The Pez Outlaw : La joie de briser le système

États-Unis, 2022
Note : ★★★

Au début des années 90, il existait plusieurs options pour sortir de la monotonie de la classe moyenne. Certains investissaient corps et âme dans la collection d’objets plus ou moins insolites, alors que d’autres s’amusaient à récolter les prix des concours au dos des boîtes de céréales. Steve Glew, ouvrier du Michigan, a la particularité d’avoir trouvé un moyen de transformer ces passe-temps en profits, devenant au passage ridiculement riche grâce à un réseau de trafic de distributeurs à bonbons Pez. Une telle occupation lui procura une grande notoriété, jusqu’à devenir l’ennemi numéro un d’une entreprise chiffrée à plusieurs millions de dollars. Un résumé aussi palpitant et farfelu ne pouvait faire qu’une bonne histoire, prenant ici la forme du documentaire The Pez Outlaw par Brian et Amy Storkel. En évitant de tenir leur sujet pour acquis, le duo de réalisateurs a pu pousser la folie du projet à son paroxysme, créant au passage un thriller aussi jubilatoire que sournoisement vrai.  

Une passion contagieuse

L’une des grandes forces du documentaire est d’utiliser la passion qu’a Glew pour sa propre histoire. Si au début l’accent est un peu trop prononcé sur sa croyance autorévélatrice qu’il a toujours su qu’il ferait quelque chose d’extraordinaire dans la vie, The Pez Outlaw évolue rapidement pour se mettre dans les bottes du protagoniste tout au long de son aventure. Des reconstitutions des histoires de Glew sont ainsi mises en scène, ce dernier y joue son propre rôle, la barbe teinte en brun pour rajeunir. Voir cet homme revivre les aventures les plus folles de sa vie est un spectacle à la fois touchant et terriblement efficace, la ligne entre sa fantaisie et la réalité étant assez flexible pour toujours captiver le spectateur. Il est donc bien à propos de voir une usine à distributeur Pez aux couleurs de la chocolaterie de Willy Wonka ou une scène de révélation aux airs d’un film noir.

Le documentaire regorge de plusieurs entrevues avec des personnalités éminentes de la communauté Pez, tels que des collectionneurs possédant des milliers de distributeurs ou encore des employés haut placés de la compagnie. Tout le monde sourit à la caméra, mais à part Glew et sa famille parlant avec une fierté nostalgique de l’affaire, personne n’ose révéler l’entièreté de ce qui s’est passé, que ce soit pour garder la face ou pour éviter de se compromettre. Un exemple iconique est l’un des rivaux du Pez Outlaw, un autre trafiquant ayant des secrets que tout le monde dans la communauté connaît, mais que personne ne divulgue, car trop compromettant. Lorsque l’équipe se rend chez Glew pour filmer, il prend mille précautions pour que personne ne puisse capturer des images de son stock, comme s’il gardait un trésor inestimable — ou du moins plus inestimable que des objets en plastique distribuant des bonbons.

Jouer avec la réalité

Évidemment, une telle affaire engage un grand nombre d’individus influents et d’actions illégales. The Pez Outlaw, pourtant, se soucie peu de la gravité de la chose, se contentant de lister les faits accomplis de la manière la plus divertissante possible sans se soucier de qui cela choque ou incrimine. Un haut gradé dans la compagnie Pez peut bien nier que le président de l’époque (tellement important qu’il fut surnommé The Pezident… sans blague) ait voulu partir en vendetta avec Glew, mais l’histoire passionnée de ce dernier et les reconstitutions du point de vue du Pezident ont bien plus d’effets qu’une entrevue finissant sur un silence lourd de sens… Il est cependant indéniable que le Président de Pez Europe à l’époque est celui qui a reçu le sort le plus fourbe. Une entrevue surprise à la fin du film le laisse déclarer qu’il n’a jamais fait affaire avec Steve Glew et son trafic de distributeurs, alors que Glew lui-même a parlé de leurs interactions directes une heure auparavant. Ses déclarations sonnent donc immédiatement faux, les paroles d’un professionnel de l’escroquerie voulant couvrir ses arrières par instinct. Est-ce qu’un tel traitement de l’information est juste ? Non. Est-ce que le résultat est drôle ? Absolument. 

Ce qui sépare The Pez Outlaw des documentaires traditionnels, et par extension ce qui fait tout son charme, est finalement la manière qu’il a de jouer avec la réalité pour conter une histoire qui fait rêver avant de présenter une vérité absolue. Non pas que le documentaire n’est qu’un tissu de mensonges — dans la même veine que The Thin Blue Line, il s’agit d’une œuvre où la vérité est sculptée par l’objectif et les convictions des individus derrière la caméra. Ici, la joie presque enfantine de voir l’individu triompher, ne serait-ce qu’un instant, face à une industrie beaucoup plus puissante que lui. « Bend it ‘till it breaks ! », disait Glew au début du film. À voir une industrie perdre la face d’aussi belle manière, on voudrait que cela arrive plus souvent.

Bande- annonce :

Durée : 1h25
Crédit photos : Sidestilt

Ce film a été vu dans le cadre du Festival Fantasia 2022.

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