États-Unis, 2023
★★★★
Si Priscilla pouvait susciter la crainte d’une redondance avec le film Elvis de Baz Luhrmann, sorti en 2023, Sofia Coppola nous dévoile une perspective féminine rafraîchissante. Alors qu’Elvis nous plongeait dans le quotidien de l’époux chanteur et nous dépeingnait sa relation amoureuse comme un conte romantique inspiré de faits réels, Priscilla offre un récit plus ancré dans le réel, où Priscilla Presley, en tant que productrice déléguée, exerce un contrôle significatif sur la création de l’œuvre.
Malgré les divergences entre les deux films, un élément les unit pourtant : la descente d’Elvis dans les méandres des addictions, contrastant avec la résistance de Priscilla à le suivre sur cette voie. Néanmoins, là où le film de Baz Luhrmann relègue la femme du chanteur à un rôle anecdotique et effacé, Coppola la place au centre du récit. De plus, contrairement à la représentation tendre et docile d’Elvis Presley dans le film précédent, la réalisatrice choisit de nous présenter un portrait différent du célèbre chanteur. En effet, le film de Coppola nous montre un homme déchiré entre son monde professionnel et son entourage, négligeant sa compagne et exerçant sur elle une influence tant mentale que physique.
Le récit s’ouvre sur l’adolescence de Priscilla Presley, interprétée par Cailee Spaeny. Elle est âgée de quatorze ans et le film capture les contours de sa rencontre avec Elvis Presley, l’éclat de leur amour, leur mariage, et finalement, la conclusion poignante de leur histoire. Ce qui frappe dès la sortie de la salle, c’est le choix audacieux de clore le film sur la fin de leur mariage et non pas sur la disparition d’Elvis, recadrant ainsi l’intrigue sur Priscilla. Bien loin de peindre une réalité parfaite et à l’opposé de la vision idéalisée d’Elvis, le film expose avec intensité les hauts et les bas de leur relation. En échappant à une fin prévisible, il préfère scruter les limites d’une histoire d’amour complexe, captivant notre attention en explorant chaque nuance de leur parcours conjugal.
Inspiré du livre Elvis and Me écrit en 1985 par Priscilla Presley, le film offre à Sofia Coppola l’opportunité de revisiter des thématiques familières, telles que le regard féminin et l’ennui, déjà explorées par la réalisatrice dans ses œuvres Virgin Suicides ou Lost in Translation. Ces mêmes thèmes transparaissent à l’écran dans Priscilla, notamment lors des moments où la protagoniste se trouve seule dans la maison qu’elle partage avec Elvis. On la voit constamment attendre son amant, reléguée physiquement sur le côté de l’image, comme évitant le centre du cadre. Son regard, lui aussi, fuit la caméra. Elle est capturée dans des plans d’ensemble, la montrant perdue dans des espaces vides et immenses. Cette sensation d’ennui semble peser sur le personnage qui réclame la présence de son compagnon. Quand ce dernier est là, il n’est jamais seul. Elvis est toujours entouré d’une bande d’amis à laquelle se greffe Priscilla. Si cette dernière regarde par moment la caméra lors de ces séquences, elle ne sera pas plus au centre des plans, laissant la place à Elvis, joué par Jacob Elordi dont la taille accentue la prestance dans ce rôle parfaitement maîtrisé. Ce n’est qu’à la fin du film, lorsque l’on apprend l’envie de cette dernière de quitter cette vie, qu’elle commence à nous apparaître centrale à l’image, comme dans le récit. La dernière séquence, qui nous la montre de nouveau en gros plan comme au début de sa relation amoureuse, accentue sa prise de position. Malgré les larmes et la nostalgie qui paraissent l’envahir, elle entame un nouveau départ en quittant sa maison sur l’air d’I Will Always Love You de Dolly Parton. Les paroles de cette chanson s’entremêlent parfaitement avec le film que nous venons de voir, évoquant l’idée de partir pour ne pas entraver la vie de l’autre, tout en gardant cet amour intact.
Enfin, le film délaisse l’esthétique rêveuse et les couleurs pâles traditionnelles des œuvres de Sofia Coppola pour adopter un style plus réaliste, mettant en avant l’abandon d’une vie rêvée inaccessible de la protagoniste. Les choix musicaux du film, dans leur ensemble, renforcent la place centrale de Priscilla dans l’histoire. Représenté en périphérie dans la narration, Elvis Presley est absent de la bande sonore, mettant ainsi à nouveau la protagoniste en avant.
À chaque nouveau film de Sofia Coppola, une question persiste : en abordant l’ennui féminin, nous offre-t-elle des films féministes ? À cet égard, malgré l’absence d’un féminisme accrocheur, son travail n’en reste pas moins captivant, notamment grâce à sa représentation unique du regard féminin qui offre une mise en scène de thèmes étroitement liés à la condition féminine étasunienne et à ses problématiques. Comme Claire Johnston disait dans son texte Le cinéma des femmes comme contre-cinéma rédigé en 1972 : « Il ne suffit pas de discuter l’oppression des femmes à l’œuvre dans le texte du film ; il faut aussi remettre en question le langage cinématographique/la description de la réalité, afin d’opérer une rupture entre texte et idéologie ». Et à ce titre, la réinterprétation que Coppola en fait permet justement une remise en question à la lumière des évolutions sociales, culturelles et politiques actuelles.
En effet, elle propose d’élargir la portée de ces thématiques en les rendant accessibles pour une audience contemporaine, amenant ainsi une réflexion plus profonde sur les enjeux et les réalités auxquels les femmes ont pu être confrontées par le passé. Vu sous cet angle, il apparaît indéniable que le film est profondément ancré dans une perspective féministe, ouvrant ainsi de nouvelles voies qui devraient permettre aux femmes de se faire davantage entendre.
Le principal reproche que l’on pourrait adresser à Priscilla serait la prévisibilité de son histoire, dépourvue de grands rebondissements. Cependant, il me semble que ce film ne vise pas à nous dépeindre des événements spectaculaires, mais à explorer des émotions intenses. Sa simplicité narrative renforce, en réalité, le caractère tragique de l’histoire : Priscilla aspire désespérément à une vie simple aux côtés de l’être aimé mais se heurte à l’impossibilité de concilier leurs deux univers. Ce n’est pas une épopée aventureuse, mais plutôt une retranscription visuelle de la lettre d’amour poignante de Priscilla Presley à Elvis, aussi sombre soit-elle.
Priscilla se démarque par son regard féminin et s’illustre dans le partage d’une bouleversante leçon de résilience. Loin du spectaculaire, le film nous propose de suivre l’émancipation d’une jeune femme qui reprend le contrôle de son existence.
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Durée : 1h53
Crédit photos : American Zoetrope, Stage 6 Films, The Apartment.