Entrevue Claire Pommet (Pomme) pour La Vénus d’argent

Claire Pommet bonjour, c’est votre première apparition au cinéma alors que l‘on vous connaît chanteuse depuis presque une dizaine d’années, qu’est-ce qui a motivé cet élan ?

Claire Pommet : C’est un désir que j’ai depuis l’enfance. C’est un des premiers métiers que j’ai eu envie de faire comme plein de petites filles et de petits garçons qui, je pense, rêvent d’être acteur et actrice. En fait, j’ai passé quelques castings quand j’étais enfant qui se sont avérés être des échecs donc j’ai très vite abandonné et associé ça à quelque chose de pas très agréable pour aucune raison valable. J’ai fait un an de théâtre que j’ai beaucoup aimé et pourtant, j’ai eu un rapport de rejet avec ça toute mon adolescence. Puis, j’ai rapidement fait de la musique aussi, ce qui m’a permis de ne plus trop me poser la question. Je me disais que la musique ça marchait, ça se passait bien donc je ne voyais pas l’intérêt d’aller creuser des trucs du passé qui me semblaient être des mauvaises trajectoires. Puis il y a eu le confinement et je me suis retrouvée, un peu par dépit, confinée chez mes parents dans la même maison où j’avais fait des photos de casting quand j’avais 8 ans. C’est alors revenu me hanter de façon mystique. Je pense aussi qu’il y avait cette peur de mourir un peu, que tout s’arrête complètement. On nous disait que tout allait reprendre mais cela n’était pas sûr. Et tout ça m’a fait prendre conscience de ce que j’avais fait, de ce que je n’avais pas fait, surtout de ce que j’avais envie de faire et que j’avais peut-être mis de côté au profit d’autres choses. J’ai alors réalisé que j’avais peut-être envie finalement d’essayer ce métier si on devait tous mourir. J’ai du coup ressenti une espèce d’urgence amenée par le Covid et à ce moment-là, j’en ai fait part aux gens autour de moi en leur disant que j’aimerais bien faire des démarches, passer des castings. Tout s’est vite enchaîné, j’ai rapidement reçu le scénario d’Héléna.

Est-ce que du coup c’était important pour vous de reprendre votre nom complet, comme une réappropriation de votre corps ? Une façon de séparer votre univers de chanteuse de celui d’actrice ?

Je pense que je ne me sentais pas super légitime de faire le pont aussi facilement entre les deux. C’est un privilège, vous voyez ? C’est lié au fait que les gens me connaissaient déjà en tant qu’artiste musicale et que c’était très facile pour moi d’avoir des opportunités. Je voulais donc créer une espèce de contexte qui fasse en sorte que les gens puissent aussi me voir comme une actrice et pas seulement comme une musicienne en mettant tout en œuvre pour que ce soit le plus naturel possible. Je trouvais ça un peu dommage de travailler pendant un an pour créer un personnage et qu’au générique de fin ce soit écrit Pomme alors que ce sont deux choses qui n’ont absolument rien à voir.

La réappropriation du corps est d’ailleurs un des sujets du film. Jeanne se cherche, évoluant dans un univers masculin où elle tente de se frayer un chemin. Est-ce que c’est quelque chose qui vous parlait à la lecture du scénario ? Est-ce que vous y avez vu des similitudes avec votre parcours dans le milieu de la chanson à vos débuts, en tant que femme évoluant dans un univers masculin ?

Oui évidemment! La question d’évoluer dans la société en étant une femme et donc discriminée à plein d’égard, c’était quelque chose qui m’intéressait. Mais il y avait aussi beaucoup d’autres sujets. Je trouvais également le film un peu tentaculaire dans ses aspects politiques. C’est un personnage féminin qui reste assez flou sur son genre et ne cesse de se redéfinir au cours du film. Elle est plutôt réticente à l’idée d’être présentée comme une femme parce qu’elle sait que ça va lui porter préjudice et que ça risque d’être un frein pour sa carrière dans la finance. C’est pourquoi elle dit assez expressément qu’elle est neutre. On peut s’imaginer que c’est un personnage non-binaire et en même temps, c’est aussi une façon d’essayer de rentrer dans les rangs.

De se protéger?

C’est ça.

La Vénus d’argent : Neils Schneider et Claire Pommet-Copyright Pyramide Distribution
La Vénus d’argent : Neils Schneider et Claire Pommet-Copyright Pyramide Distribution

J’en parlais plus tôt avec Héléna. C’est un personnage qui n’est pas du tout sexualisé en mettant des bandes et j’avais vraiment la sensation qu’elle cherchait à être invisibilisée.

Exactement.

Et ça fonctionne car ça lui évite d’être jugée par rapport à son physique.

Oui c’est intéressant mais je ne sais pas à quel point une personne non binaire dirait que c’est lié. En tout cas, on dirait que ça chevauche ce terrain-là parce que du coup elle ne veut, ni être considérée comme une femme, ni être considérée comme un homme. Ça pose donc tout de suite la question de son genre parce que dans la société tout est très binaire. À un moment donné, un personnage lui demande si elle est lesbienne et dans sa réponse, c’est intéressant parce qu’elle veut à la fois se normaliser et se protéger en étant le plus neutre possible. En même temps de nos jours, quand on est non-binaire, on ne fait pas partie des gens les mieux protégés. On est souvent les plus vulnérables lorsqu’on n’est justement pas défini. Elle semble être prête à tout j’ai l’impression pour ne pas être considérée comme un corps ou comme une apparence physique, mais plus comme un cerveau, au point de se dire qu’il lui faut annuler son genre. Il y a après d’autres sujets qui m’ont touchée comme celui des responsabilités, de la charge mentale à s’occuper de sa famille, de la classe sociale et du consentement également.

En effet, le sujet de la famille, comme vous en parlez, c’est vraiment quelque chose qui est présent. Le rôle de mère, il lui incombe alors qu’elle n’a rien demandé.

Exactement, ce sont des sujets qui ne sont pas frontalement abordés dans des répliques en tout temps mais qui existent dans le décor.

Toutes les questions que le film peut soulever, ce sont des enjeux qui vous parlaient personnellement?

Oui. Franchement j’ai de la chance parce que c’est un des premiers scénarios que j’ai lu et qui m’a plu. En plus de ça, il est venu me toucher intimement dans mes convictions, sur des sujets que j’ai envie de voir évoluer dans la société et sur lesquels j’ai moi-même envie de me remettre en question : le genre, les classes sociales, le pouvoir. C’était une occasion parfaite d’incarner un personnage qui, à la fois peut s’inspirer de ce que je suis, et en même temps de rentrer dans la peau de quelqu’un qui n’est pas moi. Physiquement, il y a eu plein de changements qui se sont opérés. Il y a beaucoup d’éléments très loin de ma réalité. Par exemple, je ne me serais jamais rasé la tête. Cela étant, c’était intéressant de vivre cette expérience car lorsqu’on est une femme, c’est déjà un sujet en fait. C’est drôle parce que j’en ai parlé un petit peu en amont dans les médias en France. J’avais peur d’apparaître dans des émissions avec la tête rasée et que cela soit une espèce de sujet sur les réseaux sociaux. J’ai donc préféré anticiper en postant une photo sur Instagram. À la suite de ça, 3000 personnes se sont désabonnées de ma page à ce moment-là.

C’est fou.

Ça m’a beaucoup fait me questionner.

Peut-être parce que dans la tête de beaucoup de gens, les cheveux courts sont souvent associés à la maladie?

Oui mais il y a aussi le rapport à la féminité. Les cheveux longs, les cheveux blonds… et je me retrouve avec une coupe de cheveux dite masculine. C’est donc intéressant. Il y avait beaucoup de thématiques du film qui me concernaient, m’intéressaient, me troublaient et me questionnaient dans la vie de tous les jours.

L’apparence est un des sujets du film. C’est important pour vous d’avoir une apparence qui reflète ce que vous êtes en dedans ? Et dans votre métier de chanteuse ou ici d’actrice, c’est important de pouvoir exprimer des choses qui viennent de vous, de votre for intérieur ?

Oui je pense que c’est une des similitudes avec le personnage. C’est peut-être même encore plus intense dans le métier d’actrice parce que notre corps est un vaisseau qui véhicule des émotions et l’apparence dans ce métier fait partie du quotidien. De mon point de vue, je peux également faire facilement un lien avec le métier de musicienne. De nos jours, il faut être vue, être filmée, être prise en photo… je pense donc que c’est une grande question l’apparence. J’aimerais bien vivre dans un monde où on n’y accorde pas d’importance sauf que c’est une réalité qui n’existe malheureusement pas.

Vous en souffrez?

Oui. N’importe qui d’ailleurs, tous genres confondus, doit apprendre à gérer cette pression-là, à gérer son apparence et la façon de se présenter au monde. C’est devenu quelque chose d’hyper important avec les réseaux sociaux et ça peut aussi être un poison. Dans le film, Jeanne a cette envie de vouloir être considérée pour son cerveau et non son physique mais à la fin, on voit bien que ce costume n’était qu’une espèce d’armure pour pouvoir ressembler aux autres. Elle finit d’ailleurs par changer de vêtements et porter quelque chose qui lui ressemble davantage et pour moi, c’est symptomatique de la société dans laquelle on vit en ce moment.

La Vénus d’Argent : Claire Paumet-Copyright Pyramide Distribution
La Vénus d’Argent : Claire Paumet-Copyright Pyramide Distribution

 

C’est ce qu’on disait avec Helena le paradoxe c’est qu’elle s’habille comme les hommes en portant ce costume mais en voulant essayer de leur ressembler mais pour finir, c’est l’effet inverse qui se produit.

Oui, cette tentative de déjouer les codes est intéressante mais elle se passe dans un milieu tellement codifié que tout le monde questionne son choix. C’est qui elle? C’est qui cette fille qui s’habille avec un costume dans un milieu où j’ai rencontré des vrais tradeuses, des jeunes filles qui travaillaient et faisaient des études de trading. Elles me disaient être obligées de s’habiller en tailleur avec une jupe et des talons aiguilles. C’est hyper codifié donc tu ne peux pas être une fille et arriver en costume, c’est impensable. Et a un certain moment, quand tu commences à monter en grade, là tu peux commencer à t’habiller un peu plus avec ton style mais au début, pendant de longues années, tout le monde a des vêtements de circonstances, comme des uniformes.

Est-ce que vous ressentiez une pression dans le fait de jouer un personnage en apparence non genré en tant que personne issue de la communauté LGBTQ+ ou pas du tout ?

En fait j’ai l’impression que la question de la non-binarité reste assez floue et je pense que c’est un personnage qui ne cherche pas vraiment à se définir. Elle dit à un moment donné qu’elle est neutre mais c’est une libre interprétation. J’ai l’impression qu’elle essaye davantage de se reconstruire ou de se construire tout simplement. C’est sûr que pour moi, c’est important de représenter des personnages qui proposent d’autres trajectoires. Après, en ce qui me concerne, je ne m’identifie pas à une personne non-binaire donc je ne sais pas à quel point je me sentirais légitime de jouer un personnage non-binaire. En revanche, je me sens légitime de jouer quelqu’un qui questionne les codes de la féminité et de la binarité. Néanmoins, je ne me sens pas femme comme on me propose de l’être. Est-ce que c’est là où on commence à rentrer dans la non-binarité? Ce sont des questions qui sont nouvelles et pour moi, l’important c’était d’incarner un personnage qui n’a jamais existé au cinéma en France, notamment dans un pays où on est un peu moins ouvert qu’au Québec par exemple. Il y a bien des pays moins accueillants que la France mais elle ne fait pas non plus partie du top 3 des pays les plus ouverts d’esprit dans le monde. C’est un pays plutôt ancré dans les traditions et la binarité justement.

Tout à fait, on le voit avec l’affaire Depardieu et les récents témoignages de Judith Godrèche et Anna Mouglalis. On en parlait avec Héléna tantôt. Qu’est-ce que cela vous fait de voir toutes ces artistes féminines qui sortent du silence mais qui sont très peu défendues, notamment par des collègues masculins qui pourraient dire : « j’ai vu, j’ai assisté à » ?

Hmmm. Ça me prouve que la France a un énorme problème avec l’inceste et avec la culture du viol. Ce sont deux sujets très ancrés dans les bases de la société française. C’est comme si l’ampleur du problème est encore plus immense que ce que tout le monde avait imaginé. Et le fait que ce soient uniquement des femmes qui parlent, que le Président de la République soutienne Gérard Depardieu en fait c’est une preuve de…

Déni?

Oui. C’est comme le racisme systémique, le sexisme, comme toutes ces choses-là. Ça veut dire que c’est ancré au point que ça ne dérange pas le président de prendre la défense d’un homme dont on ne sait pas vraiment s’il est innocent ou s’il est coupable.

C’est-à-dire qu’après 14 plaintes je ne pense pas que le doute ait encore beaucoup sa place. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de femmes qui se lèvent un jour et se disent : « tiens ça me tente aujourd’hui d’aller à la police pour raconter en détail mon agression, mon viol ». Si on devenait riche en portant plainte, ça se saurait.

C’est ça. C’est tellement déconnecté de la réalité. Je n’arrive pas à m’empêcher de le lier avec l’histoire de la France, avec la religion, avec la codification du genre…d’ailleurs c’est aussi le même président qui a demandé à ce que l’écriture inclusive soit interdite dans les manuels, dans les documents officiels. Il y a vraiment une pensée conservatrice en France que tout le monde sous-estime je pense. Les gens conservateurs ne se rendent pas compte à quel point la France est ancrée dans cette pensée-là.

Oui souvent. On peut très bien être dans la préservation tout en étant dans l’évolution. L’un n’empêche pas l’autre.

Tout à fait. Mais c’est le propre d’un pays colonialiste qui a été une grande puissance qui l’est encore. Je pense que la différence avec le Québec, c’est que c’est une région qui fait partie d’un pays colonisé où les gens ont énormément subi, plus qu’agit. Et j’ai l’impression que ça change tout, que l’histoire de la France, c’est celle des conquêtes et des guerres. Du coup, un film comme celui d’Héléna, évidemment ça bouscule tous les codes et les idées reçues. Vous voyez le film en France a beaucoup plu à la critique, pourtant, il y a peu de cinémas qui l’ont diffusé car ils étaient frileux. Les programmateurs de cinéma de 60 ans trouvaient que ce n’était pas intéressant ou que ça questionnait un peu trop les principes de base de la société française. J’espère qu’il sera plus facile pour les gens de le voir ici.

Je pense qu’il sera plus facile à recevoir également. Et puis vous savez, les films mal diffusés qui ne se rendent pas au plus grand nombre, il leur reste toujours une seconde vie avec le bouche-à-oreille sur les sorties VOD ou sur les plates formes de streaming.

En tout cas, je suis très contente qu’il sorte ici et de pouvoir en parler. Je n’ai pas envie d’abandonner la France parce que je pense qu’il y a beaucoup de choses importantes, de gens géniaux là-bas, beaucoup de beauté également. Cependant, quand on est au Québec, on se rend compte à quel point on se sent plus en sécurité tout simplement en tant que femme et en tant que personne queer.

Je vous rejoins complètement. Ce serait compliqué pour moi encore aujourd’hui de porter un kilt en France par exemple en étant un garçon. On ne me regarde pas de travers ici et c’est un plaisir.

C’est triste parce qu’il y a une fausse complaisance, une fausse ouverture d’esprit en France. Il faut arrêter de penser que l’on est gay friendly.

J’ai déjà entendu que la France est un pays progressiste et que c’est le paradis pour les LGBTQ+. Il y a pire comparé à des pays où la peine de mort est toujours en vigueur, certes, néanmoins on se rappelle bien les vagues de violence à la suite de la loi en faveur du mariage pour tous ainsi que les débats relancés dans la société.

Oui. On ne peut pas se comparer avec des pays où les personnes queer sont menacées de mort.

Il faut comparer les pommes avec les pommes…

Oui, sinon on n’est pas sorti de l’auberge. En tout cas, je suis content que le film sorte au Québec même si les gens en France en ont plus besoin qu’ici.

Est-ce que vous avez d’autres projets pour le cinéma?

Pas encore mais j’aimerais beaucoup.

Je vous souhaite que ce film-là vous donne plus de visibilité.

J’adorerais. Ce serait chouette! J’aimerais beaucoup jouer dans un film qui fait peur.

Qui sait à force d’en parler.

Je me manifeste, je me manifeste!

Il faut invoquer le dieu de la créativité.

J’invoque, j’invoque.

Merci à vous en tout cas. Et on rappelle que le 22 mars c’est aussi la sortie d’un nouvel album.

Durée : 1h35

La Vénus d’Argent est actuellement en salle au Québec

Découvrez la première partie de l’entrevue avec Héléna Klotz, ici.

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