Royaume-uni, 2020
Note : ★★★★
Présenté en avant-première mondiale au Festival du film de Sundance, le film d’horreur britannique His House est depuis l’automne dernier disponible sur la plateforme de streaming Netflix. Son empreinte visuelle est marquée par la sagacité du jeune Remi Weekes à dépeindre une vision inaccoutumée de l’immigration. Du reste, ce qui frappe en premier est de savoir ce dernier à son coup d’essai. Entre drame social et film fantastique, le réalisateur a eu l’esprit d’enchevêtrer des récits tantôt de guerres tantôt fantomatiques, pour dépeindre l’univers sombre et délétère de son huis clos allégorique.
Rial (Wunmi Mosaku) et Bol (Sope Dirisu) ont fui la guerre civile de leur Soudan du Sud natal pour toucher terre sur les côtes britanniques, à la recherche d’un eldorado salutaire. Traînant avec eux un bagage émotionnel fortement lesté par la disparition en mer de leur fille, ils essayent cependant d’affronter l’inconnu qui les attend avec force et courage. Fraîchement débarqué, le couple de réfugiés va en effet devoir composer avec l’accueil apathique et misanthrope de l’administration locale qui leur impose une assignation à résidence quasi continue le temps que leur demande d’asile soit étudiée. Logés dans une grande demeure délabrée qu’ils pourront seulement quitter pour aller dans les commerces de proximité du quartier, ils vont très vite s’apercevoir n’être pas les seuls à habiter le foyer, possédé par une entité maléfique. Leur rêve de liberté ressemble désormais à une prison dorée de laquelle ils ne peuvent s’échapper. Et si le mal était ailleurs ?
Nouveau disciple du genre horrifique, Remi Weekes a bien fait ses devoirs. Il situe l’action principale de son film dans une maison hantée, elle-même au cœur d’une espèce de no man’s land où toute présence humaine peut être perçue comme une menace. De manière efficace, il met en place quelques jump scares en vue de créer une atmosphère épeurante où l’utilisation corrélative des jeux de lumière, du cadre et du son marque les esprits. Une fois ce postulat énoncé, on pourrait croire l’histoire écrite uniquement pour satisfaire les amateurs de frissons. Il n’en est rien. Dans la lignée de Get Out (Jordan Peele, 2017), Remi Weekes fait partie de ces jeunes cinéastes qui secouent l’ordre établi en revisitant le genre horrifique de manière à questionner des sujets sérieux de l’actualité (l’immigration). Très audacieuse, la force du métrage réside alors dans son incroyable habileté à représenter les angoisses de personnages, imbriquées entre utopie et réalité, fantasmagorie et palpabilité. Parfois, la pratique peut s’avérer hasardeuse, comme en témoigne l’Atlantique (2019) de Mati Diop (notre critique ici) qui n’a pas su trouver le ton juste et l’équilibre parfait de façon à étayer son propos, pourtant sensible aux mêmes thèmes. La ligne est souvent ténue, le pari est ici tenu. Plus qu’un simple film de genre, His House est avant tout une heureuse combinaison d’expériences visuelles et sensorielles qui interroge, au-delà des apparences et des vraisemblances, notre jugement moral, notre esprit critique et notre responsabilité civile à l’égard des migrants.
Les fantômes du passé
Sans en avoir pleinement conscience, on trimballe bien plus que notre corps lorsqu’on émigre dans un nouveau pays. On est fait de sang, on est fait de chair mais aussi de sentiments, transportant avec nous une histoire et des traditions qui peuvent être plaisantes à partager tant qu’elles ne sont pas imposées. Pour faciliter toute intégration, il ne faut pas se satisfaire des évidences et s’intéresser également aux différences de l’autre, qu’elles soient d’ordre culturel, éducatif ou encore générationnel. Être ouvert au changement est alors un prérequis permettant à chaque nouvel arrivant de remettre en question les choses qu’il a apprises, ces mêmes choses bien souvent prises pour acquis. Bol l’a très bien compris et tente, avec une curiosité d’enfant, d’apprendre de cette nouvelle vie entre patience et résilience. Dès lors, il met du cœur à l’ouvrage en s’exerçant à manger avec des ustensiles de cuisine et en pratiquant couramment son anglais pour se mettre à la page. C’est sa façon à lui de résister aux choses qu’on lui a serinées et de mettre toutes les chances de son côté pour s’adapter. Plus en retrait, Rial continue de manger avec ses doigts car elle trouve que la nourriture goûte le métal. Elle persiste également à parler son dialecte afin de se rappeler d’où elle vient et ne pas sentir son identité lui échapper. Garder quelques repères lui permet ainsi de ne pas tomber dans un abîme d’anxiété, à l’image de ce plan où elle marche dans un dédale de rues oppressantes à son arrivée.
Sans jamais juger ses personnages, le cinéaste met en exergue la difficulté pour un nouvel arrivant de trouver un juste milieu entre acceptation et renoncement de leur situation. En ce sens, Bol et Rial n’expérimentent pas leur émigration de la même manière, offrant au récit la possibilité d’être nourri de points de vues dissemblables. Ainsi, le mari ne se laisse pas intimider par la présence insistante d’un agent de sécurité blanc qui le suit du simple fait de sa couleur de peau (un préjugé raciste encourageant l’idée que tous les noirs sont des voleurs). À l’inverse, son épouse est mal à l’aise quand sa médecin la complimente sur ses cicatrices au visage, pensant à tort à une forme d’art folklorique. Il s’agit pourtant là de stigmates rappelant la barbarie de la guerre vécue dans son pays (une automutilation en signe d’appartenance aux deux tribus de son village pour s’éviter une mort certaine). Difficile alors de s’émanciper de son passé et de se reconstruire quand chaque regard posé sur soi met en évidence nos différences. Si elles se remarquent et nous interpellent, peut-être vaut-il mieux s’abstenir d’en parler, dans l’hypothèse où l’on risque de froisser son interlocuteur en ne sachant pas comment aborder le sujet.
Certes, il est important que les nouveaux arrivants soient enclins à s’adapter, mais il l’est tout autant pour les habitants du coin de ne pas s’arrêter à des préjugés, en palliant leur ignorance et en s’intéressant à l’autre plus qu’en ne le jugeant. À ce sujet, Rial se fait railler par les assistants sociaux à propos de sa tenue africaine qu’ils prennent pour un vieux drap, bien que se soit un drapé traditionnel noué sur l’épaule. A contrario, Bol s’habille de la tête au pied, à l’image du mannequin caucasien sur la photo de la boutique du quartier. Dans sa tête, lui ressembler, c’est arriver à se fondre dans la masse et enfin trouver sa place. C’est patienter jusqu’à la validation de sa citoyenneté. C’est le rêve tant espéré d’un ailleurs qui devient réalité.
L’enfer chez les autres
Dès leur arrivée au pays, le jeune couple doit se soustraire à un certain nombre de règles pour prétendre à l’obtention de leur citoyenneté. Ils ne peuvent pas travailler, devant se satisfaire de leur maigre pension, comme de l’habitation qui leur a été attribuée. Quand le mari évoque la vétusté de leur foyer lors d’une rencontre hebdomadaire avec son travailleur social (glaçant Matt Smith), ce dernier lui conseille de redoubler d’efforts pour s’adapter, ironisant sur le fait que leur logement est bien plus grand en comparaison de son propre appartement. Mais comment trouver accueillante une maison dont la porte d’entrée est dégondée, les murs décrépits, noircis par l’humidité, les tapisseries déchirées avec vue sur cavités? Une maison à l’électricité obsolète, où les cafards et autres insectes se délectent du moindre restant de bouffe jonchant le sol rempli d’immondices? S’adapter, comme on leur répète souvent, prend alors un tout autre sens. C’est là l’hypocrisie d’un système qui isole les migrants, tout en leur reprochant de ne pas s’intégrer complètement.
Tout est fait pour les inciter à rester cloîtrés et à ne sortir qu’à de maigres occasions. Tourmentés par le spectre de la guerre, c’est alors de leur fenêtre ou de leur cour qu’ils vont pouvoir observer leur voisinage, loin d’être accueillant et chaleureux envers eux. Rial va surprendre une jeune fille urinant dans son jardin (qui ressemble à un squat), quant à Bol, il se fera dire par une voisine que leur éviction est inévitable. Il est donc bon de questionner l’adjectif possessif du titre du film, « his », dont le nom n’est pas exprimé. Est-ce la maison d’un fantôme ou d’un vivant, d’un mort ou d’un migrant ?
Au cœur de ce huis clos cérébral, la menace est par conséquent à l’extérieur autant qu’à l’intérieur de cette maison presque impossible à quitter. De fait, l’étau se referme sur eux, contraints d’affronter la source du mal de même que la vérité à laquelle ils ne peuvent se soustraire (plans serrés sur les yeux) afin de se défaire de ces chaînes qui les condamnent à une culpabilité certaine. Leur réalité est cauchemardesque car elle est habitée de maux ayant détruit leurs idéaux. Le monstre n’est plus celui que l’on voit, mais celui que l’on porte en soi. Une des nombreuses qualités du film est alors de jouer de la discordance entre les visions d’horreur incessantes qui les hantent et les réminiscences d’un passé avéré, poussant le spectateur à se demander lesquelles sont les plus effrayantes. Ce va-et-vient constant est souligné par le biais de cadrages, invitant au voyage à travers la métaphore des portes par lesquelles déambulent les personnages (univers de Lewis Carroll). Tout comme Alice dans Alice au pays des merveilles, ces derniers sont inadaptés à leur nouveau monde et doivent redoubler d’efforts pour montrer patte blanche en raison de leurs disparités. Chaque encadrement de porte symbolise un passage vers la disgrâce ou le pardon. Il leur faudra prendre pied d’un bord ou de l’autre pour surmonter l’adversité et démontrer leur envie de rester.
À partir d’un scénario utilisant à bon escient les codes de l’horreur, Remi Weekes construit son récit avec brio en critiquant, derrière les apparats du divertissement facile, une société qui presse les migrants à s’intégrer sans jamais se donner les moyens de les accueillir et de les accepter. De quoi réfléchir avec raison sur l’acculturation d’un étranger en situation précaire qui ne prétend à rien, si ce n’est d’être traité avec respect et humanité. En faisant le choix d’éviter le cliché de la famille blanche aisée capable de déménager du jour au lendemain, le réalisateur permet au genre horrifique de sortir des sentiers battus. De fait, il propose une nouvelle perspective aux enjeux bien plus ancrés dans la réalité, comme le polar d’après guerre l’avait fait en son temps dans son observation des travers de nos sociétés modernes. Néanmoins, il prend le risque de diviser l’opinion, certains venant chercher un simple frisson tandis que d’autres seront contents d’avoir pu en tirer une belle leçon.
Bande-annonce originale anglaise:
Durée : 1h33
Crédits photo : Aidan Monaghan et Netflix
Critiques toujours fouillées et bien écrites.
Ne changez rien, Alexandre Blasquez !
Cl.B.