Sénégal et France, 2019
★★1/2
La réalisatrice française d’origine sénégalaise Mati Diop est revenue du Festival de films de Cannes avec le Grand Prix du jury de la compétition officielle pour Atlantique, histoire d’amour classique avec une touche fantastique. Si la réalisation est de qualité, l’ensemble du film peut désintéresser son spectateur. Un premier film visuellement prometteur, mais pas si emballant.
La jeune Sénégalaise Ada (Mame Bineta Sane dans son premier rôle) est amoureuse de Souleiman (charmant Ibrahima Traoré, également dans son premier rôle), un ouvrier de la classe sociale populaire. Cet amour est gardé secret puisqu’elle est fiancée à un jeune riche professionnel souvent en voyage à l’étranger. À la suite d’un conflit entre les ouvriers en construction et le patron de la compagnie qui les laisse sans salaire depuis quelques mois, un groupe décidera de tenter leur chance en prenant un petit bateau pour parcourir l’océan Atlantique dans l’espoir d’atteindre l’Espagne. Ada sera bouleversée et questionnera son mariage lorsqu’elle apprendra que les jeunes hommes ont péri en mer. Leurs fantômes (Djinns dans les croyances païennes de l’Arabie préislamique) reviendront à Dakar en prenant possession des corps de jeunes femmes (les amies d’Ada) pour exiger justice auprès de l’entrepreneur les ayant exploités.
Atlantique est un film qui positionne lentement les différents éléments narratifs. Cette lenteur n’est pas un défaut, mais peut nuire à l’appréciation puisque l’histoire est classique sans être particulièrement réinventée. Oui, l’apparition des Djinns peut bonifier la proposition, mais Diop l’aborde de manière très anecdotique. Les acteurs performent à des niveaux différents. Mame Bineta Sane a une attitude très blasée faisant d’elle une protagoniste aux apparences détachées de sa réalité personnelle. Ses amies sont dynamiques, mais ne sont au final que des personnages superficiels en ce sens qu’elles ne sont pas développées narrativement. L’acteur qui interprète le fiancé (Babacar Sylla) est particulièrement mauvais, n’étant qu’un cliché sans aucune profondeur.
Ibrahima Traoré séduit, mais quitte rapidement l’écran. Le personnage du commissaire Issa (Amadou Mbow) qui enquête sur l’entrée par effraction des jeunes femmes/Djinns demeure le personnage le plus intéressant puisqu’il représente cet entre deux classes. Il n’est ni riche, ni pauvre, mais détient le pouvoir. Pouvoir dont il abusera quelque peu dans cette enquête tout en demeurant dans l’impunité. Dans un revirement dramatique (mais traité sans spectacle), il prendra conscience d’une certaine absence de contrôle sur son sort alors qu’il est victime d’épisodes où il perd conscience. Ce personnage d’autorité représente également cette absence de justice dans le Dakar de 2019, absence pour cette jeunesse optimiste et désabusée.
L’attitude quasi détachée d’Ada est révélatrice : elle veut s’affranchir de son mari, de son mariage de convenance. Elle est désabusée de sa condition. Atlantique avancerait alors que le seul moyen d’avoir justice au Sénégal en 2019 serait par une intervention surnaturelle, les Djinns. On se tourne donc vers les croyances païennes comme symbolique de l’impossible. Le film aborde surtout le désespoir de toute une génération sans véritable possibilité de révolution.
Si le film a quelques défauts narratifs (affirmation subjective ici), la réalisation de la cinéaste est soignée pour la majorité des scènes. Diop et sa directrice photo Claire Mathon nous offrent de magnifiques plans très poétiques et évocateurs. Des plans d’ouverture où la tour en construction est dans un brouillard fantomatique annonçant les apparitions de Djinns aux plans de l’océan Atlantique quasi uniformes dans sa beauté inquiétante. Au final, c’est peut-être cette poésie absente d’espoir qui peut décevoir. Et ce, même si Ada obtiendra une certaine liberté.
Le spectateur peut entièrement s’abandonner à cette expérience et son appréciation sera probablement plus grande. Distribué par Netflix, le regarder sur un petit écran fragilisera cette possibilité d’abandon et réduira la grande qualité des magnifiques images de Mathon et Diop. À voir idéalement sur grand écran.
Ce film a été visionné dans le cadre du Festival du nouveau cinéma 2019.
Bande-annonce en version originale avec sous-titres français :
Durée : 1h44