France, 2016
Note: ★★★ 1/2
Avec Personal shopper, Olivier Assayas réalise son 16ème film, décrochant au passage un premier prix cannois pour une mise en scène à la fois éthérée et maîtrisée.
Le film suit les allées et venues parisiennes de la jeune Américaine Maureen (mystérieuse Kristen Stewart), recrutée par une célébrité pour lui confectionner une garde-robe de vêtements griffés. Cette job temporaire de « personal shopper » est l’occasion de payer son séjour en France, dans l’attente de recevoir de l’au-delà un signe de Lewis, son frère jumeau disparu plus tôt d’une insuffisance cardiaque. Soudainement, des messages anonymes font leur apparition sur son cellulaire.
Il faut de la résilience pour apprécier le dernier film d’Olivier Assayas qui ne cesse de nous malmener dans cet agencement surprenant d’éléments paranormaux aux prises avec un quotidien somme toute banal, voire ennuyeux. Une fois l’acceptation passée, force est de constater l’aisance et le doigté dont fait preuve le réalisateur pour déjouer les codes du film de genre. En effet, si de nombreux plans en plongée semblent orienter le métrage vers le fantastique classique, très vite, l’absence de musique terrifiante vient chambouler tous nos repères. Pas d’actions appuyées ou de portes qui claquent. Ici, la peur est ailleurs, quelque part entre les bruits de la vie domestique (plancher qui craque) et son étrange silence, synonyme de la solitude du personnage et du matérialisme édifiant de sa génération.
Les jeux d’ombres et de lumière viennent alors mettre en exergue l’indicible et l’isolement de Maureen qui n’a pour seul lien affectif qu’un faible ratio de conversations virtuelles engagées avec son copain à l’étranger. Souvent présentée seule (cadrage resserré sur son visage) ou perdue dans une foule où il est difficile de se faire une place (escalier roulant, train), il ne lui reste que son cellulaire officiant au titre illusoire d’accélérateur social. Pourtant, l’effet inverse se produit lorsqu’il la coupe du monde avoisinant et se transforme en élément catalyseur de tensions dont le timing, toujours serré, interagit sur ses affects et ses réactions: elle devient impatiente et nerveuse. De fait, cet objet aliénant du quotidien pousse ainsi le metteur en scène à porter une attention particulière aux gestes que la jeune femme exécute dans son travail (toucher des bijoux, des ceintures…) pour lui permettre de se reconnecter avec le réel. Car si la présence de Lewis a beau se faire sentir, le surnaturel se confronte au monde des réseaux sociaux dont l’utilisation excessive envahit la sphère sociale et émotionnelle de sa sœur.
La menace ne vient donc pas de l’extérieur, elle est en nous.
L’intelligence de la mise en scène s’illustre alors par le biais de prises de vue en travellings fluides qui suivent le personnage principal pour ensuite le devancer dans un montage alterné. Ces effets permettent de créer ce qu’on croit être une présence fantomatique persécutant la styliste et ne lui laissant aucune issue possible (elle sort notamment d’un ascenseur et son ombre la précède par une réflexion dans le miroir). En fait, ils accentuent surtout la perte de repère et ses hallucinations, faisant ainsi écho aux messages anonymes qui l’importunent tout en aiguisant sa curiosité. Schizophrénie ? Dédoublement de personnalité ? Le cinéaste se plaît à brouiller les pistes en utilisant la gémellité qui lie les deux frère et la sœur, de la maladie jusqu’au look androgyne travaillé de Maureen.
Une mise en abyme bien sentie lui défère alors un mimétisme saisissant avec Marlène Dietrich dont le Das Hobellied à la bande son vient souligner le magnétisme troublant entre le réalisateur et sa muse. Tout comme « l’Ange bleu », Kstew donne corps à un personnage jouant sur l’ambiguïté sexuelle (attitude et habits masculins) et incarne également dans un moment clef une femme fatale troublée par son désir de transgression en essayant les vêtements de sa patronne. De plus, la première a marqué son époque en sollicitant les services de grands couturiers français, à l’instar de Chanel, dont la seconde est actuellement une des égéries.
Prolongement du diptyque entamé avec Sils maria, c’est ici l’assistante que l’on retrouve au centre du film et non plus la star (Kyra, sa boss surbookée), permettant ainsi à Kristen Stewart de briller dans cet univers sombre et ouvertement dérangeant. Son statut d’actrice surexposée et indomptable enrichit son personnage de pièces supplémentaires pour résoudre l’énigme du puzzle.
Loin des films pour midinettes et pré pubères (comprendre la saga Twilight), Kristen Stewart se libère d’une image médiatique entachée par ses frasques amoureuses et se réinvente sous la caméra bienveillante et protectrice d’Assayas qui la challenge avec brio. Il réussit là où Neon demon de Nicolas Winding Refn échoua en oubliant d’habiller l’arrière plan de ses images esthétisées à outrance sur le milieu de la mode. Avec Personal shopper, il ne réduit pas son film au genre fantastique et suggère plus qu’il n’impose à l’œil son univers étrange, certes déconcertant, mais non moins intéressant qui glace le sang tout au long de cet automne presque sans fin.
Durée: 1h45