La Piedad : L’amour despotique

Argentine, Espagne, 2022
★★★ ½

Établissant un parallèle hétéroclite, mais non moins éloquent, entre la Corée du Nord et la relation toxique entre une mère et son fils, le réalisateur espagnol Eduardo Casanova nous offre une délectable comédie noire avec son dernier opus La Piedad. Bientôt disponible au grand public sur Netflix, selon le réalisateur, mais malheureusement en version censurée, nous avons pu voir le film dans sa version originale au festival Fantasia.

Un scénario en contrastes

Libertad (Angela Molina) et Mateo (Manel Llunell) vivent isolément dans leur manoir bourgeois au look surréel, où le rose et le noir semblent être les seules couleurs existantes dans cet écosystème malsain. Libertad, maniaque de contrôle sur son fils, le traîne partout avec elle pour qu’il lui chante des louanges démesurées à chaque geste médiocre que celle-ci pose, allant même jusqu’à lui proscrire de sortir seul de la résidence familiale. Or, le ciel tombe sur la tête de Libertad (prénom assez ironique considérant son attitude despotique), lorsqu’elle apprend que son fils est atteint d’un cancer qui le tuera presque certainement. Cette nouvelle apporte deux chamboulements dans la vie de la mère : le risque de perdre son admirateur le plus dévoué (et son seul) et de voir le centre de l’attention dévier d’elle pour s’arrimer à son fils.

En parallèle, l’histoire tragique d’une jeune famille nord-coréenne nous brosse un portrait fort intéressant sur les relations tyranniques. Comment expliquer le fait que la mère (Songa Park), après être parvenue à s’enfuir du régime tyrannique qui a tué leurs deux filles, décide de quitter son mari (Alberto Jo Lee) pour retourner vivre sous le régime dictatorial de Kim Jong-il? La réponse se trouve, peut-être, dans le dernier acte du film, où Mateo accepte son rôle de faire-valoir auprès de sa mère dans un dénouement aussi ironique et drôle qu’inconfortable et malaisant.

Surjouer intentionnellement

Le jeu des comédiens est en parfait accord avec le ton tragi-comique de La Piedad, revendiquant souvent le ridicule, mais toujours en harmonie avec l’atmosphère du film. Il faut derechef mentionner le côté humoristique de l’œuvre, dans lequel s’accordent à merveille Angela Molina et Manel Llunell, mais duquel digresse radicalement le jeu de Songa Park et Alberto Jo Lee, ceux-ci dégageant une aura parfaitement tragique. Or, le tour de force de Casanova est d’allier ces deux styles diamétralement opposés pour en dégager un tout cohérent avec son propos. La somme des jeux ne fait que rendre plus limpide le discours du cinéaste au sujet de l’amour que certaines personnes vouent à leur tyran.

Il est aussi obligatoire de mentionner l’écriture des personnages du cinéaste, qui ne vient pas réinventer la roue, mais qui construit des êtres tangibles et hautement divertissants, tous uniques et qui apportent leur saveur au film. On peut aussi relever le brio avec lequel il incorpore quelques personnages plus réalistes, ceux-ci jouant avec sobriété, accentuant du même coup le côté extravagant des protagonistes.

La construction de La Piedad

Les décors, les accessoires et les costumes de La Piedad sont en symbiose. Le réalisateur construit une atmosphère froide et oppressante avec de hauts murs, des colonnes qui n’en finissent plus, de vastes pièces vides, rendant Mateo minuscule dans le palais de sa mère. Le noir et le rose viennent évoquer le côté tragi-comique du film, eux qui entrent en opposition, mais que Casanova parvient à faire coexister, démontrant le côté superficiel que nous accordons parfois à certaines réelles tragédies humaines.

La quasi-totalité du film a été tournée en studio, proférant aux scènes un sentiment surréel qui ne va pas sans rappeler le Vingtième Siècle ou encore la filmographie complète de Roy Andersson. Les rares scènes tournées sur fond vert, bien qu’elles ne soient pas parfaitement réussies d’un point de vue technique, s’arriment à l’ensemble du film à merveille grâce à ce ton décalé, et accompli un tour de force au dénouement du film, nous faisant oublier le dispositif tellement l’effet est prenant.

La Piedad est l’un de ces films qui ne marqueront pas l’histoire, mais qui en vaut tout de même le détour. L’œuvre, qui sera éventuellement disponible sur la plateforme Netflix, parvient à arracher plusieurs rires à gorge déployée, en plus de susciter la réflexion malgré l’apparence superficielle de l’œuvre : les larmes que versent les Nord-Coréens à la mort de leur tyran sont-elles moins amères que celles que nous versons pour nos mères ?

Bande-annonce originale espagnole :

Durée : 1h20
Crédit photo : Pokeepsie Films

Ce film a été vu dans le cadre du Festival Fantasia 2022.
Davantage d’esthétique Casanovienne ici.

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