Espagne, 2017
Note : ★★★★★
Il n’est pas exagéré, selon moi, de dire que la peau est la base des complexes humains. Pas assez ferme, trop tachée, trop épaisse, cicatrisée : les sources de mal-être ne manquent pas, idem pour les sources de jugement. Dans Skins (2017), 1er long métrage du jeune réalisateur Eduardo Casanova, ces maux de vivre dans une société généraliste sont abordés de la plus déstabilisante des façons.
Dans un univers à première vue féérique où tout est teinté de rose et pourpre, diverses personnalités aux physiques atypiques sont méprisées par le monde qui les entoure : Laura (Macarena Gómez) est une jeune femme née sans yeux qui, depuis son plus jeune âge, travaille dans un bordel où elle est soumise aux besoins déviants de ceux qui ne veulent pas révéler leur honte au grand jour. Itziar (Itziar Castro) est une femme en obésité morbide, cliente régulière de Laura, qui vit avec la croyance qu’elle ne mérite pas d’être touchée. Samantha (Ana Polvorosa), une adolescente qui a l’anus à la place de la bouche et vice-versa, demeure chez son père qui refuse qu’elle sorte en public, lui ayant même offert un masque de licorne pour camoufler sa différence. Je précise ici que j’en passe, des protagonistes.
Tant de choses à dire sur ces 78 minutes qui semblent résulter d’une collaboration entre Wes Anderson, Todd Solondz et David Cronenberg. Un improbable 3-pour-1. Parlons des thématiques abordées : Casanova nous plonge dans le côté sombre de l’humain, dans la cruauté des hommes envers autrui. On y côtoie pédophiles, employeurs tyranniques, mères abusives, pervers narcissiques. Toutes ces personnalités ont en horreur la différence, parmi eux ou en eux. La haine de soi est traitée autant que la haine des autres, puisqu’au lieu de tomber dans la facilité du parti pris, le réalisateur explore les deux côtés de la médaille, et ce avec une grande maîtrise. Dans Skins, le mal se retrouve tant chez les conformistes que chez les marginaux. Le meilleur exemple est celui du personnage d’Ana (Candela Peña), femme au visage tombant s’aimant complètement telle qu’elle est, mais méprisée par son copain, un grand brûlé qui ne pense qu’à son bien-être au détriment des autres. Arrogant et insensible, il n’a en tête que son éventuelle reconstruction faciale, l’étape finale, selon sa philosophie, avant d’être complètement irrésistible. C’est la complexité humaine même qui est abordée dans Skins : le besoin d’être aimé versus celui de s’aimer. Le désir d’être compris versus l’incompréhension. Le réflexe d’isolement versus la liberté de vivre.
Si ces propos ma foi très durs, abordés avec une franche cruauté visuelle et verbale, sont tolérés tout au long des pourtant peu nombreuses minutes du film, c’est grâce au total contraste esthétique qui habille le récit choral de Skins. Un unique visionnement n’est aucunement suffisant pour se concentrer à la fois sur l’intrigue et sur sa direction artistique. Tout y est symétrique. Tout y est surréaliste. Tout y est coloré de nuances de rose ou de violet, donnant l’impression que l’on se trouve dans un film pour enfant traitant de la déshumanisation. Ai-je déjà usé du terme « déstabilisant » ? Ah, et puis tant pis. Tout de Skins est absolument d-é-s-t-a-b-i-l-i-s-a-n-t. Eduardo Casanova a la capacité de jouer avec notre cerveau comme si c’était de la Play-Doh, avec comme résultat de nous toucher profondément et de mettre également terriblement mal à l’aise, tout ceci rend le long métrage fascinant, d’où une note de cinq étoiles, encore inconnue au 1er visionnement (« encore un cinq !? » me direz-vous. Et moi de vous répondre : oui. Mais je serai moins gentil la prochaine fois).
Ainsi, Skins est un ovni cinématographique aux situations tant grossières que tristement réalistes dans leur surréalisme, aussi répugnantes que charmantes, venant d’un cinéaste de la relève visiblement perfectionniste et un peu tordu. Comme je les aime. À consommer quand bon vous semble, mais jamais avec votre mère.
Le film est disponible sur Netflix.
Bande annonce :
Durée : 1h18