps une image de femme fatale. Pourtant, son allure masculine et distinguée ainsi que sa voix grave si charismatique lui confèrent un air testostéroné convaincant qui sied parfaitement au personnage, notamment dans une scène où Lola interpelle son fils. Et Fanny Ardant disant « Je suis ton père », ça a de la gueule.
Le fait qu’une personne transgenre n’ait pas été engagée pour jouer Lola engendre bien souvent des conversations stériles qui se trompent fréquemment de cibles. À l’heure actuelle, tout est sujet à scandale et l’ont prête facilement de fausses intentions aux gens à des fins purement mercantiles. Il y a peu de temps, on remettait en doute la légitimité de Kathryn Bigelow en tant que caucasienne à réaliser un film sur les émeutes de Détroit en juillet 1967 qui opposèrent les policiers à la communauté noire en lutte pour les droits civiques. Si Spike Lee s‘avère être un excellent porte-parole de la condition des Noirs, en quoi la couleur de sa peau devrait-elle en faire l’unique porte-étendard ? On devrait se réjouir de l’intérêt de quiconque, et qu’elle que soit son origine ethnique, à dénoncer l’ignominie des souffrances infligées au peuple noir. Il y a autant d’analystes que d’analyses recevables, si tant est qu’elles reposent sur un argumentaire étayé.
Qu’elle soit d’ordre sexuel ou racial, la faible représentation de certaines minorités au cinéma est bel et bien un problème récurrent. Cependant, faire jouer un rôle de transsexuel à un personnage transgenre uniquement parce que sa condition atteste de sa connaissance du sujet, c’est cantonner son jeu au seul physique et laisser croire que sa sexualité le prédétermine, offrant ainsi une image tronquée de lui-même, non exhaustive et surtout biaisée.
Pour preuve du contraire, l’hétérosexualité de Jake Gyllenhaal et Heath Ledger ne les empêchent pas de rendre palpable la tension sexuelle et la passion émanant de leurs personnages dans Brokeback mountain. Rappelons qu’un acteur est choisi pour son aisance et sa capacité à se glisser dans la peau de n’importe quel personnage, qu’il soit cisgenre ou non. Réduire un interprète à sa condition sociale, religieuse ou à son identité sexuelle, c’est l’enfermer dans un communautarisme qui risque maladroitement de le ghettoïser et de freiner sa créativité, et par la même sa liberté de jeu et de ton. De plus, quand une actrice de la trempe de Fanny Ardant s’intéresse à un projet, il serait dommage pour le réalisateur de se priver du capital sympathie qu’elle détient auprès du public pour diffuser son message.
N’est-il pas normal de vouloir que son travail puisse toucher le plus grand nombre?
Les autres comédiens ne sont pas en reste, à commencer par Tewfik Jallab qui redonne vie à ce fils décontenancé par la métamorphose de son père. Et quel plaisir de retrouver Nadia Kaci (la tante Rachida) qui, à la manière d’un phare, illumine les œuvres de Moknèche par sa fidèle présence. Le metteur en scène a toujours aimé croquer sur le vif des seconds rôles savoureux, dont on devine qu’il les affectionne tout particulièrement, à commencer par ce réceptionniste sri-lankais de connivence avec Lola dans la drôlerie, comme lorsqu’elle lui met sous le nez un dépliant de ses cours de danse et dit en parlant de Beyoncé « Les jaloux disent que je ne lui ressemble pas ».
Avec Lola pater, Nadir Moknèche quitte son Algérie tant aimée pour filmer et retrouver Paris où il vit depuis de nombreuses années. S’éloignant progressivement des références colorées du cinéma d’Almodovar, le réalisateur semble se poser et fouiller dans ses souvenirs personnels pour offrir un film très singulier dans le traitement de la transsexualité. Maintes fois explorée sur grand écran ces derniers temps, de Boys don’t cry à Transamerica en passant par 52 Tuesdays ou encore The Danish girl, Nadir Moknèche trouve le ton juste sans pour autant approfondir ou établir un quelconque travail sur l’identité de genre. Ici on ne s’intéresse pas au passé de Lola et à ses motivations de transformation, mais plutôt à son bagage émotif qui rend difficile la reconnexion avec son fils. C’est en somme un film tourné vers l’avenir, certes maladroit et quelques fois poussif dans ses effets, mais néanmoins empreint d’espoir grâce à une sincérité troublante qui vient souvent toucher une corde sensible chez le spectateur.
Durée: 1h35