À l’occasion de la sortie de 3 Histoires d’Indiens, l’équipe de Cinemaniak s’est entretenue avec le réalisateur Robert Morin.
De Ma Vie C’est Pour le Restant de mes Jours à Journal d’un Coopérant, en passant par Requiem pour un beau sans-cœur, Quiconque meurt, meurt à douleur et Tristesse Modèle Réduit, Robert Morin a tracé une route unique et inimitable dans le paysage cinématographique québécois. À l’occasion de la sortie de 3 Histoires d’Indiens, l’équipe de Cinemaniak a rencontré le prolifique réalisateur dans les bureaux de la COOP Vidéo.
Propos recueillis par Eloi Mayano-Vinet et Laurent Gariépy.
Comment vous est venue l’idée pour 3 Histoires d’Indiens et d’où vient votre intérêt pour la culture autochtone?
C’est la question à laquelle je ne peux pas répondre; les Indiens m’ont toujours touché. J’ai une cabane dans le bout de Maniwaki depuis plus de 30 ans, je vais à la chasse au caribou chaque année avec des Cris, j’ai vu des réserves en masse. Cela dit, mes enfants vivent à Hochelaga-Maisonneuve et on y vit les mêmes problèmes. J’aurais pu faire le même film là-bas.
Ce qu’on suppose sur les pauvres c’est d’être amorphe, de ne pas avoir de passion. On reproche ça aux Indiens aussi. L’idée était de faire un film avec des gens de ces milieux pauvres, mais de leur donner des passions. Des gens qui vont au bout de quelque chose pour le meilleur et pour le pire. Je suis parti avec ces éléments au départ. J’avais le gout de faire quelque chose qui me fait du bien à moi, de montrer des gens que j’admire dans leur détresse. Mais malgré leur détresse, tu ne verras jamais autant d’entraide dans aucun autre milieu.
C’est un peu comme votre transposition du roman Les 4 Soldats. Dans le roman, l’histoire se déroule pendant la Première Guerre mondiale et dans le film, vous la transposez dans une guerre fictive où des pauvres (qui s’entraident aussi) se révoltent contre des riches…
Il y a beaucoup de ressemblances entre 4 soldats et 3 histoires d’Indiens; ce sont deux films qui échappent à ma zone de confort en cinéma. Je viens d’un cinéma très rough; dans ces films-là, j’ai voulu faire du cinéma de la dramaturgie contemplative. Ce sont des films moins bavards et moins coup de poing que mes autres films. Ils sont plus dans l’observation et plus positif que le reste de mon cinéma.
Le cinéma que je fais n’est pas conditionné par l’idée que je pense que je peux changer les choses avec ce que je fais non plus. Je ne suis pas un cinéaste engagé. Je ne crois pas à ça. Je fais des films pour mon propre plaisir. Si mon cinéma était un cinéma pour changer les choses, j’aurais arrêté après le premier film parce que de toute évidence, l’art n’a jamais rien changé.
À quel point le film était-il écrit au départ ?
Rien n’était écrit! C’est un film qui a été fait avec les matériaux du cinéma. Contrairement à 4 soldats qui était totalement écrit, je suis parti avec l’idée d’avoir ces 3 Indiens-là et une fois que j’ai eu ce concept-là (de film choral), j’ai trouvé des personnages pour fitter dedans et on est parti tourner. J’essayais des affaires et ça ne marchait pas. J’ai tourné sur 4 ans et j’ai retourné des personnages au complet. À part mes premiers courts-métrages, c’est le premier film que je fais qui n’est pas écrit à ce point-là.
Dans Journal d’un Coopérant, est-ce que les scènes étaient plus écrites?
Journal d’un Coopérant ç’a été tout écrit, mais quand on est arrivé en Afrique, la réalité a pas mal changé l’écriture. C’était aussi un work in progress, mais avec une grosse base d’écriture. La femme avec les bras coupés par exemple, je l’ai rajoutée là-bas parce que je suis tombé dessus. La scène où je pète les plombs aussi, j’ai tourné ça dans ma cave 6 mois après le tournage. Ça a été aussi un travail d’ajustement, mais beaucoup moins intense que pour 3 histoires d’Indiens. Environ 70 % du matériel au final était là quand on est parti en Afrique.
Dans vos films, vous aimez aussi montrer le matériel cinéma; la caméra est très présente. Éric construit aussi sa machine dans 3 Histoires d’Indiens ou la radio dans Journal d’un coopérant…
C’est encore une affaire que je ne peux pas expliquer, mais c’est comme un fétiche pour moi. Je me sens mal quand dans un film, il n’y a pas un moment où les personnages ne s’adressent pas à l’auditoire. Tu peux trouver des raisons intellectuelles, sémantiques ou critiques qui m’échapperaient, moi je le fais parce que c’est une nécessité viscérale. Moi quand je vois des gens qui me parlent, j’aime ça.
L’idée de l’art, en tout cas de l’art que je fais, c’est très judéo-chrétien. J’ai été élevé par des curés et même si je ne suis plus croyant, il reste des valeurs de cette époque-là, entre autres la grande loi de la religion catholique qui est faites aux autres ce que vous voulez qu’on vous fasse et je l’applique en art. Quand je fais des films, j’essaie de faire des films que moi je voudrais voir, comme tout le monde finalement. Ça m’intéresse de déranger; je pense que c’est une des fonctions principales de l’art…
Trouvez-vous que les Amérindiens ont la place qu’ils devraient avoir dans la société?
Non…On les met à part. Les gens y s’en câlissent des Indiens, y s’en crissent des gens à Hochelaga-Maisonneuve… Si les pauvres ça intéressait du monde, il n’y aurait pas d’enfants qui iraient à l’école le ventre vide. Les Indiens c’est pareil; si on voyait comment c’est terrible vivre là, on ferait quelque chose.
Moi j’ai pas d’espoir par rapport à ça; j’ai jamais pensé pouvoir changer les choses avec mon film. Ça va plus intéresser les gens qui s’intéressent à l’art qu’aux Indiens en raison de la partie artistique ou de la construction du film. J’en suis assez fier d’ailleurs; c’est une bibitte qui se tient bien. C’est un vrai film choral; c’est fait pour des gens comme vous autres qui veulent triper.
C’est un peu comme Idle no More qui a duré un temps, mais n’a pas donné grand-chose. Une fois l’événement passé, on en reparle plus…
Non, c’est le contraire! Les gens c’était « heille les hosties d’Indiens sont fatigants avec leurs demandes : ils bloquent les routes, ils paient pas de taxes pi on leur donne des chèques et une maison fournie! ». Les gens ont ces stéréotypes-là.
Les réserves indiennes c’est des bombes à retardement. Ils ont le plus haut taux de suicide au monde par personne les jeunes Indiens. Il y a presque un suicide par mois chez les jeunes au lac Simon. C’est comme si 750 ados se suicidaient chaque mois à Montréal; on s’en occuperait en tabarnak! Si on ne s’en occupe pas, c’est que ça se passe loin…
Qu’est-ce que vous pensez du projet du Wapikoni mobile ?
Je trouve ça fascinant! Le petit Éric, je l’ai trouvé à travers Wapikoni en regardant un film. Beaucoup de gens sont passés par Wapikoni et ça leur a donné une immense confiance en eux. Celui qui écoute de la musique dans le film, je l’ai amené à Berlin avec moi. Quand il a vu sa face pleurer à l’écran devant 800 personnes, il s’est trouvé bon. Ça a changé sa vie à ce gars-là. C’est ça que ça fait Wapikoni, ça leur donne des défis. C’était ça l’objectif de mes personnages : montrer des jeunes qui vont au bout.
Vous avez parlé de Berlin; comment a été reçu le film?
C’était bizarre, mais ç’a été bien reçu. C’est sûr qu’ils ont été attirés par l’exotisme, mais ils ont eu un choc aussi. Dans leur tête, les Indiens, c’est pas comme ça. C’est presque encore des plumes et des canots! Je leur ai expliqué comment ils vivent. C’est sûr que si ça avait été trois histoires d’Hochelaga-Maisonneuve par contre, ça ne se serait pas ramassé là.
Les 4 Soldats était basé sur une adaptation littéraire. Aviez-vous une liberté d’adapter le roman un peu comme vous vouliez ?
Liberté complète.
LG : Est-ce que l’auteur du roman a vu le film? Il en a pensé quoi?
Oui, il a bien aimé ça. Il était même content que je remplace un des gars par une fille. En même temps c’est ça adapter. J’ai gardé l’essentiel du roman; que ces amis-là finissent par fonder une famille, ou un symbole de famille. Le reste, j’ai modifié beaucoup de choses.
Ça fait plus que 30 ans que vous faites des films. On a beaucoup catégorisé le cinéma québécois dans les années 1990 et 2000. Pendant ce temps-là, vous avez toujours fait vos films de façon très personnelle. Qu’est-ce que vous pensez de l’évolution du cinéma québécois depuis vos débuts ?
Je ne suis pas très cinéma, je viens plus de l’art comme la peinture comme j’étais peintre avant. Je lis aussi beaucoup plus de romans que je vois de films. Le cinéma que j’aime le plus au Québec, qui me dérange, qui fait ce que je voudrais que mes films fassent, c’est plutôt les documentaires. Côté vient me chercher parfois, mais plus cérébralement. Physiquement, c’est les films de Grandrieux ou de Bruno Dumont, où encore certains documentaires d’Herzog et ses premières fictions. Ce sont des films qui m’habitent pendant des semaines. Au Québec, ce sont surtout les documentaires.
Il y a eu une rétrospective en votre honneur à la cinémathèque récemment, est-ce que vous aimez revoir vos vieux films?
Non! Quand un film est fini, je ne le vois plus. Je vois juste ses défauts au final et je me dis : « j’aurais dont dû faire ça »… C’est insupportable! Trois Histoires d’Indiens, je ne le verrai plus. Je suis déjà sur mon prochain projet.
Ça va ressembler à quoi?
Ça s’appelle le Paradis pour tous et ça pourrait s’appeler l’évasion fiscale pour les nuls. Un film que je fais avec un comédien unique (Stéphane Crète). On essaie de montrer aux gens comment placer leur argent dans les paradis fiscaux. C’est un film assez pédagogique!
Ça rejoint un peu Papa à la chasse aux Lagopèdes?
Oui, mais en beaucoup plus trash! Un film de mauvais goût, un film brun.
Trois histoires d’Indiens prend l’affiche le 11 avril prochain.
Votre article est fort intéressant et les questions que vous posez sont pertinentes, mais, SVP, corrigez vos fautes!
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