Hellraiser : L’horreur de la condition humaine

Royaume-Uni, 1987
Note : ★★★½

En 1987, sur un maigre budget, Clive Barker adapte une de ses histoires d’horreur pour le grand écran, ne se doutant surement pas que cela allait rapporter presque quinze millions de dollars et partir une franchise de dix films. Mélangeant habilement l’horreur, le drame familial, et les scènes érotiques, le premier Hellraiser est plus qu’un simple film : c’est une œuvre singulière qui ose aller là où peu de films d’horreur avaient été auparavant, et peu ont osé y aller depuis. À l’occasion de la sortie du nouveau Hellraiser (2022, David Bruckner) et en attendant que celui-ci soit disponible au Canada, on revisite cette oeuvre culte dont les thématiques d’origine se sont malheureusement un peu perdues dans le vortex d’effets spéciaux et de scènes sanglantes qui ont pris de plus en plus d’ampleur dans les volumes qui ont suivi.

Lorsque Frank Cotton (Sean Chapman) résout un casse-tête qui est supposé le mener dans une dimension où le plaisir est plus fort que sur Terre, il se retrouve à la place coincé en enfer et constamment torturé par des démons. Son frère Larry (Andrew Robinson) et la femme de celui-ci, Julia (Clare Higgins) emménagent dans la maison d’enfance de Larry et convoquent Frank sans s’en rendre compte; c’est alors que celui-ci apparaît, dans un état faible, et réussit à convaincre Julia de lui ramener des sacrifices humains afin de regagner ses forces. À l’insu de son mari, Julia avait eu, des années auparavant, une relation sexuelle avec Frank; charmée par les promesses de son amant charismatique et lassée de son mariage ennuyeux, elle fera tout ce qu’elle peut pour l’aider à se rétablir.

Du drame familial au slasher cliché

Lorsqu’on dit Hellraiser, la première image qui apparaît dans la tête des gens est souvent le personnage de Pinhead (Doug Bradley) : pâle, enveloppé dans son manteau en cuir, avec plusieurs clous enfoncés dans son crâne. Barker s’est inspiré de la mode punk, du catholicisme ainsi que des clubs BDSM de New York et Amsterdam qu’il fréquentait dans les années 1980 pour donner naissance à Pinhead et aux autres Cénobites, les démons qui gardent les prisonniers dans l’enfer. Comment se fait-il que ces démons soient souvent la seule chose dont on se rappelle, alors que le synopsis du film ne tourne pas vraiment autour d’eux? Ils servent surtout d’accessoires et n’apparaissent qu’à quelques reprises, alors que les personnages de Julia et Frank poussent l’histoire du début à la fin.

Certes, ce sont des personnages révolutionnaires avec un design qui, encore aujourd’hui, est original et osé – on comprend donc pourquoi les films qui ont suivi le premier se sont autant concentrés sur ces créatures. Le problème, c’est qu’on n’a pas grand-chose à explorer avec des personnages aussi unidimensionnels, et le fait de leur donner un passé (chose que le deuxième film de la franchise tente avec le personnage de Pinhead) brise leur aura mystérieuse. Le drame familial avec un triangle amoureux était donc peut-être plus pertinent à explorer car il en disait plus sur la psychologie humaine et les dynamiques de pouvoir sexuelles, cependant on l’oublie assez souvent… et on oublie souvent un personnage qui était tout autant en avance sur son temps que les Cénobites : Julia.

La reine de l’enfer

Encore à ce jour, elle reste un des personnages féminins le plus intéressant, bien écrit et complexes du cinéma. En l’espace d’un seul film, Julia passe d’une femme au foyer peureuse et misérable à une femme émancipée et rusée, qui assume sa sexualité et cherche à la nourrir peu importe les conséquences. Dans le deuxième film de la franchise, elle est enfermée dans la dimension des Cénobites sans pour autant être une victime : elle y règne. Dans une décennie où la pureté des femmes était récompensée à l’écran (et la sexualité punie, souvent par la mort – surtout dans les films d’horreur), Julia se démarque en priorisant son éveil sexuel avant toute autre chose. Elle trahit son mari, ne démontre absolument aucun intérêt à connaître sa belle-fille, et ramène des sacrifices humains à son amant sans aucun remords. Il n’y a aucune chaleur ou instinct maternel dans ses gestes; seulement une froideur calculée et un désir sexuel aveuglant.

Représente-t-elle un idéal? Non, pas du tout, malgré son égoïsme et son fort instinct de survie, elle finit quand même manipulée par Frank, qui l’utilise afin d’échapper aux Cénobites. Cependant, c’est rafraichissant d’enfin avoir un personnage féminin qui ne se soucie pas de ce que les gens pensent d’elle, et qui ne joue pas la bonne victime. Le trauma d’une femme peut l’amener à des places très sombres, et c’est une réaction complètement valide qui vaut la peine d’être représentée à l’écran. Heureusement, il y a de plus en plus de films qui osent le montrer, comme Midsommar avec Dani (Florence Pugh) ou très récemment Pearl avec son personnage titulaire (Mia Goth).

Décortiquer la condition humaine

Le monde de Hellraiser est riche et intéressant justement parce qu’il accorde de l’importance aux vies en apparence simples et même ennuyeuses des personnages. En montrant la soif de Julia d’échapper à sa routine et de vivre quelque chose de plus fort, le réalisateur invite des questionnements sur le mariage traditionnel. En tant qu’homme homosexuel, Barker était exclu de cette institution dans le temps où il avait rédigé la nouvelle et réalisé le film, donc pas étonnant qu’il ait des critiques complexes et intéressantes sur le sujet. À travers Julia, il explore la nature réductive du mariage et de la monogamie, mettant en scène une situation où quelqu’un serait amené à commettre des actes impensables juste pour échapper à sa prison.

Puis il y a Frank, qui représente le côté pervers et violent de la nature humaine, réussissant à survivre seulement grâce à l’égoïsme et à la manipulation. C’est un portrait assez sombre du privilège extrême qu’ont certains hommes et qui les amène à se permettre tout et n’importe quoi, cherchant constamment à avoir plus. Sombre et extrême, mais pertinent, et le film ne lui offre jamais de la sympathie, le positionnant même plus haut sur l’échelle de la dépravation que les Cénobites qui sont littéralement des démons.

Selon la bande-annonce, le nouveau Hellraiser de Bruckner annonce un focus sur les vices humains et l’addiction, ce qui pourrait être intéressant à explorer et s’enligne plus avec les idées du film original où les Cénobites cherchaient des humains affaiblis et dépravés afin de les attirer dans leur enfer pour les torturer. Cependant, peu importe à quel point cette nouvelle addition à la franchise semble attirante, le premier Hellraiser sera toujours le plus révolutionnaire de la série. Si ce n’est pas déjà fait, c’est une œuvre à découvrir.

Bande-annonce :

Durée : 1h34
Crédit photos : Entertainment Film Distributors

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