Vivre à 100 milles à l’heure : Il était une fois à Québec

Après un road-trip en duo dans Route 132 (2010) et une garde en captivité à trois dans une grange dans Les mauvaises herbes (2016), Louis Bélanger élargit son univers et laisse libre cours à son ambition dans son dernier film Vivre à 100 milles à l’heure pour raconter une fresque d’amitié et de criminalité s’étalant sur plus de 10 ans. Le résultat, absolument réussi, est empreint d’un souffle épique rappelant les chefs d’œuvres de Martin Scorsese et Sergio Leone, Goodfellas (1990) et Once Upon a Time in America (1984), en version québécoise. Jouissif.

Tout comme dans son film le plus marquant en carrière, Gaz Bar Blues (2003), Louis Bélanger puise dans ses propres souvenirs de jeunesse pour accoucher de cette histoire personnelle à laquelle il ajoute de la fiction pour construire son arc narratif. On y suit Louis et ses deux meilleurs amis, Daniel et Éric, de l’enfance au début de l’âge adulte, alors qu’ils s’engagent dans le trafic de substances illicites, les quantités, les enjeux et les conséquences devenant toujours plus importants au fil des années.

En regardant la filmographie du réalisateur, force est de constater que cette formule en partie autobiographique est celle qui lui sied le mieux. À cet égard, le film de Bélanger se rapproche de la trilogie autobiographique de Ricardo Trogi, 1981, 1987, 1991 : la narration y est également omniprésente et le personnage principal porte aussi le même prénom que le réalisateur.

Les Films Opale

Or, le film de Bélanger présente trois tranches d’âge au cœur d’un seul film et s’intéresse davantage aux déboires criminels qu’amoureux et hormonaux de ses héros, ce qui suggère d’autres comparaisons, plus internationales.

Ce sont Once Upon a Time in America, Goodfellas et Trainspotting qui nous viennent en tête devant ce mélange de criminalité et d’amitié au sein d’une histoire de grande envergure. Si les conséquences à venir se font sentir tout au long, il est impossible de ne pas éprouver d’excitation à les voir évoluer tout de même. Le tout narré, comme dans les deux derniers, de manière dynamique à la première personne.

Et puis, comme dans ces films et ceux de Ricardo Trogi, la narration n’agit pas comme une béquille facilitant le développement du récit mais en renforce plutôt la dimension personnelle tout en l’articulant habilement, le rendant d’autant plus prenant.

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En plus de la narration, le nouveau film de Louis Bélanger apparaît éminemment personnel par la lettre d’amour qu’il constitue envers l’époque (les années 1970-1980) et la ville (Québec) qui l’a vu grandir. Avec passion et justesse, il arrive à recréer l’époque, les lieux, l’atmosphère, tout en s’amusant à y insérer de nombreuses références qui l’ont personnellement fait vibrer, autant politiques (les discours de René-Lévesque et les affiches du Parti libéral arrachées des poteaux par conviction souverainiste), cinématographiques (une sortie au cinéma pour voir L’eau chaud, l’eau frette d’André Forcier, une affiche de Stranger Than Paradise de Jim Jarmusch accrochée au mur) ou musicales (les séances d’écoute de vinyles, une virée pour voir un concert de Frank Zappa à Montréal, et bien d’autres).

Une des plus grandes forces du film est cet esprit de jeunesse, de liberté, de possibilités, d’insouciance et de rock’n roll que Bélanger réussit à capturer et à transposer à l’écran et qui trouve ces bases dans l’amitié qui unit les trois protagonistes.

Les trois personnages principaux que l’on suit sur plusieurs années, avec des changements d’acteurs à mesure qu’ils vieillissent, des visages pour la plupart nouveaux et rafraichissants, sont très bien développés. Le scénario de Bélanger arrive à nous faire comprendre la psyché de ses personnages. Malgré leur complexité, il nous est possible de comprendre leurs gestes, de saisir leurs motivations, ce qui leur fait peur, ce qui les fait vibrer et pourquoi. Ils sont attachants et leur destin ne laisse pas le spectateur indifférent.

 

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La partie du film où ils sont adolescents est la plus exploitée, la plus prenante et celle qui fonctionne le mieux. Bélanger y prend davantage son temps pour laisser vivre ces personnages.

Constituée d’une suite d’événements en accéléré qui laisse moins de répliques et d’espace aux personnages, la partie où ils sont adultes est plus précipitée. Ce sont donc davantage les événements qui définissent les personnages plutôt que leurs attitudes. L’engagement émotionnel du spectateur y perd mais la formule prouve une thèse centrale du film selon laquelle l’adolescence a une influence majeure sur la vie adulte qui s’ensuit.

Au final, Vivre à 100 milles à l’heure entraîne le spectateur dans une large gamme d’émotions. Captivant, attendrissant, triste, drôle, stressant, violent, doux, dur, sont autant des qualificatifs qui s’appliquent au film de Louis Bélanger. Ce dernier nous prouve, comme il l’avait fait avec Gaz Bar Blues, qu’il est possible de faire du cinéma populaire de haute qualité au Québec.

Durée: 1h43

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