Neruda: Oss neruda, Chili nid d’espions

Chili, 2016

Note:★★★ 1/2

Neruda est un film brillant et sophistiqué qui traduit très bien l’essence des écrits du poète en transgressant son œuvre pour mieux la rendre accessible et dynamique.

Pablo Larrain, réalisateur de No et de El club, aura beaucoup fait parler de lui en 2016 en présentant pas moins de deux biopics aux styles très différents. Si Jackie offrait une composition plus classique, force est de constater qu’il s’inscrit comme son nouveau film, Neruda, dans une optique subjective de déconstruction des faits et des images pour raconter une histoire qu’il finit par rendre universelle en se l’appropriant. Épaulé par Guillermo Calderon, son scénariste, il a alors imaginé un film où les écrits et les poèmes de l’auteur imprègneraient chaque scène sans pour autant verser dans l’hommage larmoyant et attendu.

Présenté à la Quinzaine des réalisateurs au dernier Festival de Cannes, Neruda axe son récit sur la fuite de l’intouchable et illustre poète, figure emblématique du Chili, forcé de quitter son pays pour l’Argentine. On est en 1948. En pleine Guerre Froide, le gouvernement de droite conduit par Gabriel Gonzàlez Videla commande l’arrestation de tous les communistes chiliens. Dès la scène d’ouverture irrévérencieuse et habilement filmée, le sénateur Pablo Neruda critique ostensiblement la politique du leader en place (reprenant les célèbres mots de Zola « J’accuse »), ce qui aura pour effet sa propre destitution et une traque sans relâche orchestrée par le commissaire fasciste Oscar Peluchonneau, sommé de le capturer.

Neruda : Photo Gael García Bernal
Copyright Piffl Medien

Si ce dernier a bel et bien existé (il a été chef de la police pendant plusieurs semaines), Larrain en fait un personnage de fiction profondément niais, obscurantiste et conservateur qui ne vit que pour retrouver et emprisonner le plus célèbre des communistes. Très vite, l’utilisation d’une voix off à laquelle il est impossible de s’identifier ajoute au mimétisme qui s’installe entre l’écrivain et l’agent de police dans une mise en abîme jubilatoire. À travers son double, misérable flic collabo, il questionne la légitimité de ses propres actes et leurs impacts sur un peuple en quête de réponses. En effet, Neruda est un bourgeois vivant dans l’opulence qui caractérise son rang mais défend néanmoins avec ferveur les intérêts d’une classe ouvrière encline au changement. Il est alors rattrapé par sa conscience entre le paradoxe de son confort de vie et ses profondes convictions. Si le duo fonctionne bien, c’est parce qu’il puise sa richesse dans l’adversité empruntée à des figures emblématiques de la littérature comme du cartoon. Entre un Javert tenace et un bip bip provocateur, l’affrontement final entre Jean Valjean et le coyote a tout l’air d’une scène de western où chacun rêve de devenir une légende.

Neruda : Photo Gael García Bernal
Copyright Fabula – AZ Films

Sous les traits forcés d’un charmeur de ses dames, c’est Luis Gnecco qui se glisse dans la peau de Pablo Neruda, affichant un sourire de circonstance. Il est outrageusement provoquant et c’est jouissif à voir. Avec une fraîcheur et un humour plutôt bienvenus, Gaël Garcia Bernal, lui, incarne ce flic sans vergogne au passé douteux, prêt à tout pour arriver à ses fins. La création de son rôle permet au cinéaste de se moquer de l’autorité sous toutes ses formes qu’il se plaît à tourner en ridicule, par le biais de jump cuts bien articulés, faisant des hommes de pouvoir de vulgaires marionnettes déambulant dans un spectacle de pantomime. Magnifié à coups de contre plongées insistantes, Neruda tire alors les ficelles de ce théâtre géant où ses adversaires dépendent de son bon vouloir. Ponctué de flashs de lumières, le montage vient en outre souligner le caractère factice du décor où évolue son personnage, tantôt maquillé, tantôt costumé.

De plus, la photographie emprunte aux films noirs des années 1940, voire aux films d’espionnage, sans jamais chercher la reconstitution fidèle. Au contraire, la lumière surexposée des extérieurs contraste avec celle plus feutrée d’une salle de spectacle en technicolor. Tous ces effets créent une légèreté fort sympathique et appréciable, compte tenu de l’absurdité de la mascarade mise en place pour arrêter le communiste.

Neruda : Photo Gael García Bernal
Copyright Fabula – AZ Films 

Cette chasse à l’homme n’est finalement pour Neruda qu’un jeu au moyen duquel il souhaite marquer la mémoire collective, autrement que par ses écrits déjà très populaires. Il cherche à y graver un esprit libertaire et frondeur face à l’oppression soulignée par la brève apparition du général Pinochet dans un camp de concentration. Les tentatives d’humiliations contre lui seront vaines, tout comme les efforts fournis pour le discréditer aux yeux du public en évoquant sa bigamie. Rien n’entachera la réputation du poète adulé de tous surnommé « la voix du peuple ». Face à son imposante stature et à l’influence intellectuelle qu’il exerce sur ce dernier, il parviendra à échapper à ses oppresseurs lors d’une descente dans un cabaret des plaisirs où toute la communauté présente l’intègrera à son groupe en le grimant de la tête aux pieds comme une prostituée. De fait, il se fondra littéralement dans le décor, figurant ainsi son impact dans l’imaginaire collectif. Il est partout et nulle part à la fois, mêmes ses idées sont impossibles à enfermer. Il veut bousculer, provoquer l’opinion publique pour la faire réfléchir et s’opposer à la menace grandissante d’une dictature à venir.

Neruda : Photo Luis Gnecco
Copyright Fabula – AZ Films

Tour à tour dans le burlesque, le drame épique, le film noir ou encore la satire sociale et politique, Pablo Larrain utilise la caricature pour faire un pied de nez à la politique de Videla. Fervent partisan d’Allende plus tard au pouvoir, il est dans une optique de dénonciation ce qui ne l’empêche pas d’égratigner l’arrogance et le narcissisme de Neruda tout en restant flatteur dans le portrait qu’il fait de lui. De fait, le renoncement au traitement linéaire désuet et surfait permet au métrage de se détacher de la vie du poète pour en faire une œuvre singulière, notamment dans l’utilisation de personnages de fiction, apportant ainsi le recul nécessaire pour mieux appréhender le caractère mythique et complexe que dégage Pablo Neruda, et ce, jusque dans sa mort. In fine, Neruda est un film habité et coloré qui saura être une mise en bouche savoureuse et piquante à la fois pour les néophytes du poète chilien.

Durée: 1h48

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