Le bruit des moteurs : En quête d’autre chose

Québec, 2021
Note : ★★★

 

Le premier long métrage du cinéaste Philippe Grégoire, ce dernier ayant déjà fait ses preuves en festivals avec une série de courts-métrages durant les dernières années, nous présente une proposition unique, surprenante et exploratoire. Tâtant l’autofiction, le drame et la comédie absurde, le film s’articule sous ses propres règles, un monde jamais tout à fait réel et jamais tout à fait faux. Le récit nous raconte le congé forcé d’Alexandre (Robert Naylor) travaillant comme formateur à l’armement de la douane canadienne. Ces vacances l’amènent ainsi à un retour vers son village natal de Napierville pour travailler au circuit de drag de sa mère. Nous suivons donc Alexandre aux prises avec une histoire policière incongrue, de pair avec la rencontre d’une mystérieuse pilote islandaise (Tanja Björk), le tout sous un ton de comédie absurde, frôlant par moment même du drame.


Il n’est pas simple de mettre en scène ce type de récit atypique, volontairement éclaté et consciemment dans la marge des productions québécoises habituelles. Néanmoins, le film réussit tout de même à imposer une vision intègre et assumée dans sa facture esthétique et narrative. Le cinéaste, sans jamais nous prendre par la main, nous fait plonger de scène en scène dans l’inconnu, l’inattendu, jouant constamment avec notre appréhension en nous proposant toujours l’inverse de nos attentes. Un jeu dangereux s’il n’est pas contenu d’une solide homogénéité scénaristique ou bien délimité par des règles diégétiques juste assez malléables pour permettre la flexibilité nécessaire à une telle réalisation. Ce pari risqué qu’a pris Grégoire s’articule à la fois pour et contre lui. Si d’une part nous pouvons recevoir le film comme une invitation à un cinéma nouveau, mettant au défi la façon dont peut s’articuler le cinéma de genre, il peut tout aussi bien nous perdre par la confusion du scénario, nous laissant malheureusement plus d’incompréhension que de liberté interprétative. Il faut souligner que le problème ici ne se situe pas dans le degré d’immersion que le film propose, mais bien dans la difficulté d’en saisir toute son essence, ses règles, sa folie.

De pair, l’aspect d’autofiction ouvertement démantelé, alternant consciemment entre le réel (la situation géopolitique des enjeux régionaux, voire par moment de l’histoire du Québec) et le fantastique décalé, rappelant les Stéphane Lafleur et André Forcier d’ici, viennent justifier l’exécution qui par moment se balance entre le contrôle total de la mise en scène et l’impulsion narrative de surprendre le spectateur. Il me semble important d’insister sur l’influence de Forcier ici, qui est littéralement cité à plusieurs reprises dans le film de Grégoire. Tout comme « l’enfant terrible du cinéma québécois », qui s’est efforcé toute sa vie de créer des univers où les personnages ne semblent jamais faire partie de notre monde, sans être si loin non plus. Le cinéma de Forcier qui a comme base du dialogue à la limite du commun et du théâtre, des ruptures de ton volontairement abruptes, des environnements fantaisistes qui créent l’écosystème des personnages dans toute leur folie. Un schéma semblable se dessine ici, avec son propre langage évidemment. Langage qui n’est pas simple à définir dans un premier long métrage. L’exploration et la détermination de faire les choses autrement se sentent et donnent un vent de fraîcheur au film, mais demeurent confuses et chancelantes à plusieurs moments.

En ce qui concerne la part visuelle du film, il faut reconnaître la superbe direction photo de Shawn Pavlin ; il sait certainement comment honorer un lieu, en lui insufflant son potentiel d’absurdité et sa beauté intangible, mariage qui donne un réel cachet au film. Subordonné d’une direction artistique permettant d’accroître l’ironie du récit, en allant ouvertement vers des choix qui servent de levier à une diégèse qui peut se permettre à tout moment d’être de plus en plus loufoque, sans perdre sans crédibilité pour autant. En ce sens, l’aspect visuel du film sert d’ancrage au narratif, et non l’inverse, en nous offrant un réel spectacle, sautant d’une proposition visuelle à une autre, parfois avec peu de choses en commun, tout en étant uni par les divagations du dialogue et du récit.

Ainsi, ce premier film extravagant et personnel tient sa promesse d’unicité, s’articulant parfaitement dans la vague de films inclassables québécois des dernières années. Ces pépites d’imageries et de volonté cinématographique donnent espoir en un cinéma qui peut encore se permettre de questionner son essence, sa signature (si de telles choses ont besoin d’être). Bien que les défauts d’un premier film soient évidemment au rendez-vous, il est facile d’aller au-delà des accrocs et d’y voir vrai le potentiel qui en découle ; Philippe Grégoire est un nom à surveiller.

Bande-annonce :

Durée : 1h19
Crédit photos : h264

Vous en voulez plus? Retrouvez ici notre critique du film Maria Chapdelaine mettant en vedette Robert Naylor.

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