I, Daniel Blake: J’accuse!

Production franco-britannique, 2016

Note: ★★★ 1/2

I, Daniel Blake est un film résolument politique, mâtiné d’un humanisme cher au cinéaste de 80 ans qui n’a rien perdu de son mordant, se méritant au passage une deuxième palme d’or cannoise après Le vent se lève.

Suite à un accident cardiaque, Daniel Blake (veuf de 59 ans) est contraint d’abandonner son poste de menuisier sur ordre de ses médecins qui lui interdisent formellement de travailler. Pour la première fois, il va devoir se tourner vers l’aide sociale. De bureaux en services administratifs déshumanisés, il fait la connaissance de Katie Morgan, une jeune mère célibataire de deux enfants, elle aussi perdue dans les méandres d’une bureaucratie décourageante. De cette rencontre va naître une amitié placée sous le signe de l’entraide, du partage et de l’écoute.

Depuis 2010, un plan d’austérité a été mis en place au Royaume -Uni par le gouvernement de David Cameron et de son ministre des Finances, George Osborne. Dans l’optique d’un redressement économique, la privatisation d’un grand nombre de services publics a engendré d’importantes coupes budgétaires notamment dans les prestations sociales et les retraites. Dès lors, un quidam présentant des signes d’handicap ou des problèmes de santé sera considéré comme apte au travail. Il lui faudra prouver qu’il passe des entrevues et cherche activement un emploi sous peine d’être sanctionné, voire radié, du Jobcentre (pôle emploi britannique). Épaulé pour l’écriture du scénario par son acolyte de longue date Paul Laverty, Ken Loach évoque avec justesse et fébrilité ce cheminement douloureux par lequel doivent passer bon nombre de citoyens. Selon lui, le message envoyé par l’État est clair : « si vous ne trouvez pas de travail, vous allez souffrir ».

Moi, Daniel Blake : Photo Dave Johns, Hayley Squires

Sa caméra lente et discrète permet ainsi au spectateur de s’immerger pleinement dans le quotidien anxiogène de son personnage principal en proie à l’humiliation et aux doutes générés par toutes ces rencontres interminables et grotesques. Dès la scène d’ouverture, le réalisateur dénonce les incohérences et l’absurdité de l’administration anglaise qui fait tout pour dissuader les moins bien lotis d’avoir recours à l’aide sociale. En réitérant des questions sans fondements lors des entretiens, ils les font passer pour des sans-desseins, espérant ainsi les décourager et les forcer à abandonner leurs démarches. Privé de son allocation, le vieil homme va pourtant multiplier les tentatives pour faire appel au jugement rendu par une compagnie chargée de dénicher les tire-au-flanc profiteurs du système. Cependant, il se heurte à des machines préprogrammées, incapables de fournir la moindre réflexion personnelle, voire étincelle de compassion dans une structure défaillante où il est proscrit de sortir du cadre régi par des règles déshumanisées.

Si Daniel est un personnage bourru qui n’a pas la langue dans sa poche, il n’en demeure pas moins attachant, la main sur le cœur. Toujours prêt à aider son prochain, c’est tout bonnement qu’il se lie d’amitié avec Katie et ses enfants au cours de nombreuses menues réparations qu’il s’en vient faire chez elle. Cette petite communauté (grossie par les voisins du quinquagénaire) comprend très vite que c’est ensemble, grâce à l’entraide, qu’ils pourront palier l’absence d’actions concrètes du gouvernement pour venir en aide aux plus démunis. De petits services manuels jusqu’à la vente de contrefaçons de chaussures de marques, c’est tout un système D qui se met progressivement en place pour survivre : on installe du papier bulle sur les fenêtres en guise d’isolant et on réchauffe les pièces de la maison avec des pots de fleurs en céramiques. Puis, subrepticement, le ton change et se fait plus dur entre banque alimentaire et vol à l’étalage. Tandis que Katie s’évertue à mettre à manger sur la table de ses enfants, Daniel s’efforce de nourrir leur curiosité du monde et de les déconnecter d’une réalité bien trop sombre.

Filmé face à des stores baissés ou encore en plongée dans le hall d’une bibliothèque, les longues focales viennent comprimer son espace de vie et souligner son impossible adaptation au monde de l’internet et de la consommation, lui qui préfère le calme et la noblesse du travail du bois. Les poissons qu’ils confectionnent sont alors le signe d’un retour à la source, d’une renaissance dans l’idée de sauver les siens. Et c’est cet optimisme sans faille, cette hargne insidieuse qui émeut dans une bataille que l’on devine perdue d’avance.

Cinéaste activiste et militant, Ken Loach est l’un des rares à défendre mordicus la cause de la classe ouvrière britannique. Pour ce faire, il tourne ses films chronologiquement et se distingue entre autre par son approche quasi documentaire dans sa mise en scène comme dans le choix de ses interprètes souvent non professionnels. Un réalisme troublant émane alors de son œuvre permettant ainsi au public de créer instantanément une accointance avec ses personnages. D’ailleurs, ces derniers sont souvent incarnés par des acteurs présentant beaucoup d’analogies avec leur parcours de vie. Cette méticulosité à recréer la réalité n’a alors pour but que de resserrer leurs liens et d’accroître le bien fondé de son propos. Marque de fabrique pour certains, idée de génie pour d’autres, on pourrait taxer le metteur en scène de tirer parti du malheur des gens, mais il n’en est rien. Le misérabilisme ne l’intéresse pas, seule l’authenticité compte. Et même si quelques itérations du quotidien et fondus au noir peuvent apparaître convenus, voire désuets, ils n’en gardent pas moins leur efficacité.

Là où le film Discount lorgnait vers la comédie, Ken Loach lui se tourne vers le drame avec comme seule respiration, un humour noir bien senti apportant ça et là quelques notes plus légères non sans drôlerie. On pense à la scène où Daniel découvre pour la première fois une souris d’ordinateur ou lorsqu’il tague un pamphlet sur le mur du Jobcentre. Toutefois, même s’il fait mouche, il peut parfois mettre le spectateur mal à l’aise face aux situations précaires des prolétaires qui n’en finissent plus d’aller de déconvenues en déconvenues pour aboutir à une fin inéluctable. Si cette dernière s’avère prévisible, le jeu des acteurs et la sobriété de la mise en scène sauvent le film d’un naufrage auquel un autre réalisateur n’aurait peut-être pas échappé. N’est pas Ken Loach qui veut. Sans atteindre l’impact psychologique de Family life ou la force des invectives dans Sweet sixteen, I, Daniel Blake n’en demeure pas moins une œuvre cohérente dans la longue filmographie engagée du Britannique.

 

 

Durée: 1h40

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